Le Bénin aura enregistré en tout une cinquantaine de dossiers de candidature, en vue de la présidentielle du 28 février. Kevin Quenum note dans son blog une forte recomposition de la scène politique, sur la base d’intérêts divergents…Au-delà des petits jeux politiciens tout de même savoureux, c’est le directeur du Trésor Public qui doit se frotter les mains, en cette soirée où les recettes publiques auront connu un grand bon en avant.
Les finances publiques devraient encaisser pas moins de 720 millions de Francs CFA, si toutes les intentions de candidature restaient inchangées.
A l’évidence, la grande surprise de la soirée n’est pas tant la candidature, attendue, de LionelZinsou, que le théâtre qui le coup de théâtre auquel elle a donné lieu.
Le candidat-yovo s’est en effet entouré pour la circonstance, de gros bonnets de la classe politique béninoise que tout, en principe, oppose: Adrien Houngbédji, avec son adversaire lors de la conquête du perchoir, en mai dernier, Komi Koutché, ainsi que quelques pontes FCBE et des éléments du Parti de la Renaissance du Bénin.
Plus qu’un acte d’union, c’est un acte de guerre, dans un contexte marqué par le délitement de l’Union fait la Nation.
Les deux adversaires d’hier, adoubés par des hommes d’affaires qui avaient mis la main à la poche pour les porter au firmament du pouvoir législatif et qui tournent aujourd’hui le dos à leurs ex-mentors!
La classe politique tente de reprendre la main et d’aucuns se mettent à rêver d’un KO au premier tour; d’autres, à redouter une Bérézina.
A ce stade, il n’est plus question d’opposition ou de majorité: c’est une partouze générale où chacun cherche à piocher un pion ou se faire piocher.
Avec la dernière journée du dépôt des candidatures à la CENA, c’est maintenant que s’écrit l’histoire de cette élection, qui promet d’être savoureuse.
Sur la ligne de départ, on retrouve un peu de tout: des revenants, à l’image des anciens ministres Kamarou Fassassi, Marie-Elise Gbèdo, Gatien Houngbédji et Zul Kifl Salami, ou de adepte assumé du culte vaudou, l’inénarrable Bertin Koovi, qui visiblement, va aux élections comme d’autres vont au couvent.
Vaudou
Dans une brève déclaration après l’acceptation de son dossier de candidature par la CENA, « l’Iroko » a en effet estimé avoir « pris la peine d’invoquer les mânes de nos anêtres, appelé le président Maga, appelé le président Kérékou, appelé nos anciens rois, appelé nos divinités », leur demandant expressément qu’avant que la Cour Constitutionnelle ne fasse son choix, que ces divinités fassent la présélection [des candidats, NDLR.] »
Et d’ajouter:
« Si j’étais mort entre-temps, ne me pleurez pas. Mais si d’aucuns meurent, c’est qu’ils ne sont pas qualifiés. »
Chacun sait ce qui lui reste à faire…
Sur la liste des 48 retenus, il y a aussi des frères (Gabriel et Sébastien Ajavon, dans l’ordre de naissance), des maîtres de conférence en grammaire française (Atao Hinnouho), des chorégraphes façon Michael Jackson (Thierry Adjovi), ou encore les trois Mousquetaires et leaders de la fronde anti-Yayi face à la candidature de Lionel Zinsou, etc.
Le décor ainsi planté et, sauf surprise, les cinq grands favoris de cette présidentielle seront donc, Patrice Talon, le premier à s’être lancé dans la course, Lionel Zinsou, son poursuivant immédiat, Sébastien Ajavon, Pascal Koupaki et Abdoulaye Bio Tchané.
L’ordre d’arrivée, quant à lui, sera sans doute légèrement différent…
Il est difficile, au regard de l’hétéroclicité des différentes formations politiques, de faire des projections plus sérieuses.
La seule certitude est que la classe politique béninoise se recompose, une fois encore, non en fonction des débats d’idées, mais sur la base d’intérêts divers exprimés çà et là.
Adrien Houngbédji, pas rancunier pour un sou, ou naïf à l’envi, qui s’était fait chiper la victoire lors de la présidentielle de 2011, en sera pour ses frais.
Il devra expliquer aux Porto-Noviens les raisons qui l’ont poussé à soutenir le candidat de l’ennemi d’hier, Yayi Boni, dont lui-même a par ailleurs mille fois vilipendé la gouvernance, allant jusqu’à qualifier son gouvernement de « gouvernement ventilateur. »
Ses sympathisants lui reprocheront également de ne pas avoir su préparer une relève de qualité qui aurait mis le parti à l’abri d’une alliance contre-nature a priori.
Masochiste
Il est difficile de savoir quel est le calcul politique d’Adrien Houngbédji, mais quelques pistes, qui tiennent à tout, sauf à la politique, peuvent aider à comprendre cette attitude…
Mais pour tous ceux qui en douteraient encore, l’homme a sans doute un fond de masochisme qu’il expose au grand jour.
Car comment comprendre que lui l’élu de 2011, entre-temps auto-proclamé président, lui l’homme du refus de la compromission, se retrouve autour de la même marmite que le même Yayi Boni qu’il a tant vilipendé?
Cela étant, il est important de noter le contexte particulier dans lequel la formation arc-en-ciel aborde la présidentielle de 2016.
Un cadre du parti confiait récemment à Afrika 7 que les apparatchiks étaient fatigués de rester dans l’opposition.
« Dix ans d’opposition, c’est trop! », avait-il estimé.
Le PRD veut donc aller à la soupe et on peut le comprendre.
Reste que l’idée force qui subsistera chez les militants est que Me Adrien Houngbédji a trahi l’idéal du PRD.
« A quoi aura-t-il servi de s’opposer autant à Yayi Boni avec autant de verve si, en définitive, c’est pour se ranger dare-dare à ses côtés? » s’interrogeait un militant, hier soir.
Toujours est-il que Lionel Zinsou, sous ses airs de gentil garçon, aura montré qu’il est un requin aux langues dents en réussissant le pari de mobiliser au-delà de sa formation d’origine, l’alliance FCBE, comme il l’avait souhaité, il y a quelques mois.
A l’occasion, on découvre aussi avec admiration les talents politiques de Yayi Boni, capable de perdre une élection et de s’en proclamer pourtant vainqueur, avant d’assujettir complètement le vrai vainqueur, Adrien Houngbédji.
Il est, à cet égard, impératif pour tous les autres candidats, de savoir que le 28 février ne sa pas une promenade de santé…
En face de l’alliance PRD-FCBE-RB, l’Union fait la Nation n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Divisée à l’infini, émiettée, son influence s’est réduite comme peau de chagrin, après sa décision de ne pas désigner un candidat interne pour porter ses couleurs le 28 février.
Elle paiera cash cette décision: non seulement certains de ses poids lourds ont maigri en quelques jours, mais ses deux candidats à la candidature suivent désormais chacun son petit bout de chemin: Eric Houndété maintient ainsi sa candidature – un acte qui, somme toute, marque une certaine maturité politique -, tandis qu’Emmanuel Golou a préféré jeter l’éponge.
La Renaissance du Bénin, pour sa part, se retrouve dans le même schéma que le PRD: incapable d’aligner un candidat, elle est obligée d’aller pêcher dans les eaux troubles du Changement.
Le maire de Cotonou commet en outre un parricide, car sa décision prend le contrepied parfait des positions publiques exprimées par son père.
Famille atypique s’il en est, puisqu’avant Léhady, Galiou, le petit frère, avait fait le pied de nez à ses parents, en allant se rallier à un certain… Yayi Boni.
Pour le reste, la feuille de match présentée à la CENA n’a finalement ceci d’original qu’elle est un assemblage rapide d’ingrédients incompatibles et de sons dissonnants.
Mais ainsi va la politique sous les tropiques: plus que tout, c’est l’intérêt du ventre qui compte.
L’intérêt national attendra.
Cela aussi fait partie de l’un des principaux chantiers du futur président, à condition qu’il oeuvre pour une vraie rupture.
Par Kevin Quenum