Président en fin de mandat, Yayi Boni, a négocié et obtenu la candidature de Lionel Zinsou, financier internationalement reconnu. En dehors du néocolonialisme craint par les citoyens béninois, du fait de son séjour continu en Europe, l’autre risque est celui de l’appauvrissement du pays qu’il aspire diriger. Et pour cause, sa gouvernance pourrait être tournée vers l’extérieur.
Le Bénin court deux grands risques en élisant le Franco-béninois, candidat du président sortant Yayi Boni. Imposé aux Forces cauris pour un Bénin émergent (Fcbe), la base était déjà faussée. Le vice-premier ministre, pour certifier que la désignation du premier ministre est une imposition de l’homme fort de la Marina, François Adébayo Abiola avait déclaré à ses militants et sympathisants au cours d’une rencontre d’explication à Sakété, ce qui suit : « Je ne suis pas le candidat désigné. C’est un autre qui a été dési-gné par le chef. » Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le leader poli-tique de Sakété a abdiqué, prétextant qu’il ne s’agissait ni de l’humiliation, ni de la soumission. Car celui qui est choisi appartient au système qu’il a voulu perpétuer à travers le slogan « après nous, c’est nous. » Lionel Zinsou a été aussi la pièce de rechange qui a valablement substitué au potentiel candidat Komi Koutché au profit de qui, une décision de la Cour constitu-tionnelle, en date du 16 juillet 2015, serait probablement rendue. Ainsi, le professeur et grand banquier international, parachuté de la Gaule, enfile la tenue de combat pour en découdre avec les us et coutumes d’une patrie à laquelle il est un parfait inconnu. Par l’entremise de ses conférences publiques en France, il a donné éloquemment la preuve, par ses belles envolées lyriques, qu’il partageait à tous points de vue la culture occidentale au détriment de celle d’Afrique. Une telle personne, à la tête du Bénin, considéré par elle comme un pays d’un continent appartenant à l’Europe, est forcément craint. C’est à juste titre que des ténors qui ont soutenu, pendant une décennie, le pouvoir Yayi, le traitent d’halogène. Un adage français ne dit-il pas « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ? Les réalités au Nord de la Méditerranée ne sont pas identiques à celles se trouvant au Sud du Sahara. Il en découle qu’il y a un risque de confier la gestion d’un pays, désormais en déliquescence, à un président qui ne connaît pas le sens de la circulation des eaux du fleuve Ouémé dont la crue provoque des inondations cycliques et récurrentes à Cotonou et dans la vallée. Voilà pourquoi avec le Dr Sabbas Attindéhou, dans son livre intitulé « le Cul du héron blanc », beaucoup de Béninois pensent que, malgré l’agacement engendré par une gestion peu orthodoxe des ressources humaines et financières, « toutes les matières grises sous notre République ne doivent pas se résigner à l’inaction. » Le Dr Attindéhou ajoute qu’il était une fois, il crut voir venir un masque oxygénant, mais ce fut un arsenal de bâillonnement. Martin Luther King dira plutôt que « le pire, ce n’est pas la méchanceté des hommes mauvais, mais le silence des hommes bons ».
Le risque des affaires économiques
Dans un rapport sur la nébuleuse et sulfureuse affaire dite Kovacs, des commissaires sont parvenus à la conclusion selon laquelle, cette affaire qui a secoué le régime révolutionnaire du 26 octobre 1972 « est, en résumé, le plus bel exemple des ravages qu’exerce la corruption sur la vie économique, politique et administrative des pays du tiers-monde. Elle contribue non seule-ment à discréditer l’autorité, mais facilite également sa manipulation par des forces extérieures. » Et le Bénin y est presque avec la candidature de Lionel Zinsou à la présidentielle de 2016. L’homme appartient à des cercles finan-ciers de la bourgeoisie compradore. Le président Yayi Boni a obtenu la candidature de Lionel Zinsou, censé poursuivre son œuvre, contre sa capacité à pouvoir financer personnellement l’entièreté de sa campagne électorale. Selon feu Mathieu Kérékou, la propagande électorale coûte une fortune, et se chiffre en termes de milliards. Alors lorsqu’on connaît ce préalable, qui fait intervenir des transactions occultes entre les partenaires politiques, on peut parier que pour un banquier de haut niveau, qui accède à la magistrature su-prême, le premier réflexe serait de rentabiliser l’investissement effectué. On assistera certainement à un système financier qui fera échapper les gros fi-nancements aux nationaux au profit des opérateurs économiques expatriés, plus nantis de la famille de la grande loge nationale française. Celui qui en-seigne l’appartenance de l’Afrique à l’Europe serait à même de mettre en œuvre la politique de la soumission du continent à partir d’un des pays où la paupérisation est la chose la mieux partagée. En conséquence, comme le souligne un rapport sur l’affaire Kovacs, « la confiance dans les intentions des gouvernements qui peut avoir existé se dissipe alors en un cynisme géné-ral, élargissant dangereusement le fossé entre ceux-ci et les gouvernés. Ainsi se crée et se perpétue une atmosphère d’incertitude et d’insécurité et même la crainte de changements inévitables et violents ».
L’histoire va-t-elle se répéter ?
Tout comme l’homme d’affaires français, Louis Kovacs, qui a entretenu la corruption au sommet du jeune Etat dahoméen, entre 1963 et 1974, à quelque différence près, l’élection de Lionel Zinsou bousculera forcément les données. Comme le révèle le rapport sur cette affaire, « c’est la première fois au Dahomey qu’est aussi clairement mis en lumière, l’intervention de cer-tains Etats et intérêts étrangers dans la vie intérieure de notre pays dont ils font et défont les gouvernements. » Le document poursuit en disant que « La référence à l’impérialisme international et à ses agents locaux n’est donc pas une figure de rhétorique. Les Dahoméens qui, à l’aide de l’étranger, poignardent dans le dos leur propre patrie, ont désormais pour nous, un nom et un visage. » Cette dernière séquence donne l’image de ce dont les Béninois assistent en ces moments de précampagne électorale. Ce qui n’a pas été dit jusque-là par le président Yayi Boni, et qui est gardé secret, c’est ce qui a pu justifier fondamentalement le choix du patriote Lionel Zinsou alors que des collaborateurs de longues dates s’étaient apprêtés pour lui succéder. Le professeur Abiola l’a bien signifié à Sakété. Les nombreuses réactions de protestation contre ce choix et la flopée de candidatures issues des rangs des Fcbe à la présidentielle en disent long. Le choix de Lionel Zinsou est-il conclu pour se protéger de l’épineuse et ruineuse affaire Icc-services ? Il n’est pas exclu que cela soit l’une des raisons. Les ambitions des fidèles militants des Fcbe ont été sacrifiées sur l’autel d’un deal qui tarde à révéler à la face du monde les termes du contrat. Faut-il le rappeler, Icc-service est une affaire de prévarication résultant de la collecte illégale de plus de 156 milliards de francs Cfa correspondant à environ 5% du produit intérieur bruit du Bénin. Plus de 150 mille personnes ont été spoliées dans ce scandale indigne d’un banquier. Pour ne pas rendre gorge, la parade est trouvée avec Lionel Zin-sou.
Jean-Claude Kouagou