Depuis l’avènement du Renouveau démocratique au début des années 1990, les fins de régime se succèdent et se ressemblent presque toutes, certes, chacune avec son lot de conjectures surréalistes, de folles rumeurs, de turpitudes, de coups de théâtre, de reniements spectaculaires, de coalitions contre nature ou de circonstance, de déballages en tous genres. Quoi de plus normal, ainsi va la politique, pourrait-on dire…
Mais c’est sans doute la toute première fois de l’histoire contemporaine du Bénin qu’à moins de trois (3) mois d’un scrutin présidentiel, la complexité, les incertitudes, l’illisibilité et l’attentisme suicidaire qui caractérisent le climat sociopolitique national, atteignent un niveau aussi critique. Au point que les plus fins analystes de la vie nationale y perdent littéralement leur latin.
A quoi faudrait-il imputer un tel état de choses qui relève de l’inédit ? Et si, pour mieux décrypter ce qu’il nous est donné de vivre au cours de ces longs derniers mois, il fallait simplement entreprendre de raisonner par l’absurde en se posant autrement que d’habitude les bonnes questions ? Et si nous étions tous à côté de la plaque ? Et si, jusqu’ici, nous avions pris des vessies pour des lanternes, en nous focalisant à tort sur des épiphénomènes au détriment de la problématique centrale ?
Quel est donc ce mystérieux fil rouge censé relier à la fois, l’historique K.O. présidentiel de mars 2011, les rocambolesques affaires « tentatives d’empoisonnement et de coup d’Etat », le fameux projet de révision constitutionnelle n fois relifté et finalement avorté, l’élection manquée au forceps de notre argentier national, le jeune et sémillant Ministre d’Etat Komi Koutché, à la tête du Parlement et la récente désignation du Premier Ministre Lionel Zinsou comme candidat unique des Forces Cauris pour un Bénin Emergent (FCBE) à la présidentielle de février 2016, au cœur des principales polémiques et convulsions qui agitent, en ce moment, la République ?
Admettons, juste pour nous faire une raison et espérer résoudre cette difficile équation qui défie la logique cartésienne ordinaire, l’hypothèse d’école selon laquelle l’une des seules explications qui vaillent, réside, ni plus ni moins, dans l’obstination quasi obsessionnelle de l’actuel locataire du palais de la Marina à assurer ses arrières, à se trouver, pour ainsi dire, un bon parachute doré et suffisamment “bunkerisé” pour le restant de ses jours, à défaut de pouvoir négocier une véritable amnistie post-présidentielle. A l’instar, du reste, de l’un de ses illustres prédécesseurs de vénérable mémoire…
Réflexe on ne peut plus légitime sinon humainement compréhensible, de sa part, eu égard à la kyrielle de scandales ayant, de façon compulsive, constitué la toile de fond de son double quinquennat et dont certains, si l’on en croit les plus pessimistes d’entre les Béninois, pourraient bien lui valoir d’avoir à comparaître, un jour, devant la Haute Cour de Justice (pour autant que cette usine à gaz institutionnelle tant décriée continue d’exister), pour y répondre du délit de parjure ou du crime de haute trahison. Qui sait ? Ne dit-on pas des desseins du peuple souverain et, qui pis est, blessé au plus profond de sa dignité, qu’ils sont insondables, à l’image de ceux du Créateur ?
Dès lors, afin de souscrire en temps et en heure une assurance tous risques dans le sens qui vient d’être très brièvement décrit, tous les moyens sont réputés bons a priori, les meilleures choses de ce bas monde ayant une fin qui, en l’occurrence, se fait de plus en plus imminente. La manœuvre, dans ces conditions, va consister à tout mettre en œuvre, contre vents et marrées et peu importe le prix à payer pour les uns et les autres, pour réaliser cet objectif relevant d’un impératif de première grandeur.
D’où, du moins toujours en se fondant sur l’hypothèse énoncée plus haut, le déploiement de la grosse artillerie, cette vaste mise en scène dantesque, faite d’une succession vertigineuse de scenarii les uns plus alambiqués, plus élaborés, plus loufoques, plus ubuesques et plus machiavéliques que les autres, à laquelle nous avons eu droit, depuis bientôt cinq (5) ans, et qui est loin de connaître son épilogue, vu la tournure que semble prendre désormais le cours des événements.
Ainsi et poursuivant dans la même perspective hypothético-déductive, s’il fallait, comme dans une fiction, procéder à une revue des moments forts ayant marqué le second et dernier mandat du Président Boni Yayi, on pourrait faire la récapitulation sommaire que voici :
Scénario 1 : Réalisation du K.O. spectaculaire et sans appel, sorte de raccourci presque indolore pour retarder ou proroger d’un mandat supplémentaire et sans coup férir le bail présidentiel initial, le temps que se mette progressivement en place tout le puzzle du parachute doré ;
Scenario 2 : Lancement du premier ballon d’essai d’un projet de révision constitutionnelle à la hussarde, fortement contrarié par certains partenaires politiques et sponsors de la première heure parce que devant autoriser un troisième mandat présidentiel, contrairement aux dispositions de la Loi fondamentale en vigueur ;
Scenario 3 : Soudain éclatement des affaires « tentatives d’empoisonnement et de coup d’Etat », comme plan B ou de rechange pour remettre au goût du jour le projet de révision constitutionnelle opportuniste ;
Scenario 4 : Tentatives de remise en selle du projet de révision constitutionnelle, suivies de rejets véhéments successifs de la classe politique béninoise et de l’opinion publique à travers ses divers composantes ;
Scénario 5 : Retrait définitif du projet, sous la pression concertée de l’ensemble des forces vives de la Nation comprenant les partis politiques et les organisations de la société civile en charge de la veille citoyenne.
Scénario 6 : Naissance et lancement, tambour battant, par les FCBE, du slogan « Après-nous, c’est nous », suivi de l’élection manquée à la tête de l’Assemblée nationale de Komi Koutché qui aurait pu faire passer, comme une lettre à la poste, l’amère pilule de la révision constitutionnelle, une fois en possession du contrôle de la redoutable machine parlementaire, irrésistible rouleau compresseur politique s’il en est.
Scénario 7 : Nomination surprise au poste de Premier Ministre du Bénin, par le Président Boni Yayi, au retour d’une rencontre avec le Président François Hollande à Paris, du franco-béninois Lionel Zinsou, intellectuel et banquier d’affaires de haut vol, très proche des caciques du parti socialiste français, considéré, à tort ou à raison, comme l’un des suppôts d’une Françafrique en perte de vitesse et plus que jamais soucieuse de reprendre du poil de la bête, au moyen d’actions ciblées de reconquête de son ex-empire colonial. Pour le commun des Béninois, dans un contexte de fin de règne particulièrement agitée, névralgique et incertain, cette nomination inattendue apparaît donc surtout comme une désignation de dauphin qui ne dit pas son nom, en même temps que la résultante d’un marché pour le moins occulte qui aurait été conclu entre les deux chefs d’Etats français et béninois. La contrepartie dudit marché devrait, selon toute vraisemblance et du point de vue des tenants de cette thèse, consister, pour le Président Boni Yayi, à se voir garantir un parachute doré, susceptible éventuellement (pourquoi pas ?) de prendre la forme, entre autres, d’un nouveau point de chute dans la fonction publique internationale, après l’échéance fatidique d’avril 2016. De telles supputations semblent d’ailleurs être corroborées par l’activisme débordant et sans précédent dont a fait preuve, depuis lors, le chef d’Etat béninois, notamment par rapport à son implication personnelle dans l’organisation de la COP 21; ce qui, à l’analyse et d’après certaines indiscrétions dignes de foi, n’est pas sans augurer de retombées heureuses pour l’intéressé, dans un proche avenir.
Scénario 8 : Hold-up électoral digne d’Al Capone pour imposer, au terme d’un simulacre de primaires internes au regroupement de partis au pouvoir, Lionel Zinsou, tel que précédemment suspecté, prévu, annoncé de longue date par les médias et autres observateurs attitrés, comme candidat unique des FCBE à la prochaine présidentielle, avec tous les remous et mouvements d’humeur qui en découlent et n’en finissent pas de s’étaler sur la place publique. A cet égard, il n’est pas superflu de signaler que le dernier acte majeur de rébellion en date est la saisine de la Cour constitutionnelle par certains membres importants des FCBE d’une requête en invalidation de la prétendue désignation de Lionel Zinsou, selon les propres dires des plaignants.
Seule question censée brûler maintenant les lèvres de tout Béninois épris de paix, de justice, d’authentique démocratie et de développement humain durable et ayant, un tant soit peu, adhéré au nouveau paradigme ici proposé, à titre essentiellement heuristique : en quoi consistera le prochain scenario ?
Il serait bien prétentieux de ma part d’y répondre. Néanmoins, si l’on s’en tient à notre hypothèse de départ qui fait de la recherche du parachute doré un impératif catégorique pouvant justifier tous les sacrifices imaginables, il convient de prendre très au sérieux les rumeurs de plus en plus persistantes faisant état d’un scénario catastrophe, susceptible de déboucher sur une élection gagnée d’avance par Lionel Zinsou, candidat officiel de la majorité présidentielle sortante et bénéficiant du soutien naturel de la France, à l’issue – bien évidemment – d’un nouveau et retentissant K.O.
N’est-ce pas, toutes proportions gardées, le vrai sens à donner au coup de gueule de l’ex Président de la République Nicéphore Soglo qui, à la faveur de sa participation à un colloque international récemment organisé à Cotonou par l’Association béninoise de droit constitutionnel (ABDC) et auquel il fut convié, s’est vu obligé de sortir de sa réserve pour tirer la sonnette d’alarme quant à la grande arnaque en préparation, à l’en croire, dans les arcanes de la Françafrique tentaculaire et avec la complicité active de nos dirigeants, contre la démocratie béninoise, à travers la prochaine élection présidentielle ?
Ceci dit, il est tout de même à rappeler qu’il ne s’agissait là juste que d’un exercice de politique-fiction fondé sur le raisonnement par l’absurde. Au fond, il est à souhaiter vivement que les faits à venir n’accréditent pas ces hypothèses d’école. Sinon, le parachute doré tant recherché et qui ne profitera in fine qu’à un seul Béninois sur les 10 millions que nous sommes (fût-il l’un de ceux à qui nous avons, à un moment donné, librement choisi de confier nos destinées), aura été acquis à un prix trop fort, exorbitant, insoutenable et par conséquent inacceptable :
d’abord, pour son acquéreur lui-même qui apparaîtrait désormais comme le véritable TRAÎTRE À LA NATION par lequel le scandale du siècle est arrivé; du moins, pour peu qu’un soupçon de fibre patriotique puisse encore vibrer en lui, malgré tout ;
ensuite, pour son complice et principal bénéficiaire collatéral en la personne de l’actuel Premier Ministre et probable futur Président de la République qui aurait, de ce fait, définitivement raté l’occasion d’entrer par la grande porte dans l’histoire de sa seconde (ou première ?) Patrie, le Bénin; et ce, au prix d’un reniement de certaines valeurs cardinales héritées de la Conférence nationale de février 1990 auxquelles il s’est pourtant lui-même déclaré urbi et orbi profondément attaché, à savoir : la RECHERCHE CONSTANTE DU CONSENSUS et la CULTURE DE LA PAIX ;
et enfin, pour le BÉNIN, berceau incontesté du Renouveau démocratique en Afrique, terre de Gbêhanzin, Bio Guerra, Kaba, Louis Hounkanrin, Tovalou Quenum et autres Mathieu Kérékou (pour ne citer que ces quelques figures emblématiques de notre histoire nationale), qui aurait été ipso facto ravalé au rang d’une vulgaire république bananière d’un autre âge dont le Président continuerait d’être désigné à l’Elysée plutôt que par la voie d’un suffrage universel authentique, plus d’un demi-siècle après son accession formelle à l’indépendance.
Pour en revenir au cas Lionel Zinsou, ce qui pourrait lui être fondamentalement reproché, à mon humble avis, c’est moins sa double nationalité (qui constitue, au contraire et dans l’absolu, une richesse inestimable pour le Bénin) et sa proximité avérée avec le gouvernement français (c’est loin d’être un mal en soi), que :
d’avoir attendu d’être à quelques mois d’une échéance électorale pour se rendre visible
et faire connaître à ses compatriotes ses grandes, nobles et légitimes ambitions pour le
Bénin, quand on sait qu’une décision porteuse de tant d’enjeux pour le devenir de la Nation ne s’improvise pas, s’agissant a fortiori d’un des plus dignes représentants de la crème de l’intelligentsia franco-béninoise contemporaine qui, de surcroît, n’est pas un profane de la politique, contrairement à ce qu’une certaine presse mal informée veut bien nous faire accroire ;
de s’être fait ARTIFICIELLEMENT adouber (n’ayons pas peur des mots) par un groupe d’acteurs politiques dont certains membres, et non des moindres, semblent manifestement ne pas se reconnaître en lui – ce qui pourrait s’assimiler à un BRAQUAGE POLITIQUE DES PLUS CRAPULEUX –, alors même qu’il lui aurait été loisible de prendre ses distances vis-à-vis de toute coterie politique aux contours et au projet de société sujets à caution, pour se présenter, si nécessaire, en CANDIDAT INDÉPENDANT, faute d’avoir su obtenir l’adhésion spontanée souhaitée à ses idées.
En tout état de cause, il importe que, tous autant que nous sommes, filles et fils du Bénin, du Nord au Sud et d’Est en Ouest sans oublier ceux de la Diaspora, nous sachions raison garder en nous convainquant davantage de ce que, malgré les multiples manœuvres plus ou moins souterraines en cours çà et là au sein de diverses chapelles politiques, dans la perspective de la prochaine élection présidentielle (c’est de bonne guerre), le PEUPLE SOUVERAIN – quel que puisse être le degré de maturité et de discernement dont ses élites le créditent – n ’a pas encore dit son dernier mot.
Alors, tout en continuant d’assurer l’indispensable VEILLE CITOYENNE, chacun dans sa sphère de compétences et avec les moyens du bord, soyons zen et faisons confiance au PEUPLE SOUVERAIN.
Roch NEPO