Le 24 septembre 2013, la Commission des lois du Parlement béninois a rejeté le projet de réforme constitutionnelle voulue par le président Boni Yayi. Voici l’analyse du constitutionnaliste Joël Aïvo.
Quel est le cœur de la réforme constitutionnelle engagée par Boni Yayi ?
À vrai dire, il n’y en a pas. Mais s’il faut en trouver un, on dira qu’il est institutionnel : c’est ce qu’en disent les différents promoteurs du texte.
En vérité, s’il faut retenir quelque chose de l’initiative gouvernementale, ce serait la constitutionnalisation de la Commission électorale nationale électorale et la création d’une Cour des comptes par l’autonomisation de l’actuelle chambre des comptes de la Cour suprême.
Ces innovations, sur lesquelles d’ailleurs presque tout le monde est d’accord au Bénin, auraient pu être mieux accueillies par l’opinion si le gouvernement, après avoir sollicité les experts locaux pour l’éclairer, avait mobilisé ses forces pour consulter, écouter et enrichir son projet par les contributions des forces vives du pays. Faute de l’avoir fait, ces innovations pourtant attendues par tous, et recommandées par toutes les commissions d’experts, sont aujourd’hui contestées car victimes de la démarche peu pédagogique, peu consensuelle du gouvernement.
Sur quoi repose l’esprit de la reforme ?
Les deux commissions Glélé et Gnonlonfoun, constituées d’experts parmi lesquels les plus éminents constitution-nalistes du Bénin, ont déjà rendu au chef de l’État deux rapports complémentaires qui articulent les propositions les plus révolutionnaires nécessaires à la consolidation du processus démocratique.
Celles-ci proviennent de l’expérience de tous ceux qui ont été au cœur de notre vie politique et qui ont vécu les dysfonctionnements de notre régime. Et c’est à partir de cette réalité faite parfois de crises graves que les deux commissions ont fait leurs propositions. Mais l’esprit du projet gouvernemental est, lui, peu perceptible. Il est complètement perverti par la cacophonie des promoteurs du projet, l’incompétence de ceux qui le vendent aux Béninois, la propagande mensongère qui attribue à ce projet des vertus qu’il n’a guère. Tout ceci rend suspecte l’initiative et laisse naturellement les citoyens dubitatifs et méfiants.
Pourquoi la Commission des lois a-t-elle rejeté cette proposition ?
Il s’agit d’abord d’un acte juridique, conforme au droit parlementaire béninois. Le rejet d’un projet de loi n’est pas une première dans notre Assemblée. Mais quelques éléments rendent ce cas particulier et mérite qu’on lui prête attention. C’est un projet de loi constitutionnelle destiné à modifier pour la première fois, depuis 23 ans, l’une des Constitutions encore vierge de toute révision en Afrique. C’est pour ces raisons qu’il ne faut pas prendre l’acte de rejet comme un simple acte juridique sans portée politique. Cet acte est puissamment et abondamment politique.
À mon avis, il nous offre une photo quasi-fidèle de l’état d’esprit des parlementaires béninois et plus largement de la classe politique, tous bords confondus, à l’égard du projet de révision de la Constitution. Les acteurs politiques, majorité comme opposition, regardent cette initiative avec méfiance et suspicion. Méfiance, suspicion… la défiance pourrait être la prochaine étape. C’est pour cette raison que je pense que le coup de tonnerre du 24 septembre 2013, prévisible, présage peut-être de l’issue de ce processus et de l’accueil que lui réservera la classe politique.
Le gouvernement a-t-il un autre recours ?
Bien sûr, plusieurs hypothèses se présentent à lui. La première est bien celle de la reprise de la procédure.
Elle sera d’autant plus facile que la Commission des lois a motivé son rejet par la non-notification à l’Assemblée et à ses organes de la dernière décision de la Cour constitutionnelle qui neutralise le caractère obligatoire de l’avis préalable de la Cour suprême sur le projet de loi constitutionnelle. Mais je pense que le gouvernement devrait ne pas voir dans ce rejet un simple problème de procédure. Cet acte cache une mine anti-personnel, une grogne, une fronde.
C’est un avis de révolution qui a été délivré au gouvernement. Lequel au lieu de continuer tête baissée, au risque de prendre en face la foudre politique qui pointe, doit reprendre son projet, soigner sa démarche, persuader davantage et inspirer confiance à son peuple. La nouvelle devise que j’assigne désormais au gouvernement, dans ce projet de révision de la Constitution, pourrait être : fédérer ou renoncer.
Des dispositions du projet peuvent-elles mener à une deuxième République?
Non, je suis formel. Le texte actuel ne peut en aucune façon et en aucun cas conduire à une nouvelle République, pas plus qu’il ne peut permettre au président, s’il en avait l’intention ou s’il change d’avis, de solliciter un troisième mandat.
Honnêtement, le projet actuel de révision proposé par le président n’est pas méchant, mais il est en deçà du minimum démocratique attendu.
Le texte actuel n’est pas suffisamment représentatif des idées agitées dans le pays, par les forces vives, et formulées, à la demande du chef de l’État, en propositions de réformes par les commissions constitutionnelles. Il n’enrichi pas suffisamment la Constitution et ne permet pas d’apporter en un coup les réponses pourtant attendues et surtout disponibles aux dysfonctionnements de notre modèle constitutionnel.