Le procès de l’affaire relative à l’assassinat du pharmacien Clément Adanlin Lissanon, dont le corps a été retrouvé dans une fosse à Malanville en mai 2014, a démarré jeudi 21 janvier à la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou. Deux accusés : le fils et l’épouse du défunt ont comparu. Ils nient les faits de parricide et de complicité de parricide mis à leur charge.
Jean-Marie Adanlin Lissanon dit «John», revendeur, 23 ans, est accusé d’avoir tué à Malanville son père Clément Adanlin Lissanon, docteur pharmacien, propriétaire de la «Pharmacie du Sahel». Inna Mikhaïlovna Sazonova, Ukrainienne, 46 ans, commerçante, épouse du défunt, et Bruno Mahinou, Béninois, 26 ans, cuisinier, sont inculpés comme ses complices. Les deux premiers sont écroués depuis le 8 mai 2014. Quant au troisième, il est appréhendé et mis sous mandat de dépôt le11 juillet 2014. Par arrêt n°157/15 en date du 23 novembre 2015 de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Parakou, ils ont été renvoyés devant la Cour d’assises pour y être jugés conformément à la loi, dans le cadre du dossier n°085/PG-15.
Le parricide est prévu et puni par les articles 295, 299 et 302 du code pénal. L’article 295 dispose : «L’homicide commis volontairement est qualifié meurtre » et l’article 299 précise : «Est qualifié parricide le meurtre des pères ou mères légitimes, naturels ou adoptifs, ou de tout ascendant légitime». «Tout coupable d’assassinat, de parricide et d’empoisonnement sera puni de mort...», stipule l’article 302 alinéa 1er. Au terme des articles 59 et 60 du même code, les complices encourent les mêmes peines que le (s) auteur(s).
La Cour qui connaît de l’affaire, est présidée par Pascal Dakin assisté de Saturnin D. Afaton et Aboudou Ramanou Ali. Elle est également composée des jurés Dominique Dah Sougni, Jean-Eudes Gbaguidi, Imorou Abdoulaye et Clarisse Mandopa Dogo. Le fauteuil du ministère public est occupé par Delphin Chibozo. Maîtres Mohamed Orou Barè et Iréné H. Gassi sont chargés de défendre les accusés. Les intérêts de la partie civile sont assurés par Me Yves Kossou. Me Brice Dossou-Yovo est le greffier de l’audience.
Les faits
Le dimanche 4 mai 2014 aux environs de 11 h à Malanville, le sieur Clément Adanlin Lissanon, docteur pharmacien, propriétaire de la pharmacie du Sahel, s’est retiré de l’officine pour sa chambre sise à l’étage de l’immeuble abritant la pharmacie. Quelques instants après, son fils Jean-Marie alias John était arrivé dans l’officine acheter, à défaut de Tranxène injectable, du valium injectable et deux seringues en disant aux employés qu’il allait traiter un chien malade. Il était si pressé qu’il n’avait pas pris soin d’attendre le reliquat de l’argent par lui remis. C’est bien après qu’il est revenu, tout en sueur, chercher ledit reliquat.
Le soir, sa mère, dame Inna Mikhaïlovna Sazonova, fit appel à l’un des employés, le nommé Morel Aïzon, pour lui signifier qu’elle a réglé le différend qui l’oppose à son époux et que désormais, elle est chargée de récupérer les recettes et les clés de la pharmacie et qu’on devait lui faire un inventaire. L’employé a composé le numéro du portable de son patron qui a sonné en vain, et dame Inna Mikhaï-lovna Sazonova d’ajouter que son mari s’est rendu au Niger. Le nommé Jean-Marie Adanlin Lissanon alias John qui assistait à la conversation entre sa mère et l’employé Morel Aïzon se rend à l’officine porter l’information aux agents qui étaient de garde.
A ce moment précis, le sieur Didier Adanlin, frère cadet du docteur pharmacien venait acheter un produit et les employés lui exposèrent leurs préoccupations.
Il leur demanda de s’exécuter, puisqu’il s’agissait de l’épouse et du fils de leur patron qui le leur exigeaient. Ainsi, à la fermeture ce dimanche, une somme de huit cent dix-huit mille cinquante cinq (818 055) francs CFA et les clés de la pharmacie ont été remises à dame Sazonova contre décharge.
Les recherches entreprises par les employés et les frères du pharmacien pour avoir des nouvelles de Clément Adanlin se sont révélées infructueuses. Ils portèrent alors les faits à la connaissance du commissariat de police le 6 mai 2014.
Le transport effectué par les éléments de la police au domicile du disparu a permis de découvrir les cendres d’une mallette et de documents brûlés. De même, les traces de pneus d’un véhicule à bras appelé communément pousse-pousse ont été relevées sur le portail nord de la maison.
Interrogé sur l’origine du foyer de feu éteint et les traces de pneus de pousse-pousse, Jean-Marie alias John reconnaît en être l’auteur et explique avoir fait sortir, par ce portail, des cartons inutiles dans un pousse-pousse pour les brûler.
Au bord du marigot du quartier, l’officier de police judiciaire a retrouvé une paire de chaussures couvertes de boue identique à celle retrouvée sur les pneus du pousse-pousse. La paire de chaussures appartiendrait à John selon les voisins, ce que l’intéressé a réfuté.
Sur ces entrefaites, des soupçons furent portés sur Jean-Marie Adanlin Lissanon alias John et sa mère Inna Mikhaïlovna Sazonova qui ont été interpellés.
Pendant que le juge des libertés et de la détention statuait sur l’opportunité du placement en détention provisoire des mis en cause, l’officier de police judiciaire chargé de l’enquête a été informé de la présence d’une fosse nouvellement creusée sur les tas d’ordures non loin du domicile du disparu.
Le transport effectué sur les lieux a permis de découvrir le corps sans vie du docteur pharmacien Clément Adanlin Lissanon, emballé dans une toile cirée, dans un état de putréfaction.
Poursuivis et inculpés de parricide et complicité de parricide, Jean-Marie Adanlin Lissanon alias John et sa mère Inna Mikhailovna Sazonova n’ont pas reconnu les faits.
A l’audience
La salle d’audience quasi-déserte depuis le début de la deuxième session ordinaire de la Cour d’assises de la Cour d’appel de Parakou, était archicomble jeudi 21 janvier à l’ouverture du procès relatif au dossier n°085/PG-15 : ministère public contre les nommés Jean-Marie Adanlin Lissanon, Inna Mikhailona Sazonova et Bruno Mahinou. Les frères et sœurs du défunt et autres parents alliés et amis ont effectué le déplacement. Une demi-douzaine de témoins est appelée à la barre. Ils ont répondu présents pour la plupart. La partie civile est également présente en la personne de Dieudonné Adanlin. Mais une liste de tous ceux qui prétendent être de la partie civile est versée au dossier. Ils sont sept présents, à l’appel.
A l’entame de l’audience, les avocats de la défense ont soulevé un certain nombre de préoccupations. Me Mohamed Orou Barè insiste pour que le nommé Daniel Adanlin soit convoqué pour être entendu. Aussi, demande-t-il de faire comparaître le médecin qui aurait réalisé la toxicologie du sang prélevé sur la victime. Le procès-verbal d’interrogatoire au fond de l’accusé Jean-Marie à sa possession serait incomplet et il réclame la partie manquante.
Jean-Marie Adanlin Lissanon inculpé pour parricide, est le premier à la barre. Il réfute d’emblée les faits qui lui sont reprochés, comme aux autres étapes de la procédure. « Je n’ai pas donné la mort à mon père. Je ne sais pas ce qui s’est passé », affirme-t-il. L’inculpé reconnaît tout de même qu’il ne s’entendait plus avec son feu père au point où il a dû abandonner les études en 1ère année d’université et quitter la maison pour aller louer un appartement. Il dit avoir vu son père depuis trois mois avant son assassinat. Dans la nuit du samedi 3 mai au dimanche 4 mai 2014, il dit avoir aperçu son père dans son bureau vers 1h, quand sa mère l’a appelé parce qu’elle ne se sentirait pas bien. Le dimanche dans la matinée, il dit l’avoir également vu dans l’officine avec un sachet en main. Au sujet de leurs différends, Jean-Marie fait savoir qu’après une série de quatre accidents, son papa était devenu «comme fou», crie sur tout le monde à la moindre chose et est devenu agressif. Le fils dit avoir été même giflé une fois par le père. C’est depuis ce temps que les relations se sont sérieusement dégradées. Un ami du père aurait tenté courant les vacances de 2013 de réconcilier la famille, suite à un climat très tendu dans le foyer et des SMS de menaces que Jean-Marie aurait envoyés à plusieurs reprises à son géniteur. «C’est faux», réfute Jean-Marie. « Mon père et moi, nous ne nous entendions pas ; mais ce n’est pas du genre qu’on allait se tuer. Ce n’est pas la guerre», avance-t-il. Cette déclaration paraît tout à fait contraire au contenu des SMS dans lesquels il écrivait, selon Patrice H., ami du père défunt, «Tu veux m’envoyer à l’extérieur pour pouvoir maltraiter ma mère...Cette guerre que tu as ouverte, nous la ferons et nous verrons qui va gagner».
Des indices
«Je n’ai pas tué mon mari. Je ne suis pas complice de ce qui lui est arrivé», laisse entendre, pour sa part, Inna Mikhaïlovna Sazonova, épouse du défunt et mère de Jean-Marie. Elle dit même douter jusqu’à présent qu’il soit mort. Le climat dans la famille s’est détérioré depuis plusieurs mois avant la découverte du corps sans vie du pharmacien Clément Adanlin Lissanon, confirme-t-elle. Curieusement et subitement, le jour où le docteur pharmacien a été vu pour la dernière fois par ses employés, parce qu’il somnolait et est monté dans sa chambre, Inna Mikhaïlovna Sazonova reconnaît avoir dit aux employés qu’elle a réglé le différend entre elle et son mari et que c’est à elle que désormais se feront les points. Le point de la vente de cette journée et les clés de l’officine lui ont été remis sur décharge. Elle certifie qu’un frère du défunt tombé dans la discussion a demandé aux employés de s’exécuter ; ces derniers ont tenté en vain de joindre leur patron avant de remettre les sous et les clés. L’épouse du défunt confirme qu’elle a passé deux nuits chez son fils, alors qu’elle n’en avait pas l’habitude, même quand son mari était en voyage. A la question de savoir pourquoi elle l’a fait, elle dit qu’elle avait peur. Peur de quoi ? L’inculpée avance comme argument qu’elle avait constaté des mouvements suspects et a demandé au gardien mais celui-ci lui a dit qu’il n’y a personne.
Malgré le climat ‘’délétère’’, elle aurait reçu des soins de la part du pharmacien alors qu’elle se trouvait le dimanche 4 mai au domicile de Jean-Marie que le père ne connaissait pas, selon les deux accusés. Le nommé Jean-Marie dit être monté alors que son père se reposait à l’étage, pour aller prendre un drap que sa mère lui a demandé de chercher, alors qu’il n’avait plus l’habitude de monter au domicile depuis des lustres. Les employés de la pharmacie confient qu’il est venu payer du valium et est monté sans prendre son reliquat, avant de revenir tout en sueur plus tard. « J’étais déjà en sueur avant d’arriver à la pharmacie », avance-t-il.
Entre samedi et lundi, Jean-Marie reconnaît avoir fait trois foyers différents pour brûler des objets divers, notamment dans un carré inachevé du père. Aussi, un portail presqu’inusité, a-t-il été utilisé dans la période voisine des faits et des traces de pneus de pousse-pousse ont-elles été décelées.
La fosse de 2m de profondeur où le défunt a été enfoui se situe derrière la maison d’un fossoyeur reconnu à Malanville. C’est lui qui lave le corps des chrétiens à Malanville, indique Jean-Marie Lissanon. Il semble accuser la famille de son père. La qualité de vie de certains oncles a changé radicalement et ceux qui n’avaient pas de moto en ont subitement acquis, insinue-t-il.
Jean-Marie Adanlin Lissanon dit avoir retrouvé sur sa terrasse un téléphone portable qu’il a tenté d’allumer en vain, pendant que les recherches se poursuivaient pour retrouver son père disparu. «J’ai ouvert le portable et il n’y avait pas de batterie ». Ce téléphone, l’accusé demandera à son épouse de le remettre à un certain Bruno Mahinou, le troisième accusé, pour que ce dernier le jette dans une fosse sceptique. C’est ce qui a amené à l’arrestation du sieur Bruno Mahinou qui n’a pas encore planché. Certainement, il sera à la barre ce jour pour dire ce qu’il sait de l’affaire assassinat du sieur Clément Adanlin Lissanon. Le suspens reste entier quant aux circonstances, aux mobiles et aux auteurs et complices du crime odieux sur le pharmacien de Malanville. ?