A moins d’un mois du dépôt des candidatures pour la présidentielle de 2016, aucune certitude à l’horizon, si ce n’est qu’il y aurait une pléthore de candidats. Au nombre desquels, pour la première fois de l’histoire politique du Bénin, un qui sera officiellement engagé dans la bataille par le président de la République sortant.
L’addiction des Béninois aux élections est connue, illustrée par un rythme électoral infernal. Corollaire, beaucoup de milliards de F CFA y sont engloutis pour de piètres résultats. Comparées aux élections dans la sous-région, avec des populations et des territoires généralement plus importants que les nôtres, nos consultations électorales coûtent excessivement chères. Pourtant, elles n’ont pas souvent généré des leaders à poigne, capables de rompre radicalement avec nos mauvaises habitudes et de mettre enfin le Bénin sur orbite. La faute à des compromissions inhérentes à notre mode de scrutin, et certainement aussi à un facile renoncement de la part des personnalités élues. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? A condition d’avoir la lucidité et le courage de choisir la bonne personne. Qui n’est pas forcément parmi les plus expansives, les plus visibles, les plus fortunées… La sagesse de chez nous n’enseigne-t-elle pas que « le bien ne fait pas de bruit » ? Mais encore faudrait-il que le scrutin se tienne, qu’il se déroule à la satisfaction des acteurs, et pour le bonheur du pays…
Situation confuse
Il y a dix ans à pareil moment, l’on entrevoyait clairement que le sprint final du scrutin se jouerait entre Me Adrien Houngbédji, l’expérimenté, et Boni Yayi, le néophyte, « l’intrus ». La partie tournera à l’avantage de ce dernier avec la bénédiction des politiciens traditionnels qui le préférèrent à leur compagnon de toujours. Il faut dire qu’il dégageait un charisme irrésistible, avec la promesse du neuf, la promesse du « changement ». Quelque temps seulement après, tous déchantèrent et crièrent à la trahison, au non respect des contrats. Dix ans après, Boni Yayi lui-même se convainc que le changement promis est loin d’être une réalité et se compare à Moïse qui ne verra pas la terre promise, le soin revenant à Josué d’y conduire le peuple. S’il s’est décarcassé comme il le pouvait, son volontarisme est incontestable, les fruits n’ont généralement pas porté la promesse des fleurs. Pis, des professions de foi aux actes, il y a loin de la coupe aux lèvres. Conséquence, en 2015 et pire qu’en 2005, les Béninois sont de plus en plus dubitatifs des capacités de leurs dirigeants et des acteurs politiques en général à les faire rêver, à les engager sur les sentiers difficiles mais exaltants du travail productif pour le développement. Sur les sentiers de l’édification du citoyen, sur le chantier de la construction du Bénin prospère, le Bénin de l’unité nationale et de la cohésion sociale. Et nous voilà, dix ans après l’avènement de Boni Yayi qui nous promettait «la prospérité partagée, la lutte contre la corruption», etc., à tirer le diable par la queue. La crise est partout visible sauf pour ceux qui ne veulent pas la voir. Les caisses de l’Etat sont vides.
L’école béninoise s’éteint, suffoquant sous le poids des grèves et de la mauvaise qualité de l’enseignement. Le vice ne rend plus hommage à la vertu. Non, les valeurs font plutôt allégeance aux vices. Les concours frauduleux, les cas de détournement massif de deniers publics l’attestent. A la place de sanctions exemplaires, les prévaricateurs sont célébrés comme des héros aux exploits retentissants. L’administration publique reçoit une perfusion d’agents distillés par fraude systémique. Députés, ministres, directeurs centraux et généraux, conseillers, et autres acteurs directs des concours s’emploient, au lieu de donner les mêmes chances aux enfants du Bénin, à distinguer les leurs, qu’ils privilégient et placent, au détriment des autres, réduits au statut de faire-valoir. Eux ont le bon tort de ne connaître personne, la devise étant désormais «Qui connais-tu ?» au lieu de «Que connais-tu ?». Conséquence, la plupart des concours de recrutement d’agents de l’Etat organisés ces dernières années ont été entachés de fraudes industrielles. Les dénonciations des syndicats n’y font rien. Les jeunes, dindons de la farce, sont même empêchés de manifester leur colère. Pour les amadouer, les autorités n’ont de cesse de prêcher que le chômage des jeunes est une bombe à retardement. Elles ne croient pas si bien dire… La preuve, en miniature, leur a été administrée lors des événements de mai dernier à Cotonou, quand le pouvoir a entrepris d’aller arrêter illégalement le député Candide Azannaï pour les amabilités aigres échangées avec le chef de l’Etat en pleine campagne électorale des législatives.
Des dizaines de milliards FCFA
L’énergie électrique, premier secteur d’envergure auquel le régime s’est attaqué dès avril 2006, comme le secteur coton, sont en crise. Les dizaines de milliards de FCFA ingurgitées dans les centrales électriques n’ont pas permis que les Béninois disposent d’électricité sans discontinuer, ni que les statistiques cotonnières s’améliorent substantiellement. Au contraire, c’est au rationnement de l’électricité que le peuple a droit. Et tant pis pour ceux dont les petits commerces épousent la faillite. Côté coton, ce ne sont pas les querelles de l’Etat avec les anciens acteurs privés qui ont arrangé les choses. On vole même l’argent donné par des bailleurs étrangers pour fournir de l’eau potable aux populations béninoises. Sans vergogne. Quand on tombe à ce niveau de déshonneur, la crise de l’éthique est drue. Il faut désespérer de l’humain. Davantage, les institutions de la République et leurs animateurs ne rassurent plus ni de leur impartialité, encore moins de leur capacité à se surpasser pour la cause nationale. Parfois même, ils sont asservis. Le président de la République soi-même dira que «toutes les institutions sont mouillées » sans qu’aucun de leurs membres daignât protester. L’Armée, depuis son retour dans les casernes, est vantée comme républicaine. Ses éléments, respectueux de leur serment, n’osent même pas exprimer leur état d’âme. Les apparences sont sauves même quand le moral est dans les godasses. Nous n’en sommes peut-être pas aux crises qui, ailleurs, justifient leur irruption sur la scène pour remettre les choses en bon ordre. Mais les crises de ces dernières années, entretenues par l’amateurisme et l’entêtement des uns, comme par l’inconscience ou la naïveté des autres, ont suffisamment donné de signaux pour nous alerter qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir. En avons-nous toujours tenu compte ? Nous fonçons plutôt tête baissée, convaincus que « Dieu aime le Bénin ». Comme s’il n’aimait pas ceux qui, ailleurs, ont bâti basiliques et cathédrales géantes à sa gloire. Le tableau serait incomplet si l’on ne mentionne pas les quelques succès glanés de temps à autre dans maints domaines.
Mais voulons-nous le succès ou voulons-nous la réussite ? En fait, tout ce tableau à la limite apocalyptique devrait se lire comme si nous étions en fin de cycle de l’ère instaurée par la Conférence nationale des Forces vives de février 1990 ! Comme si le consensus qui en a résulté s’est effrité au fil du temps. Et pour en rajouter au symbole, le père de cette Conférence nationale, le géniteur du Renouveau démocratique béninois et du consensus national, le général Mathieu Kérékou, a choisi ce moment pour partir rejoindre les ancêtres. Une manière toute caméléonienne de nous dire qu’il faut à nouveau changer de couleur au pays…? Une manière palpable de nous dire que sa partition est totalement épuisée et qu’il nous faut nous inventer un nouveau contrat social tenant compte de sa disparition ? Chose certaine, après les hommages à lui rendus, le moment de sa disparition doit nous inquiéter, nous inviter à la réflexion. Mieux, à la méditation pour en cerner tout le sens afin de nous engager dans la bonne direction…Lui a su jouer sa partition en 1972 pour arrêter la honte du Bénin devenu la risée du monde avec son «monstre à trois têtes ». Il a su constater en 1989 que son pouvoir n’enchantait plus les Béninois et l’a coulé à travers la Conférence nationale des Forces vivres de la nation (1990) pour mieux de repêcher (1996), avant de le quitter définitivement en 2006, sans forcer les velléités révisionnistes aux fins de prolongation de son séjour à la tête du pays. Désormais qu’il n’est plus là, à nous de prendre notre part de responsabilité. Or, nous voilà bien frileux !
Frénésie et inquiétudes.
C’est, au total, le Bénin lui-même qui est en crise, en déliquescence. Il est divisé contre lui-même. C’est un pays où la cohésion sociale, le désir et le sentiment du vivre ensemble sont devenus rachitiques, résiduels. Des citoyens de classe affaire, véritables privilégiés jouissant de l’Etat, de fraudes et passe-droits divers, en imposent aux citoyens ordinaires, situés en dessous même de la classe économique. Deux Bénin cohabitent mais se regardent en chiens de faïence : le Bénin des privilégiés et le Bénin des désabusés. Quand il en va ainsi, c’est que le pays est sur la corde raide et la moindre pression de trop peut provoquer la rupture, faire tout basculer. L’élection présidentielle qui s’annonce ne promet pas de nous éviter cette rupture. Au contraire, elle semble n’attendre que son heure pour nous sortir de notre attentisme, nous tirer de notre profond sommeil, nous désillusionner de nos certitudes trop évidentes selon lesquelles Dieu nous aime plus que tous ses autres fils. Car, à l’évidence, tous les ingrédients semblent se mettre en place pour nous faire vivre des moments autrement douloureux, jamais vécus encore. C’est dans ce contexte en effet, que certains de nos concitoyens, les uns sans doute mus par de nobles intentions et ambitions, les autres par souci de contentement personnel, se proposent de nous diriger à partir du 06 avril 2016.¦
Wilfried Léandre HOUNGBEDJI