Plus que quelques heures et le peuple béninois sera fixé sur le sort de l’élection présidentielle jusque-là prévue pour le 28 février prochain (1er tour). De toute évidence, elle sera reportée. Ainsi en ont décidé certains candidats et représentants de candidats, de même que certaines institutions impliquées dans son organisation, jeudi 11 février au siège de la Commission électorale nationale autonome(Céna). Mais le dernier mot ne viendra pas d’eux. Seule la Cour constitutionnelle est habiletée à entériner le report de la date du scrutin et c’est vers elle que les regards sont désormais tournés.
Tendus et peu sereins au départ, les visages étaient souriants à la fin de la séance de travail organisée jeudi 11 février au siège de la Commission électorale nationale autonome (Céna) pour décider du report ou non du premier tour de l’élection présidentielle. C’est entre taquineries, accolades, rires et sourires que les acteurs qui ont pris part à cette rencontre déterminante pour le scrutin en cours se sont séparés. Et pourtant…
Trouver une solution…
«Il nous faut trouver ensemble une solution, une formule. Il faut que la rencontre débouche sur quelque chose de concret qui permette de faire avancer le processus électoral…» Cette introduction du président de la Céna, Emmanuel Tiando face aux candidats et représentants de candidats en lice pour l’élection présidentielle illustre, si besoin en était encore, l’importance du conclave tenu dans la matinée du jeudi 11 février au siège de son institution. C’était en présence des commissaires, du président du Comité d’orientation et de supervision de la Liste électorale permanente informatisée (Cos-Lépi) Augustin Ahouanvoébla et de certains de ses techniciens, du vice-Premier ministre François Abiola et du président du Conseil économique et social, Augustin Tabé Gbian, en sa qualité de président du Comité de suivi des institutions impliquées dans l’organisation du scrutin. Le décor ainsi planté par le président de la Céna, celui du Cos-Lépi sera invité à plancher. Augustin Ahouanvoébla dit intervenir « pour restituer techniquement ce qui est en train d’être fait». Détaillant ainsi qu’à la suite des dernières élections législatives, plus d’un million d’électeurs, soit 20% de la masse électorale n’ont pas reçu leurs cartes d’électeur et rappelant ensuite qu’au mois de décembre dernier, décision a été prise de les réimprimer les cartes d’électeur, en vue de les redistribuer à nouveau, aussi bien aux détenteurs des anciennes cartes qu’aux électeurs laissés en rade auxquels il faudra ajouter les nouveaux majeurs. Ainsi rappelle-t-il que le 20 décembre 2015, publication a été faite de la liste électorale puis, suivra le 28 décembre, la remise de la Lépi. Jusque-là, indique Augustin Ahouanvoébla, tout ce qui doit être fait l’a été mais il aura fallu attendre le 12 janvier dernier pour que l’opérateur technique en charge de la confection et de l’impression des cartes, retenue après maintes difficultés reçoive sa première avance. Et c’est, semble-t-il, le point de départ des difficultés actuelles qui empêchent la disponibilité à temps des cartes, précieux sésame sans lequel il ne saurait y avoir d’élection. En tout cas, le président du Cos-Lépi ne culpabilise pas outre mesure l’entreprise en charge de l’impression des cartes. Bien au contraire, il la dédouane. « Nous l’avons forcée à aller au-delà des consommables avec des charges supplémentaires sans avenant », illustre-t-il.
Tout compte fait, la situation est sous contrôle, a apaisé ce dernier qui annonce comme nouveau délai de fin de confection des cartes, la date du 15 février alors que celle initialement retenue était le 10 du même mois. «Depuis trois jours, il produit cinq cent mille cartes par jour», annonce le numéro 1 du Cos-Lépi qui souhaite que la rallonge de cinq jours soit accordée à l’opérateur.
Après avoir expliqué les diligences faites par lui pour tenir informée la Céna de ce décalage de date devenue inévitable à un moment donné, Augustin Ahouanvoébla a assuré que la distribution des cartes suit son cours et que depuis jeudi matin dans la Littoral, elle devait être effective.
A la suite du président du Cos-Lépi, le vice-Premier ministre François Abiola va relancer le débat. Ce qui est important aux yeux du représentant du gouvernement, c’est la suite à donner aux inquiétudes autour du scrutin. Que faire? C’est la question posée par lui, pour ouvrir le débats.
Appréhensions, propositions et suggestions des candidats
Le candidat Natondé Aké sera le premier à se prononcer. Une intervention sur fond de crainte que l’homme résume à travers les explications du président du Cos-Lépi. Lequel, selon lui, vient faire des promesses aux candidats sur la base de promesses à lui faites par l’opérateur. Une approche peu fiable selon ce candidat pour qui « le délai du 15 février n’est pas raisonnable», surtout qu’il faille compter par ailleurs avec d’autres contingences liées par exemple à l’énergie électrique. Alors, suggère-t-il, « qu’on aille aux élections avec les anciennes cartes si non on risque de dépasser le délai du 6 avril». Natondé Aké ne nie pas que ces cartes puissent avoir des défaillances mais voudrait qu’on trouve une alternative pour contrer les votes multiples et s’assurer de la vraie identité des votants.
Sacca Lafia, représentant du candidat Patrice Talon, par ailleurs ancien président du Cos-Lépi s’intéresse plutôt à la «portée de la décision» à prendre au terme de la séance. S’imposera-t-elle à tous les candidats et aux institutions impliquées dans l’organisation du scrutin? A la date du mercredi 10 février, combien de cartes ont-elles été déjà imprimées? Depuis quand l’opérateur est-il passé à une capacité de cinq cent mille cartes par jour ? Pour ce représentant de candidat, il faut prendre des assurances «et ne pas avancer des chiffres en l’air». Puisque «c’est un risque commun, on doit comprendre», insiste Sacca Lafia, désigné à l’occasion comme le porte-parole de la coalition dite de la rupture au sein de laquelle se retrouve une quinzaine de candidats sur la trentaine encore en lice.
«Nous nous mentons et nous n’avançons pas», déplore de son côté le représentant du candidat Abdoulaye Bio Tchané tandis que Kamarou Fassassi pense que cette situation n’honore pas la démocratie béninoise. « Nous voulons donner raison à ceux qui ne voulaient pas de la tenue des élections», pense l’ancien ministre de l’Energie du général Mathieu Kérékou.
Le candidat Gabriel Ajavon a suggéré qu’une nouvelle date soit fixée, mais en lien avec les dernières actualités relatives à l’ensemble du processus.
Pour sa part, le représentant du candidat Issifou Kogui N’douro rejette d’emblée la formule des anciennes cartes d’électeurs, surtout que l’argent du contribuable a été déjà injecté pour la confection des nouvelles. Il trouve cette option dangereuse, puis informe l’assistance des doublons de cartes qui s’observent déjà dans les départements où la distribution a commencé. Pour ce qui est du fief de son candidat, cela s’est fait constater par voie d’huissier, certifie-t-il. Il faut étudier ensemble les points de difficulté et tenir compte du délai minimum indispensable pour définir la date la plus indiquée, souhaite-t-il.
Par soucis de transparence, le représentant du candidat Karimou Chabi Sika demande que le Cos-Lépi fasse le point de toutes les cartes non distribuées et des doublons aux candidats.
«Il faut qu’on organise le scrutin»
Zacharie Goudali lui est inquiet. « Nous faisons courir un risque à notre pays. Nous allons à une élection présidentielle. Nous ne ferons aucun cadeau aux institutions », alerte ce candidat qui se demande pourquoi le Cos-Lépi opte pour une distribution progressive alors que le scrutin est censé se tenir le même jour sur l’ensemble du territoire national.
Plutôt accusateur, le candidat Daniel Edah jette la pierre au gouvernement qui aurait péché en ne dégageant pas à temps les ressources destinées à l’opérateur en charge de la confection des cartes. «On joue avec notre avenir pour nous divertir. Le président de la République a l’obligation de nous laisser un pays en paix», estime-t-il. Comme certains intervenants, il réfute lui aussi l’usage des anciennes cartes qui ne seraient pas fiables.
Gatien Houngbédji va lui aussi sortir de son calme légendaire. «Je me rends compte que nous assistons à une mascarade et le risque est trop grand», soutient-il. Pour le compte de Sébastien Ajavon, Nazaire Dossa se refuse à être alarmiste mais soutient qu’il y a «un forfait en préparation».
«Nous avons un scrutin à faire. Il faut que nous l’organisions. Le délai du 28 février n’est plus tenable. Mais le Code électoral a prévu ce qu’il faut faire en son article 42. C’est de notre obligation de nous entendre…» A ce message de réalisme du président de la Céna va succéder la phase des explications du président du Cos-Lépi.
Invité à se prononcer à la suite des interventions des candidats et de leurs représentants, Augustin Ahouanvoébla s’est voulu à nouveau rassurant. A ceux qui pensent qu’il est complice d’une machination, il a lancé ceci: «Je ne peux rien faire pour que le Bénin soit dans l’impasse». Puis il s’élance à travers une série d’explications. Primo, il soutient que la capacité actuelle de production de cartes est de 530 000 cartes par jour et évoque le chiffre de cinq cent mille pour être plus objectif. Secundo, «les doublons vont nous revenir», promet-il. D’ailleurs à ce niveau, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, insiste ce dernier qui en veut pour preuve, le fait qu’il n’y ait pas de doublons sur les listes d’émargement. «Le 15 février à minuit, on aura fini avec la dernière carte», reprécise-t-il.
De son côté, le vice-Premier ministre rassure de ce que «le gouvernement fait tout pour jouer sa partition». «Nous devons le faire pour que le processus avance. Le 15 février est faisable», indique-t-il. François Abiola se dit amoureux des nouvelles cartes dont il vante les mérites.
Le report inévitable
Si on s’en tient aux explications du président du Cos-Lépi, 59% des cartes d’électeur seraient déjà imprimées à la date du mercredi 10 février dernier. Et si on en est déjà à cette étape, propose Natondé Aké, autant mettre le cap sur la distribution.
A la suite de ces échanges, le président de céans, Augustin Tabé Gbian invitera à l’apaisement puis sollicitera les candidats et représentants de candidats, à 13 heures 35 minutes, à une concertation pour la suite à donner à la séance. Mais très vite, des divergences vont s’afficher dans leur rang. Les candidats Natondé Aké et Robert Gbian n’ont pas bougé de leurs sièges. Les deux personnalités étaient même occupées à échanger entre elles. Comme eux, Daniel Edah qui se dit candidat de la rupture profonde est resté en marge de la concertation, du moins jusqu’au moment où certains de ses pairs ne le démarchent pour le faire rallier à la concertation.
Gatien Houngbédji a préféré prendre congés des lieux. Alors que le représentant de Lionel Zinsou, vautré sur son siège soufflait à son voisin immédiat que «c’est un piège». C’est finalement à 14 heures que les conciliabules prendront fin. Et, Sacca Lafia, porte-parole de circonstance du groupe fait savoir qu’ils sont « conscients que le 6 avril, le président de la République va partir et souhaite le respect de la Constitution ». Selon lui, la campagne électorale pour le premier tout du scrutin, initialement prévue pour ce jour ne peut plus tenir «et ce n’est pas de la faute de quelqu’un». Il va alors demander aux institutions concernées par cette élection de leur donner des garanties. «On va faire le nécessaire», s’est engagé Emmanuel Tiando pour le compte de la Céna. «Nous aurons les nouvelles cartes», embraye Augustin Ahouanvoébla. In fine, le président du Comité de suivi, Augustin Tabé Gbian prend l’engagement de tout faire pour un scrutin réussi. Des échanges en aparté surpris entre le vice-Premier ministre François Abiola et Sacca Lafia, il ressort que le gouvernement devrait se réunir d’urgence pour informer tout au moins de l’impossibilité de commencer la campagne électorale ce jour. Le porte-parole des candidats en a même fait une exigence. Mais pour le représentant du gouvernement, seule la Cour constitutionnelle à qui le rapport de cette séance sera fait prendra la décision finale, étant la seule institution constitutionnellement habilitée pour le faire¦
Josué F. MEHOUENOU