Le constat est patent, affligeant, et préoccupant : la vie politique au Bénin n’est pas caractérisée par l’énoncé et l’affirmation d’une vision au niveau des acteurs. Il est difficile, voire impossible de chercher à distinguer et systématiser une pensée politique élaborée pour conquérir, et fidéliser, telle ou telle partie de l’opinion pour une action dans la durée. La langue de bois, les lieux communs formulés en des termes dans lesquels la ruse, la tromperie, le cynisme et la mauvaise foi sont la toile de fond de proclamations très vite oubliés une fois les moments d’euphorie électorale passée. Il faut dire que ce constat n’est pas valable uniquement pour notre pays, le Bénin. En effet, aujourd’hui nous sommes à des années-lumière de cette période où les débats politiques en Afrique étaient animés par des dirigeants qui se donnaient pour mission de présenter leur vision de la politique en général, et du devenir de leur pays en particulier dans des écrits, à travers lesquels ils ne se contentaient pas de rabâcher les courants idéologiques nés en Europe, et adoptés par la classe politique naissante des pays colonisés dans la lutte pour l’indépendance. C’est ainsi qu’ont formulés les concepts relatifs au «Consciencisme» de Kuamé N’krumah au Ghana dans les années 1960 et de «Ujama» dans la Tanzanie de Julius Nyéréré. Dans ces deux cas, il s’agissait de dirigeants qui ont jugé indispensable de formuler par eux-mêmes, à la lumière de l’appropriation faite des idées politiques qui ont contribué à leur formation pour accéder au pouvoir, la vision à mettre en œuvre à la tête de leur pays. L’un et l’autre ne se sont pas contentés d’être des consommateurs passifs d’idées, et de conception du développement sans aucun rapport avec les réalités des peuples qu’ils se sont donnés pour mission de conduire à la libération du colonialisme, puis au progrès économique et social .
Le Ghana et la Tanzanie ont connu des évolutions diverses dans les visions de leurs premiers dirigeants , mais il n’en demeure pas moins qu’ils se sont efforcés , dans les contextes mondial et national de l’époque, de «penser pour agir, et agir pour mieux penser », comme le recommandait Amilcar Cabral, cette autre figure emblématique de la lutte pour l’indépendance véritable de l’Afrique et son insertion dans le concert des nations en quête de progrès économique et social. Quelles que soient les analyses que l’on peut faire aujourd’hui de l’exercice du pouvoir par ces illustres figures de l’histoire des premières années des indépendances en Afrique, la pensée politique qui sous-tend les concepts énoncés par eux ont conduit à la formulation des idées –forces pour asseoir des bases pour la transformation rationnelle de leur pays . Lorsqu’il lançait, un certain octobre 2013, son opuscule intitulé «Ce que je crois : une nouvelle conscience», Pascal Irénée Koupaki avait intrigué plus d’un de ses invités conviés à cette rencontre où se côtoyaient acteurs politiques, responsables syndicaux et des associations de la Société civile, responsables des médias, opérateurs économiques, amis et anciens camarades de lycée et d’amphithéâtre à l’université etc.… En vingt-quatre points (24) points, il tirait les leçons de sa participation à la gestion des affaires de l’ Etat, sans discontinuer d’Avril 2006 à Août 2013, successivement aux postes de Ministre du Développement, de l’Economie et des Finances ; de l’ Economie, de la Prospective, du Développement et de l’ Evaluation de l’ Action publique ; Ministre d’ Etat, chargé de la Prospective, du Développement, de l’ Evaluation des politiques publiques et de la coordination de l’Action gouvernementale ; et enfin Premier ministre. Un parcours, sans aucun doute, exceptionnel et inédit dans la vie des gens de sa génération ! Pour avoir quitté le gouvernement dans des conditions et circonstances ayant donné lieu à des conjectures diverses, la publication de Pascal Irénée Koupaki, qualifiée par l’intéressé lui-même de «réflexion- méditation» avait jeté nombre de ses concitoyens dans la perplexité quant à la finalité de l’exercice. Mais quand il publie, en Juin 2014, «Le chemin de la Nouvelle Conscience ; engageons-nous», le point 2 de ce livret qui en contient 56 est assez explicite sur la démarche de celui qui, depuis sa sortie – d’aucuns disent éviction- du gouvernement apparaissait comme un potentiel candidat pour l’échéance présidentielle de 2016. Citation : «Le livret bleu que j’ai eu l’occasion de présenter au public, le 26 Octobre 2013, est une œuvre citoyenne que je me suis senti le devoir d’accomplir après une dizaine d’années d’ expérience dans l’administration générale de notre pays et dans la gestion du processus de développement du Bénin. Les diverses situations vécues durant cette période interpellent ma conscience, notre conscience. Notre conscience éthique pose problème. Notre conscience civique est instable. Notre conscience nationale n’est pas perceptible. Notre conscience des exigences de la production est fluctuante. Notre conscience du développement économique et social est écœurante. Notre conscience de l’effort est incertaine. Egalement notre conscience du bien commun et de l’intérêt général est problématique et vacillante. Nous devons absolument opérer une rupture en nous-mêmes et nous engager dans la Cité avec une nouvelle conscience qui sera le fondement de la transformation de l’Etre, de l’individu-citoyen et de notre société.»
Conscience éthique problématique, conscience civique qui joue au yo yo, conscience de l’effort aux abonnés absents, conscience du bien commun et de l’intérêt général vacillante, et pour couronner le tout une conscience nationale pratiquement inexistante. L’état de décrépitude avancée dans lequel se trouve la maison / l’entreprise Bénin ne peut être aussi bien présentée que par un acteur de premier plan dans ce que l’on s’est évertué à présenter – et que l’on continue à présenter-aux populations comme une œuvre sans précédent de développement dans l’histoire du pays. Et quand on a relevé tous ces maux et dérives, qu’il a fallu combattre –avec plus ou mois de réussite – dans un bureau climatisé de Cotonou, que faut-il faire pour être conséquent avec soi-même ? Quitter son cadre de bureaucrate et aller au contact des populations pour constater l’acuité réelle de la situation décrite. Et tirer les conclusions qui s’imposent.
Ce qui s’est passé le 28 Novembre 2015 au Palais des sports du stade de l’Amitié de Cotonou, est tout simplement la poursuite d’une démarche novatrice pour amener les citoyens béninois à prendre à bras le corps les problèmes de développement de leur pays, avec une vision claire des questions auxquelles ils doivent s’attaquer. En effet, ce n’est pas un parti politique qui a été crée ce jour-là , mais un rassemblement pour fédérer les intelligences en vue de poursuivre les réflexions engagées dans les toutes les 77 Communes que l’initiateur du concept de la Nouvelle Conscience a tenu à parcourir pour prendre langue avec les populations .
Dans le contexte béninois où la création d’un parti politique est devenue un exercice d’une banalité déconcertante , le fait que le Rassemblement Nouvelle Conscience ( RNC) se présente comme un mouvement de citoyens venus répondre à l’appel du 26 Octobre 2013, confirmé et reprécisé le 21 Juin 2014 dans son cheminement et ses finalités est une démarche inédite qui inspire confiance pour un renouvellement de la pratique politique au Bénin. C’est un combat qui va s’inscrire dans la durée, mais il vaut la peine d’être mené , en dépit des premières salves enregistrées contre celui qui, fort de sa décennie d’observations et d’expériences dans les arcanes du pouvoir, a décidé d’inviter les Béninois à l’action, au lieu de se lancer dans des diatribes et autres dénonciations sans lendemain.
Noel ALLAGBADA