Le président de l’Union nationale des magistrats du Bénin (UNAMAB) fustige le non respect des décisions de justice par le gouvernement de Boni Yayi. Selon Michel Adjaka, « un président qui a horreur des décisions de justice qui condamnent ses agissements n’est pas digne de diriger un Etat démocratique ». Concernant l’élection présidentielle à venir, le président de l’UNAMAB pense que si le processus ne se déroule pas dans la transparence et le respect des textes, « le risque est grand ». Interview Afrika7
Michel Adjaka, l’UNAMAB est carrément sorti de ses gongs pour dénoncer une tendance du gouvernement à « passer outre » des décisions de justice. De quoi s’agit-il ?
Vous avez parlé de tendance du gouvernement à bafouer des décisions de justice. En fait il s’agit d’une tradition du gouvernement ; parce que déjà en 2007, quelques mois après son investiture, le chef de l’Etat a décrété, en Conseil des ministres, la suspension de l’exécution des décisions de justice surtout en matière foncière. Par la suite, vous l’avez vu sur la décision rendue entre les membres de la Fédération béninoise de football. Enfin, vous avez observé le dimanche 29 octobre 2015, lorsqu’il a rencontré les travailleurs de l’OCBN, où il a qualifié une décision de justice de « papier signé » qu’il n’exécutera pas, qu’il ne respectera pas. Pourtant, dans notre constitution, il est prévu que le président de la république est garant de l’exécution des décisions de justice. Cette posture maintes fois affichée par notre chef de l’Etat, au delà de la déclaration que l’UNAMAB a rendue publique, pose le problème de respect par le président de la république de son propre serment. C’est peu dire que de parler de tendance. Il s’agit, comme je l’avais dit à l’entame, d’une tradition antinomique à la démocratie. La démocratie, c’est d’abord la séparation des pouvoirs, c’est aussi l’exécution non seulement des décisions de justice mais des textes de loi. Un président de la république qui a horreur des décisions de justice qui condamnent ses agissements n’est pas un président digne de diriger un Etat de droit.
A ce propos, certains observateurs de la vie publique estiment que vos critiques sont à la limite de la fronde, alors que, en tant que structure exerçant dans l’Etat, vous devriez collaborer avec le gouvernement.
Nous avons souvent collaboré, peut-être que nos collaborations ne sont pas publiques. Nous avons toujours collaboré avec le gouvernement mais nos collaborateurs se font sur l’autel du respect des textes. Il y a une nuance entre collaboration et compromission. Nous, nous sommes contre la compromission ; nous sommes pour la collaboration respectueuse de la légalité. Il y a eu récemment un autre communiqué du gouvernement au sujet d’une décision de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA (CCJA). Quand vous avez un parent ou un frère à la maison à qui vous n’avez pas l’habitude de dire la vérité, il finira par humilier et honnir votre famille au dehors. C’est ce qui s’est passé. Le chef de l’Etat et son gouvernement sont carrément sortis de ce qui est attendu d’un Etat de droit, la réserve qu’impose leurs fonctions, pour attaquer violemment les juges de la CCJA. Ce qui est une première dans les annales de cette institution. Puisqu’on a l’habitude d’affronter les décisions de justice au pays, on l’a fait dans l’espace communautaire. On l’a fait sur l’échiquier juridique communautaire. Cela ne participe pas d’une bonne diplomatie pour notre pays. Cela ne soigne pas l’image de notre pays à l’extérieur. De tels agissements sont négatifs pour l’image du Bénin qui est Etat de droit, qui est un modèle en matière de démocratie, un modèle en matière de respect des textes, un modèle en matière de respect des engagements internationaux.
Au delà de vos dénonciations, quelles sont les voies de recours dont vous disposez ? Vous dénoncez et vous vous taisez, ou peut-être le chien aboie, la caravane passe ?
La caravane ne peut pas passer. Sur son parcours, sur les rails de cette caravane là, il y a des obstacles. Je crois que le chef de l’Etat a compris. Récemment, j’ai cherché à savoir si le groupe Bolloré qui a gagné ce marché a poursuivi les travaux nonobstant la suspension ordonnée par la Cour d’Appel de Cotonou. Je crois que le groupe Bolloré a compris qu’il faut arrêter tout de suite l’exécution de ce chantier, ce qui a été fait. Des pourvois en cassation (quatre au total) ont été exercés ; nous attendons le dénouement de ce procès au niveau de la Cour suprême pour savoir ce qu’il faut faire. Dans tous les cas, le gouvernement ne peut pas continuer. Si le gouvernement continuait, nous serons obligés d’enchaîner d’autres mesures, de passer à la vitesse supérieure.
C’est à dire ?
Vous savez ce que nous avons l’habitude de faire.
Vous irez en grève ?
Mais c’est la moindre des choses. Lorsque vous avez un gouvernement qui ne respecte pas les décisions de justice, qu’est-ce que ça vaut de continuer par rendre ces décisions là, lorsque vous savez à l’avance qu’elles ne seront pas respectées, qu’elles ne seront pas exécutées? Il vaut mieux arrêter de pendre ces décisions en attendant que le gouvernement revienne à la normale, accepte de les mettre à exécution même si ces décisions condamnent ses positions, même si ces décisions condamnent l’Etat béninois.
M. le président de l’UNAMAB, nous ne saurions terminer cet entretien sans évoquer l’élection présidentielle de Février 2016. Le nouveau code électoral en vigueur au Bénin donne un certain nombre de prérogatives aux magistrats mais l’on n’a l’impression de n’avoir pas trop vu les magistrats lors des deux derniers scrutins, notamment les législatives et les communales. A votre avis, qu’est-ce qui cloche ?
Durant les élections législatives et communales, les magistrats ont été utilisés mais pas conformément à la loi.
Y a-t-il eu violation de la loi ?
Il y a eu violation de la loi du fait d’abord de nos acteurs politiques. Qu’est-ce qu’on a observé ? Après le vote et la promulgation de cette loi, les acteurs politiques ont pensé que c’est aux parlementaires d’identifier les magistrats, de désigner les magistrats qui vont officier au niveau des coordinations d’arrondissements ; puisque les magistrats sont des coordinateurs d’arrondissements aux termes des dispositions de l’article 28 du code électoral. Quand les opérateurs politiques se sont rendus compte qu’il revient à la CENA de désigner les magistrats devant officier au niveau des arrondissements, ils ont jeté leur dévolu sur leurs membres au sein de cette institution. Alors on a observé qu’il y a une certaine combine qui a visé non seulement à écarter les magistrats mais aussi à les éloigner dans le meilleur des cas des lieux qu’ils ont choisis. Pourtant dans l’article 28 du code électoral, il est dit clairement que les coordinateurs d’arrondissement sont prioritairement des magistrats en fonction ou à la retraite. Si leur nombre ne suffisait pas, il faut aller vers les avocats inscrits au barreau. Si le nombre des avocats ne suffit pas, il faut recourir à la catégorie des greffiers. Si le nombre des greffiers aussi ne suffit pas il faut aller dans la catégorie des administrateurs civils, cadres A1. On a constaté que la loi n’a pas été respectée et les opérateurs politiques ont réussi à positionner les leurs dans leurs fiefs, dans leurs zones de prédilection ; et les magistrats ont été envoyés dans les zones où il n’y a pas d’enjeux.
Mais en son temps on n’avait enregistré ni de protestation ni de déclaration officielle de l’UNAMAB…
L’UNAMAB en tant que président n’a pas réagi mais son président a fait publier dans la presse un article où il parlait de « la CENA entre irrégularité, illégalité et omission ».
Lequel de ces trois caractères est prioritaire ?
Ce qui est prioritaire c’est l’illégalité ; on ne peut pas désigner nos représentants (députés ou conseillers communaux) en violation des textes. Ensuite j’ai parlé des irrégularités. On a constaté des doublons, des omissions. Non seulement dans la répartition des magistrats mais aussi dans la répartition des diplômés sans emploi sollicités. La pluparts des coordonnateurs d’arrondissements proposés par les opérateurs politiques, par les partis politiques, sont des diplômés sans emploi acquis à leur cause. On l’a fait sans beaucoup de réactions pour ces deux élections. Si on prend le même risque pour l’élection à venir, le danger est grand pour la république.
Vous craignez qu’on n’ait pas des élections transparentes ?
Pour obtenir des élections transparentes, il faut respecter les textes. Les gens ne veulent pas collaborer avec les magistrats parce qu’on estime qu’il est difficile de les entreprendre. C’est la raison pour laquelle il faut mieux avoir les militants , diplômés sans emploi comme coordinateurs d’arrondissement que d’avoir un juge ou un magistrat.
Quand vous parlez d’opérateurs politiques, vous indexez qui précisément ? La mouvance présidentielle ou l’opposition ?
Nous parlons d’opérateurs politiques aujourd’hui parce qu’il y a des opérateurs économiques ; et s’il y a des opérateurs économiques, forcément en face on doit avoir des opérateurs politiques, des gens qui sont en politiques rien que pour faire des opérations. C’est eux qui sont à la manœuvre. Ils ont donc grand intérêt à faire les choses conformément aux textes de la république. Sinon, le risque est grand que l’élection qui arrive nous conduise à des situations très délicates et difficiles. Ce que je ne souhaite pas pour mon pays.
Que suggère alors le président de l’UNAMAB ?
Ma suggestion est que les choses se passent dans les règles de l’art. La loi a prévu que les coordonnateurs d’arrondissements soient d’abord des magistrats. A défaut des magistrats des avocats. A défaut des avocats des greffiers. A défaut des greffiers des administrateurs des catégories A, à la retraite comme en service. Si on le faisait comme le législateur l’a prévu, la probabilité pour que nous ayons des élections transparentes est très élevée ; en tout cas parce que les coordonnateurs d’arrondissements ont la possibilité d’afficher les résultats dans les bureaux de vote. L’autre aspect de la question qu’il faut régler, c’est qu’il faut les former à temps. Car s’il n’y a pas la formation des coordonnateurs d’arrondissements à temps pour que ceux-ci forment les membres des bureaux de vote, on risque d’organiser l’élection à venir dans la précipitation. Or la précipitation arrange les intérêts d’un groupe.
Lequel ?
Le groupe qui aura intérêt à ce que les élections n’aillent pas à terme ou que les élections soient organisées dans un cafouillage artistique, orchestré de haute main pour pouvoir confisquer le pouvoir, de refuser de remettre le pouvoir à celui qui aura gagné les élections dans les urnes. Parce que vous savez bien que le schéma se déroule en plusieurs phases : il y a le vote exprimé par le peuple, il y a la transmission de ce vote qui est aussi un parcours de combattant à gagner. Non seulement il faut avoir les suffrages, les compiler ; que la CENA dans un délai d’au plus 24 heures donne les résultats. Et si la CENA continuait d’opérer à sa façon, la cour constitutionnelle commence par annuler juste pour imposer un candidat, ça risque de ne pas marcher.
En clair, vous avez des craintes à plusieurs compartiments ?
A tous les niveaux, j’ai des craintes. Si ça ne fonctionne pas comme le législateur l’aurait voulu, comme la transparence l’aurait souhaité, je crois que le risque est grand parce que les enjeux sont importants dans cette élection à venir.
Propos recueillis par Virgile Ahissou