L’ancienne ministre de la le Justice tient à une élection présidentielle transparente, juste et équitable au Bénin. Dans un post sur sa page Facebook, Reckya Madougou a exigé la démission du Premier ministre, Lionel Zinsou, officiellement engagé dans la course à la Marina avec la validation de sa candidature par la Cour constitutionnelle.
Mesdames et messieurs,
Chers compatriotes,
J’avais espéré ne pas avoir à me prononcer publiquement, eu égard à une ligne que je me suis imposée depuis août 2013 (après ma sortie du gouvernement alors même que de l’intérieur, auparavant, je faisais partie de ceux qui ne la bouclaient guère), me contentant désormais d’exprimer directement mes opinions au Chef de l’Etat ou aux personnalités concernées par mes suggestions. Mais la surdité et la cécité actuelles de mes interlocuteurs ne me laissent d’autre choix que le présent canal. Au mieux, je caressais le vœu de célébrer, avec vous, dans l’allégresse, la sortie par la grande porte du Président Boni Yayi ainsi que je l’annonçais déjà antérieurement, tant il s’est donné à l’œuvre de la construction du Bénin.
Par exemple, lorsque les soupçons de rêve d’un troisième mandat - pourtant fermement proscrit par notre Constitution, mais voulu en sourdine par certains thuriféraires - se faisaient insistant, je n’ai pas manqué à maintes occasions d’aborder le sujet clairement avec le Président de la République, en lui rappelant le désastre qu’une telle tentative constituerait pour notre démocratie et surtout pour son image, après qu’il se soit sacrifié pour notre pays. J’avais aussi publiquement exprimé ma position à l’époque. Notre échange le plus mémorable sur le sujet aura duré 2 heures d’horloge et s’est déroulé le 14 octobre 2014 en présence de quelques témoins qui s’en souviendront en me lisant. Fort heureusement, il m’a toujours rassurée et réitéré son désir ardent de ne pas tenter une telle mésaventure, en récusant toutes les intentions qui lui étaient prêtées en la matière et que je lui ai énumérées, les unes après les autres. Je suis sortie de cette entrevue confiante en sa bonne foi qu’il n’a d’ailleurs pas trahie à ce propos.
J’avais alors nourri l’espoir que notre pays connaîtra un changement de régime, des plus paisibles. Hélas, me voici de nouveau associant ma voix à la protestation en m’indignant de la ruée massive vers l’or, à laquelle s’adonne une certaine classe politique. Parce que notre pays est à un tournant décisif de son histoire, la femme engagée que je suis ne saurait y rester insensible.
La Cour constitutionnelle a rendu publique la liste des candidats à l’élection présidentielle de février 2016. A cet effet, s’il est loisible de constater la pléthore de candidatures, dont certaines resteront minablement anecdotiques et sans égard pour l’image de la République, il est tout aussi aisé de relever que, pour la première fois de notre histoire, le chef de l’Etat sortant a son candidat qu’il soutient très officiellement. Une démarche qui induit, hélas, une fâcheuse tendance à se servir des moyens de l’État pour faire campagne, faussant ainsi le jeu démocratique qui impose l’équité. D’autant que ce mélange des genres s’illustre notamment par une confusion voulue et entretenue entre les fonctions de premier ministre et les activités propagandistes du candidat.
De lourdes conséquences pour le Bénin
Est-il besoin de rappeler que ce chevauchement des rôles a provoqué la perte d’un hélicoptère à notre pays ? Est-il utile d’indiquer que le Chef de l’Etat en personne, institution de la République, sillonne le pays et bat campagne pour son candidat ? J’avais pris sur moi d’en discuter avec le Président Boni Yayi et il m’a assurée de ce qu’il loue à ses propres frais l’hélicoptère le transportant aux fins de promouvoir son dauphin désigné. Cependant, les cortèges de ministres et cadres de l’administration publique tenus d’être présents à tous ses déplacements officiels s’y rendent pour la plupart avec le matériel roulant du garage central de notre pays, pour n’évoquer que cet aspect.
On ne le dira jamais assez, tous ces agissements violent les dispositions des articles 62 et suivants du code électoral. Mais il semble que tous nos cris à cet effet restent inaudibles.
Par ailleurs, j’observe que le débat politique se cristallise de plus en plus et à tort sur les origines du premier ministre candidat du chef de l’Etat sortant. Ce débat malheureux cache mal la déception que représente une personnalité qui avait tout pour mériter et imposer respect. Son brillant parcours à lui tout seul constituait un atout concurrentiel substantiel par lequel il pouvait distancer nombre de ses challengers, sans même avoir recours à des raccourcis attentatoires à la démocratie et à une gouvernance exemplaire. Au risque de décevoir certains, pour moi, la double culture de monsieur Lionel Zinsou n’est pas un handicap, mais plutôt une richesse. A ce titre, je croyais et espérais donc qu’il s’inspirerait des principes démocratiques dans lesquels il a longtemps été moulu dans sa première patrie, la France, qu’il a longuement servie avant le Bénin et qui fait partie des plus grandes et vieilles nations démocratiques au monde. Lesdits principes ont pour fondement l’égalité et pour implications l’équité, la transparence, la bonne gouvernance.
J’avoue avoir secrètement espéré que monsieur Lionel Zinsou soit l’oiseau rare qui rompt avec les vilaines méthodes politiciennes nous conduisant aujourd’hui à l’abattoir.
Voilà, malencontreusement cette remarquable personnalité qui s’enlise dans les conflits d’intérêts et le non-respect de nos textes, voire de notre fierté. Le voilà profitant de la déchéance morale ambiante pour s’offrir, lui aussi, avec les moyens colossaux que tout le monde sait, les partis politiques établis et respectés, ainsi que des personnalités auparavant respectées.
Lionel Zinsou : La démission ou rien
Par respect pour les Béninois que nous sommes et qu’il aspire à diriger, j’exige de monsieur Zinsou, et ce, en tant que citoyenne et contribuable,
1- qu’il démissionne sans délai de son poste de premier ministre afin que le jeu soit équitable pour tous les candidats et pour sauver son honneur, ce qui nous démontrera son attachement à la promotion d’une gouvernance de qualité ;
2- qu’il restaure sa/notre fierté de Béninois en faisant rectifier sur la chaîne de télévision française Tfi, cette infamante affirmation dans un élément diffusé à sa gloire : "c’est le seul Français à la tête d’un Etat africain" ; la double nationalité n’autorise pas un tel mépris pour les compétences béninoises ;
3- qu’il rétablisse la vérité en France et de façon honnête en corrigeant cette bourde qui lui a fait annoncer à des assises de l’Ump que " l’Afrique appartient à l’Europe qui l’ignore" et qu’il présente des excuses publiques à l’endroit de l’Afrique toute entière pour un tel déni de sa douloureuse histoire.
L’autre préoccupation inquiétante à laquelle ma conscience refuse de céder est qu’une rumeur de fraude intelligente s’installe. Les dés seraient pipés à l’avance, et c’est ce qui justifierait le débauchage sauvage auquel nous avons récemment assisté.
En outre, alors même que la loi lui interdit d’avoir à émettre une opinion partisane sur les élections, le président du Cos-Lépi, dont le parti s’est d’ailleurs associé à la candidature du premier ministre, s’est autorisé, en dépit de la réserve à laquelle il est astreint, à annoncer un hypothétique "K.o" au profit de celui-ci. En l’espèce, il convient de fustiger fermement une telle déclaration et inviter les instances de régulation des élections à prendre en amont leurs responsabilités, afin d’éviter de tels écarts qui sont de nature à rendre précaire la tolérance et la paix dans notre pays, en ce qu’ils présentent de sérieux motifs d’embrasement d’une atmosphère, déjà très, clivante, au demeurant, exaspérante.
Je voudrais enfin inviter le Chef de l’Etat, dont je ne doute pas de la volonté à laisser un pays de concorde, à ne pas permettre aux vicissitudes de la vie dont il a été l’objet, d’éroder son sens de l’honneur. Autrement, il serait à raison tenu responsable des conséquences graves qui pointent à l’horizon, en cas de telles forfaitures.
Je sais que dans les minutes et dans les heures qui suivront la présente, je serai soumise à lynchages et pressions multiformes comme j’en ai déjà eu les prémices dès la publication de mon précédent texte annonçant que je ne tarderai pas à me prononcer. J’y suis préparée et parée. Je ne crains que mon Créateur. Je ne crains rien ni personne sur cette terre, et cela, le Président Boni Yayi le sait bien. Il sait jusqu’où je peux porter mes convictions, pour l’avoir fidèlement soutenu, lui, pendant ses deux mandats, y compris avant mon entrée au gouvernement et après mon départ, et ce, tout en refusant la faveur d’un redéploiement ou "recasement". Pour ainsi dire, l’on peut servir son pays à tous les niveaux et qu’aucune forme de représailles ne freine nos actions.
Vive le Bénin !