La 5e affaire inscrite au rôle de la 2e session de la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou au titre de 2015 est renvoyée sine die à cause des incohérences relevées dans le dossier. L’accusé Wassir Ogoudédji, soudeur et vendeur d’essence, 39 ans, inculpé pour coups et blessures volontaires ayant entraîné une infirmité permanente, bénéficie d’une mise en liberté provisoire.
Appelé à répondre devant la Cour d’assises de Parakou des faits de coups et blessures volontaires ayant entraîné une infirmité permanente sur sa concubine Hélène Eclou, le sieur Wassir Ogoudédji a déposé à la barre, samedi 26 décembre dernier dans le cadre du procès du 5e dossier inscrit au rôle de la 2e session 2015 en cours. L’accusé n’a pas reconnu les faits. Des incongruités et incohérences qui ont émaillé le dossier, ont amené les juges à renvoyer la cause pour une prochaine session. Quant à l’inculpé, il bénéficie d’une mise en liberté provisoire après plus de trois ans de détention.
La cour qui a connu du dossier est présidée par Aboudou Ramanou Ali avec pour assesseurs Lambert Dady et Lié Norbert Dadjo. Les jurés sont : Jocelyne Paulette Ahoton, Dominique Dah Sougni, Lazare Innocent Ahouandogbo et Yaya Roméo Assa.
Le ministère public est représenté par Moubarack Dine Ali-Owé. Le secrétariat du greffe est assuré par Me Brice Dossou-Yovo. L’accusé est assisté par Me Enosh O. Chadaré, avocat à la cour.
Les faits présentés à l’entame de l’audience
« Hélène Eclou tombe enceinte des œuvres de Wassir Ogoudédji avec qui elle vit en concubinage, et accouche d’un mort-né. Prétextant des mauvais traitements que lui font subir Wassir, Hélène va vivre avec une sœur. Wassir lui rend fréquemment visite. Le 14 septembre 2012, Hélène Eclou va voir Wassir Ogoudédji sur les lieux où il vend de l’essence frelatée. Les discussions qu’ils ont eues dégénèrent en bagarre à l’issue desquelles, dame Hélène Eclou qui a mordu son homme, a vu l’annulaire de sa main droite sectionné au niveau de la troisième phalange par morsure ».
Ainsi sont échafaudés les faits qui ont motivé le renvoi devant la Cour d’assises du nommé Wassir Ogoudédji arrêté et poursuivi, à travers l’arrêt n°163/15 du 23 novembre 2015 de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Parakou. Il est accusé d’avoir, à Malanville le 14 septembre 2012, volontairement porté des coups et fait des blessures à la nommée Hélène Eclou, avec cette circonstance qu’il en est résulté pour elle, une infirmité permanente (perte de l’annulaire droit). Ce crime est prévu et puni par l’article 309 alinéa 3 du Code pénal.
Le bulletin n°1 du casier judiciaire de l’inculpé versé au dossier ne porte mention d’aucune condamnation antérieure. L’enquête de moralité diligentée à son profit lui est favorable.
Le récit des faits, selon l’accusé
L’accusé Wassir Ogoudédji est apparu, samedi dernier, très détendu à la barre. Malgré son français approximatif, il tient à répondre aux questions de la cour dans la langue de Molière. Le président de la cour lui en donne acte. Puis, il lui demande s’il sait ce pourquoi il est devant les juges. «Je ne savais pas mais maintenant je le sais», répond-t-il. Dans sa narration des faits, Wassir Ogoudédji explique qu’il avait deux femmes dont Hélène Eclou qui l’a rejoint quand elle est tombée enceinte de lui, après deux ans de vie commune. «Elle a accouché d’un mort-né. De l’hôpital, elle est allée directement chez une de ses copines et n’est plus rentrée à la maison. Je me suis rendu une fois chez elle pour voir son état de santé. Par la suite, sa copine avec qui elle vivait, m’a interdit de mettre pied chez elle. Comme il y avait souvent de disputes entre nous, moi-même j’ai estimé que ça fait bon débarras. Elle m’appelle souvent pour me dire si c’est comme ça qu’on va se quitter... En clair, elle voulait qu’on reprenne la relation. Un jour, elle m’a appelé et est venue là où je vends de l’essence. J’étais là avec un de mes enfants qui tenait un bol de haricot. Quand elle nous a vus, elle a tapé le bol et le contenu s’est renversé. Elle m’a ensuite tenu le col. Les gens sont venus nombreux nous séparer. Puis, je suis rentré. Quelques temps après, je reçois une convocation écrite à l’encre rouge me demandant de me présenter expressément au commissariat. J’ai pris ma moto et je suis allé au poste de police. Là, je vois un inspecteur de police qui courait la femme. C’est lui qui m’a reçu. Je dois rappeler que ma femme m’avait dit qu’elle n’a pas accepté les avances de l’IP (NDLR : Inspecteur de police)...Il a demandé, après nos échanges, au chef poste de me mettre en garde à vue. Je suis resté là jusqu’au lundi où on m’a présenté au substitut du procureur à Kandi qui m’a ensuite placé sous mandat de dépôt.» Tel est le récit des faits selon Wassir Ogoudédji. « Il n’y a eu aucune bagarre. Elle m’a tenu par le col et les gens sont venus la tirer puis je suis rentré. Elle ne m’a pas mordu. Je ne l’ai pas mordue non plus. Elle n’a jamais eu de blessure ; tous ses doigts sont justes. Je l’ai vu moi-même le dimanche 17 septembre au commissariat», insiste-t-il.
Devant le magistrat instructeur, l’accusé aurait déclaré que c’est en voulant le mordre que la femme, Hélène Eclou, s’est mordu l’annulaire. «Je n’ai jamais dit ça», réfute Wassir Ogoudédji.
Aucun témoin n’est présent dans le dossier. La victime (partie civile) n’a pas comparu à l’audience. Elle aurait confié à quelqu’un qu’elle ne va pas se présenter, à en croire l’accusé.
Que d’incongruités !
Des incohérences sont relevées dans le dossier. La première : celle qui a mordu son homme tel que présenté dans le récit initial des faits, c’est plutôt elle qui a la phalange sectionnée et non l’homme mordu. Face à ce que le ministère public appelle la «dénégation» de l’accusé, le président de la cour fait observer une suspension qui a duré de 10h 40 à 12h. A la reprise, le ministère public est appelé à faire ses observations. Moubarack Dine Ali-Owé fait observer que les certificats médicaux initial et de guérison délivrés respectivement par les médecins Valentin A. Akouègninou et Jasmic K. C. Amètépé présentent de discordances quant aux points d’atteinte de la victime. Le certificat médical initial délivré le 17 septembre 2012 parle d’une amputation de l’annulaire droit au niveau de la 3e phalange. Quant au certificat médical de guérison du 18 décembre 2015, il parle plutôt de moignon de la première phalange de l’auriculaire gauche cicatrisé.
Chose curieuse, l’officier de police judiciaire qui a entendu la victime le 14 septembre, a déjà fait mention dans le procès-verbal que cette dernière lui a déposé un certificat médical initial, lequel n’est délivré que le 17 septembre 2012, soit le quatrième jour après la fameuse blessure.
Au regard de ses insuffisances du dossier, l’avocat général sollicite le renvoi de la cause à une session ultérieure des assises pour ordonner la convocation des médecins qui ont produit ces certificats médicaux complètement différents sur la même personne ainsi que l’inspecteur de police Samson Fred Dagba ayant diligenté l’enquête préliminaire.
Mise en liberté et renvoi du dossier
Le représentant du ministère public requiert la mise en liberté provisoire de l’accusé qui a déjà passé trois ans et trois mois en détention provisoire. Me Enosh Chadaré assurant la défense de l’accusé, abonde dans le même sens mais plaide plutôt « la mise en liberté d’office » de son client, au motif que le délai légal de la détention provisoire est dépassé. Il s’appuie sur l’article 147 alinéa 6 du Code de procédure pénale qui dispose : « Aucune prolongation ne peut être ordonnée pour une durée de plus de six mois, renouvelable une seule fois en matière correctionnelle et six mois renouvelable trois fois en matière criminelle, hormis les cas de crimes de sang, d’agression sexuelle et de crimes économiques ». Par ailleurs, l’avocat relève à l’attention de la cour l’absence d’une planche photographique de la victime dans le dossier de la procédure.
A la reprise de l’audience à 13h 40 après une suspension de plus d’une heure, la cour statuant sans le concours des jurés ordonne effectivement la mise en liberté provisoire de Wassir Ogoudédji, tout en précisant que la liberté à lui accordée, est provisoire. Dans le cas d’espèce, la cour ne prolonge pas la durée de détention provisoire de l’accusé mais plutôt statue en tant que juridiction de jugement sur la détention provisoire de l’accusé en attendant son jugement, explique le président de céans.
Dans son arrêt avant dire droit, la cour renvoie également la cause à une prochaine session des assises pour convoquer les médecins qui ont établi des certificats médicaux aux contenus complètement différents sur les mêmes faits, l’officier de police judiciaire qui a diligenté l'enquête et pour établir une planche photographique ainsi que la victime. La cour réserve les dépens.