La Cour constitutionnelle, par la présente décision, déclare irrecevable recours en invalidation de la candidature de Messieurs Sébastien Germain Ajavon, Patrice Talon et Moudjaïdou Soumanou formulée par Monsieur Sylvain G. Tossou. Lire la décision.
Décision Ep 16-013 du 09 février 2016
La Cour constitutionnelle,
VU la loi n° 90-032 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin ;
VU la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001 ;
VU la loi n° 2001-021 du 21 février 2003 portant charte des partis politiques en République du Bénin ;
VU la loi n° 2013-06 du 25 novembre 2013 portant code électoral en République du Bénin ;
VU le décret n° 2014-118 du 17 février 2014 portant attributions, organisation et fonctionnement du secrétariat général de la Cour constitutionnelle ;
VU le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle ;
VU le décret n° 2015-248 du 06 mai 2015 portant convocation du corps électoral pour l’élection du président de la République ;
Ensemble les pièces du dossier ;
Ouï le Professeur Théodore HOLO en son rapport ;
Après en avoir délibéré,
Considérant que par une requête du 27 janvier 2016 enregistrée à son secrétariat général à la même date sous le numéro 0200/011/EP, Monsieur Sylvain G. TOSSOU forme un recours en invalidation de la candidature de Messieurs Sébastien Germain AJAVON, Patrice TALON et Moudjaïdou SOUMANOU ;
CONTENU DU RECOURS
Considérant que le requérant expose : « Aux termes de l’article 44 de la Constitution, « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République s’il :
- n’est de nationalité béninoise de naissance ou acquise depuis au moins dix ans ;
- n’est de bonne moralité et d’une grande probité ;
- ne jouit de tous ses droits civils et politiques ;
- n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de dépôt de sa candidature ;
- ne réside sur le territoire de la République du Bénin au moment des élections ;
- ne jouit d’un état complet de bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois médecins assermentés désignés par la Cour constitutionnelle. « ;
Il s’agit des conditions cumulatives que doit remplir tout candidat aux fonctions de président de la République du Bénin. Si la nationalité peut être prouvée par un certificat de nationalité, la jouissance des droits civils et politiques par un casier judiciaire, l’âge par un acte de naissance, la résidence par un certificat de résidence, l’état complet de bien-être physique et mental par un certificat médical, la moralité se définit comme l’adéquation d’une action, d’un fait etc. à une morale. C’est aussi une attitude, une conduite, la conformité aux principes, aux règles de la morale. C’est encore la conduite morale d’un individu … Elle a une portée plus profonde que la règle de droit. La règle morale est une règle de perfectionnement des consciences, de chaque conscience en particulier. Il en résulte qu’elle envisage nos devoirs et tous les devoirs que la conscience commande. La règle de morale ne peut être formulée que dans des principes très généraux. Elle est une règle de conduite individuelle qui s’adresse à la conscience de l’Homme et, en dehors de toute contrainte, lui propose à la fois, un idéal de justice et de charité. Elle s’adresse en effet à la conscience de chacun et ne saurait par suite présenter pour chacun, les mêmes exigences. En raison du but même qu’elle poursuit, la règle de morale ne peut comporter qu’une sanction toute interne. Or, cette sanction est socialement inefficace, dans l’impossibilité où elle est de retenir ceux qui n’ont ni conscience ni religion. Elle est donc inapte à donner la sécurité. C’est là que réside le motif essentiel de la nécessité du droit à côté de la morale. Ainsi, si la règle de droit sanctionnée par la contrainte n’existait pas, il n’y aurait plus de sécurité et il n’y aurait plus de justice. Le droit et la morale poursuivent dans ce cas le même but… » ;
Considérant qu’il affirme « A cet effet, Monsieur Sébastien Germain AJAVON, directeur de société …, candidat à l’élection présidentielle du 28 février 2016, dont la CENA a retenu la candidature, a été auteur de tortures, sévices et traitements cruels inhumains et dégradants infligés à Monsieur René TINGBO, son employé, à qui il reprochait d’avoir volé un montant de trente-neuf millions (39 000 000) de francs le 26 juin 2000. Il a … arrêté son employé, assisté de ses agents de sécurité, l’a battu et jeté dans une chambre froide, pieds et mains ligotés avant de le conduire … au Commissariat central de Cotonou. Cet acte a été constaté et déclaré par votre juridiction comme violant la Constitution. Il en ressort que Monsieur Sébastien Germain AJAVON s’était fait justice alors que la bonne moralité lui recommande un idéal de justice dont les institutions juridictionnelles sont garantes. Si la victime avait
saisi une juridiction correctionnelle, cette dernière n’ignorerait pas la décision de la Cour constitutionnelle et aurait condamné Monsieur Sébastien AJAVON à une peine privative de liberté, vu la gravité des faits qu’il a commis. En se comportant ainsi, envers un citoyen béninois, il n’est plus de bonne moralité conformément à l’article 44, 2ème tiret qui définit les conditions à remplir pour
être président de la République au Bénin. Par ailleurs, le président de la République est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité territoriale et du respect de la Constitution, des traités et accords internationaux…
La Constitution étant aussi l’expression de la conscience collective du peuple, le droit de la respecter consacre des règles identiques à celles de la morale. Par conséquent, tout citoyen qui se rend justice n’est plus de bonne moralité pour garantir le respect de la Constitution. Si sans être président, Monsieur Sébastien Germain AJAVON a eu à méconnaître aussi gravement la Constitution, il n’est plus moralement apte à en assurer le respect une fois élu président. Qu’il plaise alors à la Cour constitutionnelle de rejeter sa candidature. » ;
Considérant qu’il poursuit : « En ce qui concerne Monsieur Patrice TALON, il a été accusé en 2012 par le chef de l’Etat d’avoir tenté de l’empoisonner. Si l’ordonnance rendue par le juge en charge du dossier en mai 2013 a conclu à un non-lieu, il ressort de sa lecture croisée et décroisée que les prévenus arrêtés dans ladite affaire : Moudjaïdou SOUMANOU, Zoubérath KORA et Ibrahim MAMA CISSE ont reconnu les faits. En les reconnaissant devant l’officier de police judiciaire et devant le juge instructeur, leur acte fait foi et peut leur être opposable.
Par ailleurs, ce n’est pas parce que le droit ne punit pas un acte qu’il n’est pas reprouvé par la morale … Si le droit ne punit pas, cela est conforme au principe de légalité en droit pénal qui veut qu’aucune infraction ne soit punie sans qu’elle ne soit prévue par la loi… Ce principe, dans le cas de l’affaire dite « TALON», est contraire à la morale qui veut qu’on n’attente pas à la vie d’autrui. Par conséquent, en planifiant l’assassinat du chef de l’Etat et en fournissant les moyens aux complices, Monsieur TALON n’est plus de bonne moralité pour être candidat à l’élection présidentielle. D’ailleurs, en matière de tentative, deux théories s’affrontent. La première, dite objective, s’attache exclusivement aux actes déjà commis qui font partie, soit des éléments constitutifs de l’infraction tels qu’ils sont définis par la loi, soit des circonstances qui peuvent en renforcer la répression. La deuxième, dite subjective, s’attache à l’intention de l’auteur, sujet actif de l’infraction.
Selon elle, il y a commencement d’exécution, dès qu’on se trouve en présence d’un acte positif, extérieur, non équivoque, quoique ne constituant pas l’élément matériel de l’infraction … Cette théorie est assez proche de la moralité prévue par la Constitution.
En prévoyant que le candidat à l’élection présidentielle soit de bonne moralité, la Constitution épouse aussi la théorie de la morale. Par conséquent, si la tentative d’empoisonnement parce qu’elle est renoncée par un acte volontaire n’est pas punie par le droit, elle est punie par la morale qui est la conscience individuelle et collective des Béninois et qui veut qu’un individu ne tente de tuer son prochain. Si la règle de droit ne punit pas à cette étape de la commission de l’infraction qualifiée de tentative d’empoisonnement, la sanction, selon qu’elle est, ou non, marquée par l’intervention de l’autorité publique ne constitue pas le critère décisif de la bonne moralité. Seule la conscience individuelle ou collective sanctionne les règles morales. Ce n’est jamais l’autorité publique qui sanctionne la règle morale. Mais, dans le cas de l’élection présidentielle, la Constitution prescrit expressément la bonne moralité. Elle donne alors à la Cour constitutionnelle le pouvoir de sanctionner son non-respect. » ; qu’il relève : « Ainsi, les complices Moudjaïdou, KORA et CISSE, en reconnaissant les actes préparatoires de l’infraction au cœur desquels Monsieur TALON se retrouve, ce dernier, ainsi que ses complices, ne bénéficient plus de la bonne moralité pour prétendre diriger la République du Bénin. » ; qu’il conclut : « Qu’il plaise alors à la Cour constitutionnelle de rejeter la candidature de Moudjaïdou SOUMANOU et de Patrice TALON. » ;
ANALYSE DU RECOURS
Considérant qu’aux termes de l’article 44 de la Constitution : « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République s’il:
- n’est de nationalité béninoise de naissance ou acquise depuis au moins dix ans ;
- n’est de bonne moralité et d’une grande probité ;
- ne jouit de tous ses droits civils et politiques ;
- n’est âgé de 40 ans au moins et 70 ans au plus à la date de dépôt de sa candidature ;
- ne réside sur le territoire de la République du Bénin au moment des élections ;
- ne jouit d’un état complet de bien-être physique et mental
dûment constaté par un collège de trois médecins assermentés désignés par la Cour constitutionnelle. » ;
Considérant qu’en outre, les articles 339 alinéas 2, 3 et 4, 340 alinéa 5 et 343 de la loi n° 2013-06 du 25 novembre 2013 portant code électoral en République du Bénin disposent respectivement :
« La déclaration de candidature est faite en double exemplaire, revêtue de la signature du candidat et attestant sur l’honneur qu’il remplit les conditions d’éligibilité requises.
Cette déclaration est enregistrée par la Commission électorale nationale autonome. Un récépissé provisoire de la déclaration est immédiatement délivré au déclarant.
Le récépissé définitif est délivré par la Commission électorale nationale autonome, après versement de la somme prévue à l’article 343 ci-dessous et après le contrôle de la recevabilité de la candidature par la Cour Constitutionnelle. » ; « En sus des pièces ci-dessus mentionnées, la déclaration de candidature doit être complétée, avant son examen, par le bulletin n° 2 du casier judiciaire adressé par la juridiction compétente à la Commission électorale nationale autonome, sur demande de celle-ci. » ; « Dans les deux jours qui suivent la déclaration de candidature, le candidat devra verser auprès du Directeur du Trésor ou auprès d’un receveur-percepteur du Trésor qui transmettra au Directeur du Trésor, un cautionnement de quinze millions (15.000.000) de francs remboursables au candidat s’il a obtenu au moins dix pour cent (10%) des suffrages exprimés au premier tour. » ;
Considérant qu’il découle de la lecture combinée et croisée des dispositions sus-énoncées que la liste des candidats à l’élection présidentielle n’est définitive qu’après le contrôle de la recevabilité des candidatures par la Cour constitutionnelle, la délivrance du récépissé définitif et la publication officielle de la liste des candidats par la Commission électorale nationale autonome ; que, dans le cas d’espèce, à la date du 27 janvier 2016, date de saisine de la Cour par Monsieur Sylvain G. TOSSOU, la Commission électorale nationale autonome n’a publié aucune liste de candidats à l’élection présidentielle du 28 février 2016 ; que, dès lors, à cette date, Messieurs Sébastien Germain AJAVON, Patrice TALON et Moudjaïdou SOUMANOU n’ont pas encore la qualité de candidat; qu’en conséquence, le recours sous examen est prématuré et doit être déclaré irrecevable ;
D E C I D E :
Article 1er.- Le recours de Monsieur Sylvain G. TOSSOU est irrecevable.
Article 2.- La présente décision sera notifiée à Monsieur Sylvain G. TOSSOU et publiée au Journal officiel.
Ont siégé à Cotonou, le neuf février deux mille seize,
Messieurs Théodore HOLO Président
Zimé Yérima KORA-YAROU Vice-Président
Simplice Comlan DATO Membre
Bernard Dossou DEGBOE Membre
Madame Marcelline-C. GBEHA AFOUDA Membre
Monsieur Akibou IBRAHIM G. Membre
Madame Lamatou NASSIROU Membre
Le Rapporteur, Le Président, Pr. Théodore HOLO.- Pr. Théodore HOLO.-