A propos de la récente décision de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) qui « réglemente » les activités des tous les organes de presse au Bénin en période de pré-campagne électorale, l’ancien ministre de la communication Gaston Zossou estime que la HAAC prend « des décisions taillées sur mesures ». Interview Afrika7
M. Gaston Zossou, quelle appréciation faites-vous de la récente décision de la HAAC au sujet de la couverture médiatique de la pré-campagne électorale ?
Je veux plutôt dire ce que je crois être la norme ou la bonne pratique.
Une campagne politique ou toute autre activité politique visant à donner de la lumière aux choix des citoyens est une chose bonne. Alors l’exposition à l’opinion des candidats à travers des initiatives prises en leurs noms, à travers des initiatives que eux mêmes ils prennent, ce sont autant d’éléments pour nous permettre de juger de la qualité d’un candidat.
Le principe est très simple. Il n’est pas bien de plier un pagne au fond d’une cantine cadenassée pour nous le vendre. Il faut qu’on le sorte de la cantine de secrets des états-majors politiques, qu’on le déploie et que nous en voyions la teinture et la texture et que nous achetions le pagne en toute connaissance de causes.
Toutes manœuvres à sous-estimer ceux qui voudraient bien nous diriger est contraire aux principes démocratiques. On devrait promouvoir les candidats en multipliant les occasions que nous avons de les connaitre en profondeur. Il faut les connaitre dans leur parcours, dans leur rapport, quelle est leur discipline de vie, quels sont leurs rapports aux biens matériels, quelles sont leurs capacités réelles, quelles sont leurs efficacités et dans quelle mesure on peut leur faire confiance pour nous diriger.
Maintenant moi je remarque que nos institutions d’arbitrages ne sont pas impartiales. La HAAC dans notre pays (je ne précise pas, la période n’est pas utile, je parle de l’institution) a pu laisser une personne dire, et cela a été répété sur plusieurs radios plusieurs fois je cite « les opposants, nous allons les pendre et les jeter à la mer ». Ça c’est une parole dangereuse, d’incitation à la haine et à la violence. La HAAC n’a pas ronchonné en ce temps-là. Quand le président de la République a dit « je vais faire venir les miens du Bénin profond et avec les autres ils vont s’affronter », parole incendiaire, la HAAC n’a rien dit. Quand il a dit plus récemment, ceux-là, parlant des compatriotes du nord, « ce sont des traites, les amis des faux », la HAAC n’a rien dit. Quand lui il a proféré ce que moi je considère comme paroles incendiaires, elle n’a rien dit.
Pourquoi elle se tait sur les grandes fautes et semblant à réprimer les petites fautes ?
Quel risque il y a que je promeuve mon candidat aujourd’hui et que je parle ?
Il n’est pas bien que ceux qui sont élevés à des positions d’arbitrage ne soient pas des personnes impartiales. Je ne suis pas fier de cette institution là et je le dis rec.
Vous aviez été ministre de la communication, n’avez-vous pas l’impression d’avoir contribué à tout ce que nous vivons aujourd’hui ?
Pas du tout. Je pense et j’affirme que j’ai fait le contraire.
Quand moi j’ai été fait ministre de la communication, je n’étais précédemment que professeur d’anglais et paysan producteur de produits à l’exportation. Donc c’est à l’intérieur du ministère que les cadres m’ont dit: « monsieur le ministre, il existe des organes de presse gouvernementaux et puis il y a des organes de presse publics ». Un organe de presse gouvernemental pourrait faire la promotion exclusive du gouvernement mais un organe de service public pouvait se mettre au service du gouvernement, de l’opposition et de la société civile.
Maintenant ce n’est pas moi qui vais le dire ; vous allez retourner à l’Ortb, vous allez retourner à « La Nation » pour leur demander s’ils ont reçu même un demi-coup de fil de ma part en presque six ans cherchant à contrôler leur micro ou à contrôler leur plume.
Moi j’ai compris qu’il fallait que je prenne mon temps de parole et que je laisse la direction de l’Ortb et ses services gérer le reste du temps de parole. Et si vous avez bonne mémoire, je prenais de façon officielle treize minutes par semaine pour donner l’éclairage et le point de vue de l’Etat sur les dossiers de la nation. C’est-à-dire, une fois par semaine les jeudis à 10h j’essayais de donner le point de vue du gouvernement sur les questions et j’essayais d’expliquer à la communauté à travers une presse authentiquement libre dans le temps pourquoi telle et telle décision a été prise. C’est treize minutes. Je laissais la direction générale de l’Ortb gérer les cinq mille minutes hebdomadaires d’émission. C’est cela.
Mais pour pouvoir laisser les autres parler, il faut se conduire à peu près bien. C’est-à-dire si vous êtes dans les excès, si vous êtes dans les fautes, si vous êtes dans les frasques et si vous êtes dans les crimes, vous éprouvez le besoin de tenir la bouche à votre vis-à-vis afin qu’il ne parle pas. La deuxième image. Pour laisser les autres parler, il faut se soigner. Ou si vous préférez, pour donner une bonne image de vous, il y a un minimum de bonnes conduites qui devraient être à la base. Autrement dit, pour avoir l’audace de soigner son image, il eût fallu prendre la précaution de se conduire à peu près bien sans être parfait. Mais quand on est dans des excès , des crimes on ne sait pas laisser les autres parler, on est obligé de tricher. Quand on est dans un pays où le mal a pris des envergures sans précédent, on est obligé d’empêcher les autres de parler. Quand on est dans un pays où les personnes les plus élevées de notre Etat s’en sont prises à la bourse des personnes dans l’affaire ICC, on est obligé d’interdire les autres de parole. Quand on a fait des surfacturations à 500% à 1000% dans les affaires « CEN-SAD », on est obligé d’empêcher les autres de parler. Quand un citoyen peut quitter sa maison et ne pas rentrer depuis quatre ans, on a du mal à laisser les autres parler.
Nous allons nous glisser sur un terrain purement politique. Vous êtes un acteur politique actuellement opposant au régime de Boni Yayi et vous avez d’ailleurs même dit votre soutien pour un candidat opposant ; avez-vous des appréhensions, des soupçons d’actes contraires à la bonne gestion de cette élection présidentielle à travers cette décision de la HAAC ?
Je pense qu’il faut rester vigilant, qu’il faut continuer à parler, qu’il faut dénoncer de façon assidue ce qui est mal, ce qui pourrait être mal, rappeler les interlocuteurs que nous avons à l’ordre, il faut garder les espaces de libertés pour que la parole étant utilisée emmène les personnes à bien se conduire ne serait-ce que par peur d’être réprimées par l’opinion.
Je n’ai pas de raison forte de douter de ce que nous avons des élections acceptables dans les formes parce que le progrès ne se décrète pas. On le bâtit. Ce n’est pas de la manière dont on est soigné dans un hôpital à Cotonou ou à Douala qu’on est soigné à Paris ou à New York.
La liste électorale dans un pays comme le nôtre, pourrait souffrir du fait que nous n’ayons pas d’état-civil ; et que des hommes forts aujourd’hui sont « nés vers… ». Ce sont des problèmes. Si une partie des élections doit être gérée par l’informatique et que le niveau de développement de l’informatique chez nous est limité, cela aura des répercussions mais nous sommes obligés de faire à partir de l’état des lieux, à partir des moyens que nous avons aujourd‘hui.
Ce sur quoi on n’a pas le droit de transiger, c’est l’intégrité personnelle des gens qui arbitrent, des gens qui décident. Mais nos limites techniques, nos limites en matière de développement administratif et d’organisation sont des limites. Je disais tantôt qu’on ne décrète pas le progrès, on le construit. Et quand vous n’avez pas atteint un niveau de progrès, c’est une réalité que ce n’est pas atteint et qu’il faut travailler à l’atteindre.
Propos recueillis par Romain Dékadjèvi