Décédé le 14 octobre dernier, le général Mathieu Kérékou, ancien Président de la République sera inhumé le samedi 12 décembre à Kouaffa, son village natal. Ce grand homme, père, de la conférence nationale qui a engendré la démocratie, a marqué l’histoire du Bénin.
Le parcours de l’homme
Mathieu Kérékou, né le 2 septembre 1933 à Kouafa non loin de Natitingou, est un homme politique. Il a été le Président du Bénin du 26 octobre 1972 au 4 avril 1991 et du 4 avril 1996 au 5 avril 2006.
Au terme d’une scolarisation sommaire, il s’engage comme volontaire au sein des enfants de troupe en 1953 et évolua progressivement d’un pays africain à un autre pour devenir sous officier.
A Fréjus, Saint Mexant et Montpellier en France, Kérékou qui a terminé sa carrière avec le grade de général, n’a laissé que de très bons souvenirs après avoir obtenu d’excellents résultats. Il devient par la suite l’un des meilleurs officiers de son pays.
De façon intelligente, il a été au cœur de plusieurs tractations politiques de l’époque, sans être l’homme lige d’un parti politique donné ou de l’une des personnalités ayant dominé la scène politique du Dahomey d’alors.
En 1972, il prépare avec deux autres officiers, un putsch qui le porta à la présidence de la République qu’il occupa plus longtemps que tous les autres chefs d’Etat béninois réunis, depuis l’indépendance du pays en 1960.
Patriote souvent desservi par sa trop grande générosité et son comportement laxiste à l’égard de nombre de ses collaborateurs, il fut le chef suprême d’une Révolution liberticide qui, de 1972 à 1989, a conduit son pays dans un chaos économique sans précédent, et dut convoquer, en février 1990, la conférence des forces vives de la Nation qui engagea le Bénin sur la voie de la démocratie.
Battu à la présidentielle de 1991 par son Premier ministre d’alors, Nicéphore Dieudonné Soglo, Mathieu Kérékou se retira dans l’anonymat et se mura dans un mutisme absolu. Durant sa traversée du désert politique, il renonce à l’athéisme et devient pasteur évangélique. Puis, il revient au pouvoir suite à une élection présidentielle démocratique le 4 avril 1996 ; il est réélu en mars 2001. Il n’a pas pu se représenter à la fin de son mandat en 2006.
Durant ses deux mandats de 1996 à 2006, le président Kérékou a respecté de manière stricte la séparation des pouvoirs. Ainsi, la liberté de presse sous le général Kérékou a permis au Bénin de se hisser au deuxième rang au niveau africain, et parmi les meilleurs sur le plan mondial.
Contrairement à d’autres chefs d’État africains, sous la pression des médias, des intellectuels et de l’opinion publique, Kérékou n’a pas modifié la Constitution qui limite l’âge auquel il est possible d’accéder à la présidence ainsi que de briguer plus de deux mandats.
Remarquable sur le plan humain selon les dires de ses proches, Kérékou est doté d’une exceptionnelle faculté d’adaptation. Aimé jusqu’à l’adoration, détesté et vilipendé jusqu’à la diabolisation, il ne laisse personne indifférent.
Homme énigmatique, imprévisible, insaisissable, doté d’un grand sens d’humour, travailleur infatigable puissamment aidé par le destin, redoutable manœuvrier sur le plan politique, sa biographie ne demeure pas moins un pan de l’histoire béninoise contemporaine.
Pour l’historien béninois de renommée internationale, le Professeur Félix Iroko, de la période coloniale au début du XXIème siècle, aucun homme politique n’aura marqué la République du Bénin aussi profondément et aussi durablement que Chaad Mathieu Kérékou, fils de paysans de l’Atacora.
Dans son message à la nation du 31 juillet 2005, veille du 45ème anniversaire de l’indépendance, il a déclaré :
« Après 15 années d’expérience démocratique, notre pays vit en paix. Les institutions de la République fonctionnent régulièrement. Les Béninoises et les Béninois jouissent des libertés fondamentales. La liberté de la presse est garantie. L’environnement juridique est assaini.
Les dispositions constitutionnelles favorisent l’alternance au pouvoir et la succession au sommet de l’Etat. Ces prescriptions fondamentales de notre Constitution du 11 décembre 1990 doivent pouvoir résister à toute révision opportuniste, d’autant plus que par delà toutes les préoccupations conjoncturelles et subjectivistes qui la motivent, elles constituent en fait la référence basique et le test d’authenticité de la nouvelle culture démocratique dont les acteurs politiques doivent désormais faire preuve ».
L’élection de mars 2006 se déroule normalement et Boni Yayi a été élu. Il a mis ainsi fin à 28 années de pouvoir de Mathieu Kérékou.
Sa vie militaire
Après avoir étudié dans des écoles militaires au Mali et au Sénégal, Mathieu Kérékou servit d’abord dans l’armée française puis dans l’armée du Dahomey où il obtint le grade de major. Il prit le pouvoir lors d’un coup d’État le 26 octobre 1972. Il fit mettre en prison les trois précédents présidents. En 1975, il renomma le pays République populaire du Bénin et mit en place un gouvernement marxiste-léniniste surveillé par le Conseil national de la révolution (Cnr). Il mena une politique de répression contre tous les opposants au régime et surtout contre les intellectuels dont beaucoup durent se réfugier à l’étranger. Il entreprit une vague de nationalisations de banques et de l’industrie pétrolière.
L’homme politique
Mathieu Kérékou a été, pour une première fois, le chef de l’État béninois du 26 octobre 1972 au 4 avril 1991. Le 26 octobre 1972, il prend le pouvoir à la faveur d’un coup d’État, lorsque l’armée dissout le Conseil présidentiel ainsi que l’Assemblée nationale. En 1974, il adopte le marxisme-léninisme comme idéologie officielle de gouvernement, et crée le Parti de la révolution populaire du Bénin, destiné à gouverner en tant que parti unique. Un an plus tard, le pays abandonne le nom officiel de République du Dahomey pour adopter celui de République populaire du Bénin. Dans les années 1980, la situation économique du Bénin devient critique, et le pays doit négocier des accords contraignants, notamment avec le Fmi. Dans le contexte de la mutation démocratique de l’Europe de l’Est, Mathieu Kérékou comprend peu à peu que le temps est venu de procéder à une évolution politique de son pays. Fin 1989, il accepte de convoquer une "Conférence Nationale des forces vives de la Nation" destinée à établir de nouvelles institutions. Il doit pour cela se libérer des contraintes que font peser sur lui les cadres de son parti, ce qu’il réussit avec une remarquable adresse. Kérékou est ainsi le premier président du continent africain à ouvrir la voie au multipartisme sous la pression des événements, qu’il a l’art non seulement de prendre en compte mais aussi d’utiliser à son profit et à celui de son pays et ce, après avoir dirigé le pays pendant 18 ans de manière autoritaire. En février 1990, la Conférence Nationale décide de changements drastiques (période de transition d’un an puis élections libres, nomination d’un Premier Ministre etc.). Mathieu Kérékou, le jour de la clôture de la Conférence en accepte toutes les conclusions. Il laisse un pays en mauvais état économique, mais vient de démontrer qu’il avait su engager avec habileté un processus démocratique, le premier en Afrique. Nombreux ont été les Béninois à encourager et imaginer les conditions politiques de cette évolution qui aurait pu, si elle avait été mal préparée, conduire au chaos. À cet égard, il faut souligner le rôle exceptionnel de l’Archevêque de Cotonou Monseigneur Isidore de Souza. Et quelques mois plus tard, lors de son discours de La Baule, François Mitterrand prendra l’exemple du Bénin pour encourager le continent africain à entamer les mutations politiques souhaitables.
Mathieu Kérékou, un modèle d’humilité
Il a la posture d’un Chef et d’un vrai. Discret, malicieux et surtout très humoriste, Mathieu Kérékou incarnait l’humilité. 28 ans de règne sans grand bruit, en tout cas, rien de comparable à ce que le Bénin a connu ces dix dernières années à l’ère du renouveau démocratique. L’homme avait sa vision du pouvoir et y est resté fidèle jusqu’au soir de sa carrière politique. ‘’Si Dieu vous a donné la force, ce n’est pas pour l’exercer sur vos compatriotes’’, déclarait le Général. Il savait faire preuve de fermeté, mais se laissait fléchir quand la circonstance l’imposait. C’est en cela que Kérékou est demeuré une énigme pour sa génération, surtout pour les hommes qui l’ont accompagné dans sa prise de pouvoir le 26 octobre 1972. A la conférence nationale, le monde entier a découvert la grandeur de l’homme quand il déclarait que la conférence est souveraine et s’est engagé, tout en joignant l’acte à la parole en respectant les conclusions issues de ces assises. Le glorieux Kérékou se retira du pouvoir en 1991. Après 17 ans de règne, il cède démocratiquement et sans contestation, le fauteuil présidentiel à son successeur Nicéphore Dieudonné Soglo. Tout un symbole. Jusqu’à la tombe, Kérékou restera insaisissable. Les psychologues l’ont si bien vu, quand ils affirment que la modestie est une vertu des grands hommes. Le Général en était un bel exemple.
Révolutionnaire et démocrate
Le marxisme léninisme et le renouveau démocratique sont deux régimes distincts, qui ne sont pas guidés par la même idéologie. Pourtant, Mathieu Kérékou réussira la mutation. Le caméléon n’a pas mal choisi son emblème. Craint et respecté sous la révolution, l’homme du coup d’Etat militaire du 26 octobre 1972 va se révéler un précieux artisan de la paix, et constructeur de l’unité nationale. Kérékou a été respectueux des principes démocratiques et de l’Etat de droit. Au temps du général, le Bénin occupait une meilleure place en termes de liberté de presse. Les élections ont été régulièrement organisées, conformément aux textes et aux lois en vigueur, mieux que depuis quelques années, et il était respectueux des institutions de la République. Kérékou n’est pas allergique aux critiques et commentaires de son peuple ou des hommes des médias. C’était un démocrate. Le général avait donné la preuve de son attachement à l’unité nationale, à travers le changement du nom Dahomey qui deviendra à partir du 30 novembre 1975 République populaire du Bénin. Général d’armée et Chef d’Etat, il ne s’est pas laissé avaler par les tentations d’abus du pouvoir. Kérékou a marqué l’histoire politique du Bénin et son nom restera à jamais gravé dans les annales.
Isac A. YAÏ