Lionel Zinsou est sans conteste le nom qui a le plus agité le landerneau politique béninois ces derniers mois. Sa nomination au poste de premier ministre, sa désignation en tant que candidat unique des forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE, le parti au pouvoir au Bénin) à la prochaine élection présidentielle et le ralliement de deux des plus grandes formations politique du pays à sa candidature ont fait couler beaucoup d’encre, de salive et de venin.
Mais qu’en dit l’intéressé lui-même? «Je ne commenterai pas la polémique et je ne répondrai pas aux attaques», annonce-t-il d’emblée en nous recevant dans sa résidence de Cotonou. Il est vrai qu’il est plus à l’aise dans le débat d’idées et c’est sur ce terrain qu’il nous entraîne assez vite. De l’emploi des jeunes, son cheval de bataille, au financement de l’Economie via la création d’un fonds souverain à partir des excédents de la sécurité sociale, en passant par l’amélioration des performances de l’administration, Lionel Zinsou dévoile une partie de sa vision pour le Bénin.
Voilà maintenant presque neuf mois que vous avez fait un saut en passant d’une vie d’économiste, de théoricien, à celle de politicien et donc d’homme de terrain. Quel a été selon vous l’évènement le plus marquant de votre nouvelle vie?
A mon avis, ce qui s’est passé de plus important dans les derniers mois c’est qu’un certain nombre de rassemblements politiques se sont formés. Les trois partis qui se sont opposés le plus souvent dans leur histoire des dix à quinze dernières années et qui à eux trois rassemblent les 3⁄4 des élus du pays, soutenant la même candidature, sont prêts à un e effort d’union nationale sur un gouvernement qui permette de trouver un élan en matière de développement. S’il y a des réformes à faire, on pourra les faire avec une base législative large, puisque l’assemblée a encore 4 ans devant elle. Et donc, maintenant, on dispose d’un deuxième atout en dehors de la démocratie, c’est un certain degré de consensus et d’union nationale. Or si vous avez de la démocratie et du consensus voire de l’union nationale pour faire des réformes, ça peut donner un élan. Cette combinaison-là, on ne l’avait jamais eu au Bénin.
N’assiste-on pas juste à un engouement similaire à celui qui a porté le président Yayi Boni au pouvoir en 2006?
C’est vrai que le président Yayi Boni a été élu avec 75% des voix au second tour en 2006 mais l’alliance, elle, a été faite entre les deux tours. Là elle est raisonnée, elle a été négociée depuis des semaines, et elle porte sur un projet de société et un programme de gouvernement.
Que répondez-vous à ceux qui quali ent ce rassemblement d’alliance contre-nature préjudiciable à notre démocratie ?
Ce que j’ai appris, c’est que contrairement à beaucoup de choses qu’on dit sur la démocratie béninoise, elle est relativement vigoureuse, elle fonctionne en termes institutionnels, et elle est capable de faire des consensus et pas que de la division. Quand on écoute le bruit médiatique, on peut penser qu’il y a énormément de divisions, des tensions extrêmement fortes, mais quand on regarde la nature des alliances, il y a aussi une capacité à fabriquer de l’union nationale. D’ailleurs il y avait un signe précurseur qui n’a pas été analysé, c’est que le budget national avait été déjà approuvé à 75 voix sur 83. Donc la fabrication du consensus c’est quelque chose qui a commencé depuis quelques mois et qui est quand même un atout.
Autour de quels points de convergence un tel consensus a pu être trouvé?
Dans le projet, il y a une priorité absolue que toutes les formations qui nous soutiennent partagent et qui est : «comment donner à la génération qui monte les moyens de transformer son pays?». Quand on demande aux populations du nord au sud, de l’est à l’ouest, «quelle est votre première préoccupation?» leur réponse c’est : «Nos enfants adultes restent chez nous alors qu’ils étaient l’espérance de toute la famille qu’ils devaient tirer grâce aux efforts de formations et aux sacrifices qui ont été consentis. Ils reviennent chez nous, et ils peuvent rester une, deux, trois années sans emploi».
Donc, la toute première chose qu’il faut donner à cette génération, c’est de l’emploi. Elle est prête et maintenant il faut la faire rentrer dans le monde du travail pour lui donner sa chance de transformer ce pays en 25 ans, car c’est ce que dure le travail d’une génération. Cette jeunesse, elle est extrêmement créative, elle est beaucoup mieux formée que tout ce qu’on a vu dans notre histoire. On a désormais plus de formations d’excellence, chez les mathématiciens, les médecins, les agronomes. Le Bénin va réduire la pauvreté, éliminer l’extrême pauvreté, augmenter la croissance et se moderniser grâce à ces jeunes-là. Or aujourd’hui cette jeunesse est bloquée parce qu’il y a une partie importante de la génération formée qui n’accède pas au marché du travail et il faut qu’on débloque ça. Là-dessus, il y a un consensus complet et il y a une attente très forte de la population. L’autre chose sur laquelle on est d’accord – en tout cas moi je fais partager cette idée – c’est que la croissance, même à deux chiffres ne résout ni la pauvreté, ni le chômage. On vient de connaître une croissance très forte. On entre dans la 5ème année où le pays enregistrera une croissance de plus de 5%. Le FMI dit qu’on sera à 6% cette année. 6%, c’est cinq fois la croissance de l’Europe. C’est des gros chiffres et pourtant la pauvreté stagne. Donc il faut faire non seulement une politique pour que la croissance soit la plus élevée possible mais il faut faire une politique tout à fait spécifique de réduction de la pauvreté et il faut faire une politique tout à fait spécifique de l’emploi des jeunes.
Pourriez-vous nous donner un exemple de politique typiquement spécifique à l’emploi?
Là, on est en train de boucler un programme avec les zémidjans (Taxi-motos, NDLR) qui est destiné à les sortir de la précarité en leur donnant une couverture sociale, en réduisant leur dépendance aux propriétaires de motos, en les rendant propriétaires de leurs motos et en augmentant leurs revenus quotidiens entre 500 et 1200 francs Cfa, selon leur niveau d’activité. Et ça c’est un package qu’on a inventé avec leurs syndicats, qui est très peu coûteux pour les ffinances publiques et qui sort cette profession très importante de la précarité. Sans une politique spécifique comme celle-là, leur condition ne va pas s’améliorer même si la croissance du pays passait de 6 à 8%. Ils auront un peu plus de courses, mais ne serons toujours pas assurés, pas protégés et leurs familles non plus.
On pourrait aussi rétoquer qu’une telle mesure les maintient dans un emploi dont vous avez dit que ‘personne n’a vraiment choisi’?
Le problème est le suivant: les zémidjans sont 60 000 dans Cotonou et 400 000 dans le pays. Est-ce qu’il est réaliste de penser qu’on peut satisfaire immédiatement leur première demande, à savoir la reconversion ? Cela va supposer de bien s’organiser pour qu’ils aient du capital, des microcrédits, de la formation. Comment donc peut-on faire l’hypothèse qu’on va passer de 400 000 à zéro? On doit procéder par étapes pour reconvertir tous ceux qui veulent l’être et ça va prendre plusieurs années. Pendant ce temps, est-ce qu’on les laisse dans la précarité ou déjà on améliore leur statut? On ne va pas dire : «j’ai une solution structurelle à cinq ans donc en attendant, je vous laisse dans la précarité.» Ce n’est pas possible. Notez aussi qu’en améliorant leur statut, on redonne beaucoup d’argent dans la consommation, les soins, l’éducation car ce qu’ils gagneront en pouvoir d’achat, ils vont le consommer, le consacrer à l’école, à la santé et tout ça a beaucoup d’effets sur l’économie. Donc dans cette phase, on essaie de les faire sortir de la précarité avant qu’ils ne sortent du métier et on remporte une petite victoire. Et c’est pareil pour l’emploi des jeunes.
Quelles mesures, ces jeunes peuvent-ils espérer si vous veniez à être élu?
Je crois qu’il faut regarder à faire un effort de solidarité nationale et là où on consacre 5 milliards pour la catégorie de jeunes formés et sans emplois, il faut probablement être prêt à aller à quatre ou cinq fois plus. Si on affirme que c’est la première préoccupation des Béninois, alors il faut qu’on regarde le budget en se demandant : «il y a 1500 milliards dans la loi de ffinances. Est-ce qu’on peut faire, pour cette génération, un effirt de 20 à 25 milliards mais qui soit tel qu’on puisse leur faire accomplir des tâches d’intérêt général avec une rémunération, qu’on puisse enclencher l’espoir et résoudre le problème cette fois-ci de plusieurs dizaines de milliers d’entre eux.?»
Qu’entendez-vous par travaux d’intérêt général ?
Il y a toute une série de besoins sociaux à l’école, à l’hôpital, en matière de damage de pistes rurales, d’aide aux citoyens dans leurs formalités administratives, d’accès au droit etc. Ça dépend des formations des gens mais on a toute les formations qui seront disponibles. On peut pratiquement tout faire.
Qui aura le pouvoir de décision dans la mise en application de cette mesure?
Il faut que cela soit délégué aux maires parce que c’est au niveau des communes que c’est pertinent. C’est là qu’on sait quels sont les besoins urgents. En outre, En confiant le jeune à la proximité de la commune, on fragmente le problème car chaque commune n’aura qu’à s’occuper que de quelques centaines. Mais quelques centaines, ça reste quand même beaucoup pour la commune et il faut donc un effort budgétaire. C’est une réflexion sur laquelle les maires qui nous soutiennent vont se rassembler et voir comment mettre ça en musique. Mais c’est un effort de solidarité nationale.
Pensez-vous qu’octroyer ce qu’il faut bien appeler des emplois aidés, peut constituer une solution dans la durée?
On ne le fait pas pour le plaisir d’avoir des emplois aidés. Ce n’est pas une bonne formule. Dans deux, trois ans, si notre programme s’applique, notre économie soutiendra une création d’emplois plus forte. Mais il faut du temps pour que ces mesures prennent. Avant qu’elles aient produit leurs effets structurels et que la croissance ait accéléré, il faut restaurer de l’espoir car le problème du chômage de nos jeunes est très aigu. Il y a des gens qui sont bacheliers ou qui ont une formation supérieure qui ont déjà passé trois ans sans emplois par exemple. Ce sont des cas où on commence à désespérer un peu de la vie.
Votre stratégie consiste donc dans un premier temps à vous appuyer sur des palliatifs?
Le mot palliatif a un tel emploi, comme dans «soins palliatifs», que ça me fait un peu peur (rires). Je pense qu’il faut avoir une solution graduée dans le temps. Je pense qu’avoir une vision c’est savoir ce qui doit être fait demain, après-demain, le jour d’après et où il faut être dans 5 ans. Si on n’a pas cette vision, je pense qu’on aura du mal à entrainer cette génération. Et si on n’a pas la créativité, la disponibilité, les cerveaux, les bras de cette génération, on perd beaucoup.
Certes. Mais quels sont les leviers sur lesquels on peut jouer pour atteindre un résultat plus durable?
Moi je crois que le Bénin est attirant, en fait il est attrayant. La preuve: il a obtenu en 2014 beaucoup de promesses d’aide. Mais notre pays n’utilise pas vraiment toute l’aide qu’il reçoit. A titre d’exemple, le pourcentage d’absorption d’aide publique du Bénin est deux fois moins important que celui du Burkina. Au bout de 5 ans, nous sommes obligés de constater que nous ne consommons même pas le tiers de l’aide que nous avons reçue. Les pays qui performent à cet égard consomment entre les 2/3 et 100% de l’aide qui leur est allouée. En 2015, on a manqué l’objectif d’investissement public de 100 milliards alors que ces investissements étaient tous financés par le budget national et surtout l’aide extérieure. 100 milliards d’investissements supplémentaires qu’on aurait faits en 2015, c’est 1% de croissance de plus, ce qui a quand même un intérêt en matière de création d’activités. On doit donc réformer notre capacité à absorber l’aide. La deuxième chose, c’est qu’on a une capacité d’endettement qu’il faut utiliser intelligemment, de façon plus sophistiquée. Aujourd’hui, le pays est essentiellement endetté à un an sous forme de bons du trésor, bien qu’il puisse s’endetter à deux, trois ou cinq ans de façon à ce qu’on ait une bonne planification de nos ressources. Donc on peut beaucoup améliorer le financement de l’Etat et des projets publics. Une autre chose, c’est qu’il ne faut pas ffinancer que l’Etat, il faut ffinancer l’économie. Quand vous ne financez pas le logement, vous ne financez pas les PME et que vous ne financez pas l’agriculture, vous venez de rater les trois principaux emplois de tous les systèmes ffinanciers du monde. Or chez nous, il y a très peu de crédits dans l’immobilier, en tout cas très peu dans le domaine formel, très peu de crédits aux PME et très peu de crédits dans le domaine agricole. Et pourtant, l’agriculture, c’est 50% de la population active, 25% de la richesse nationale et 2% des ffinancements alors que le financement de l’agriculture devrait être d’au moins 25%. Et partout les institutions de crédit agricole sont financés en premier. L’immobilier c’est le premier poste du bilan des banques du monde entier.
Doit-on uniquement s’appuyer sur la dette et l’aide extérieure pour mettre en œuvre ces réformes?
Je pense qu’il y a quelque chose que nous n’utilisons pas pour la génération suivante, ce sont nos excédents de sécurité sociale. D’abord personne n’imagine que dans le pays il y a des excédents de sécurité sociale. Personne n’imagine qu’ils s’accroissent de 50 milliards par an. On a probablement 500 milliards de réserves techniques que nous pouvons utiliser et, ceci, sans rien ôter au système de sécurité sociale puisqu’il s’agira à augmenter le plus possible le rendement de ces capitaux puis de les faire revenir dans le système de sécurité sociale. On ne prive donc personne de rien. Et cet argent, il faut l’utiliser pour les générations suivantes en créant un fonds souverain. On en fait un instrument qui permet d’apporter du capital aux entreprises. Mais il ne faut pas gaspiller cet argent donc nous devons le faire gérer par des professionnels. Il y a d’excellents professionnels béninois qui exercent à New-York, Paris, Londres. Il faut également apporter des fonds propres pace que ce qui manque le plus, c’est l’épargne des gens pour entreprendre.
Mais toutes ces réformes exigent une administration qui soit performante. Avons-nous les ressources nécessaires pour agir sur ce paramètre?
Il y a une énigme. Pourquoi les Béninois de la diaspora, dès qu’ils travaillent pour une organisation internationale, y sont très appréciés en général? Pourquoi, dès qu’ils travaillent dans des universités étrangères, dès qu’ils travaillent dans les hôpitaux français et sénégalais, dès qu’ils sont des mathématiciens, ils sont parmi les meilleurs? En fait pourquoi vous prenez des individus avec la même formation qui réussissent ailleurs, mais vous dites dans l’administration on n’a pas les ressources? On a les ressources. Les niveaux de formations au Bénin sont bons. Si on est capable d’exporter des compétences dans le monde entier, on est capable de repérer celles de notre administration. Moi je ne crois absolument pas qu’on a un problème de capacités, de ressources humaines, non je ne crois pas. Dans les entreprises privées du Bénin, je n’ai jamais rencontré d’employeur qui dise, je ne trouve pas les bons cadres. J’ai vu des employeurs de la Côte d’Ivoire, du Gabon, du Congo qui viennent chercher leurs chefs de chantiers, leurs ingénieurs civils au Bénin. Mais des entreprises privées qui disent je n’ai pas les cadres au Bénin, ça n’existe pas. Il faut faire très attention à ça. Si elles sont dans le secteur privé, dans le secteur associatif, dans la diaspora, ces compétences sont aussi dans l’administration. En revanche, l’adminis- tration a des process, des procédures. La nôtre a des process de management qui sont non numérisés, qui sont sous-numérisés, qui sont peu animés, qui font peu de place à la performance, prennent beaucoup de temps et sont toujours en retard. Il y a des pays africains qui sont parvenus à régler ce problème. Le Rwanda est le cas le plus cité parce que c’est spectaculaire. Mais le Maroc est un exemple, la Côte d’Ivoire depuis quelques années est un exemple. Dans l’administration fédérale nigériane, il y a eu des progrès spectacu- laires dans le domaine ffinancier et dans le domaine agricole. C’est améliorable si on a les hommes. Et on a les hommes. Donc je ne crois pas un instant qu’on ne les ait pas.
Quid de la corruption?
Alors, la corruption est un problème tout à fait différent. C’est une question d’honnêteté, d’intégrité, de respect de la loi ou bien de décision de détourner la loi et de piller l’Etat. C’est un sujet en soi. L’efficacité de l’administration c’est autre chose. Plus l’administration est archaïque dans ses process, moins elle est transparente. Moins elle est numérisée, plus c’est facile de profiter de l’opacité. La modernisation de l’administration entrainera la transparence et il y aura un recul de la corruption car ce sera plus difficile de piller l’Etat. Mais il faut avoir à l’esprit que ce sont quand même deux problématiques differentes. Vous avez des pays émergents qui ne sont pas exempts de corruption mais qui obtiennent des résultats de croissance exceptionnels. Donc dissocions: la corruption n’est pas responsable de la non- performance. C’est la non-performance qui facilite la corruption. Ce n’est pas la corruption qui paralyse notre système au niveau des performances. Ce sont deux choses très diffèrentes. Donc, on ne va pas attendre que tout le monde soit vertueux pour rendre notre administration efficace et numérisée ou pour alléger ses process.