Entretien: « le prochain président béninois doit éviter de perturber la cohésion nationale » Léon Koboudé
Publié le : 04/03/2016Auteur : AFRIKATVCatégorie : Articles - Politique
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Le dimanche 6 mars 2016, plus de 4.700.000 d’électeurs béninois se rendront aux urnes pour choisir le successeur du président Boni Yayi. Quels sont les enjeux de cette élection qui est très suivie en Afrique ? Entretien avec Léon Anjorin Koboudé, journaliste béninois et directeur du magazine bimestriel « Afrique Union »
Que retenir de la campagne électorale qui prend fin ce vendredi soir au Bénin?
A l’heure où je vous parle (vendredi matin), je n’ai pas connaissance d’un événement malheureux qui aurait négativement marqué le bon déroulement de la campagne électorale. A en croire les remontées d’informations que je reçois, la bonne ambiance est de mise dans les localités du pays et on peut en déduire que les candidats et leurs partisans ont su bien jouer le jeu de la démocratie et de la tolérance. Cependant, certains propos attribués au chef de l’Etat sortant ne sont pas de nature à contribuer à un climat apaisé.
L’autre constat, c’est l’engouement des Béninois à aller aux urnes. La pratique électorale et surtout l’alternance au sommet de l’Etat sont entrées dans les mœurs politiques au Bénin. Pendant que dans d’autres pays africains, l’alternance est un sujet problématique, au Bénin elle constitue un rendez-vous immanquable ! En 25 années de pratique démocratique, les Béninois s’apprêtent à élire leur quatrième président de la République. Le ratio est plutôt encourageant.
Mais certains observateurs affirment que cette « performance démocratique » cache d’autres tares dans la vie politique… Qu’en pensez-vous ?
Avant d’évoquer la corruption politique et électorale qui risquera à terme de plomber l’expérience démocratique dans le pays, il faut souligner l’improvisation et l’amateurisme qui troublent le déroulement du processus électoral. Depuis que le pays a décidé de faire l’expérience de la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI), les dates des élections sont toujours décalées à cause de nombreux dysfonctionnements. En ce moment, les nouvelles cartes d’électeur ne sont toujours pas disponibles dans toutes les localités du pays. Même si la Cour Constitutionnelle a autorisé l’usage des anciennes cartes d’électeur, la situation n’est pas de nature à renforcer la sérénité du processus électoral puisque depuis ce matin un communiqué de la Commission Electorale Nationale Autonome en circulation serait source de confusion. Bref, l’apprentissage sur ce plan est laborieux voire décevant. Avec une base de données de moins de 5 millions d’électeurs, on peut faire mieux grâce aux moyens déployés.
La corruption fait partie du jeu politique béninois. Malheureusement ! Il suffit de voir le manque de lisibilité et de transparence qui a entouré les alliances politiques nées à la veille du dépôt des dossiers de candidatures. Ce manque de lisibilité fait croire aux populations que l’accession au pouvoir d’un groupe politique est comparable à une prise de butin. L’idée du partage d’un large gâteau national. Et cette image prospère dans l’opinion publique. Dans un pays où il n’y pas de financement public des partis politiques, le code électoral fixe le plafond des dépenses de campagne pour la présidentielle à 2, 5 milliards de Francs CFA. C’est une grande porte ouverte à toutes les dérives. Il est donc urgent de réformer le système partisan dans le pays. C’est une priorité.
Cette priorité est-elle prise en compte dans les projets de société des candidats ?
Oui, sur les 33 candidats, au moins 10 l’évoquent dans leur projet de société. Et je me permettrai de dire que les candidats Patrice Talon, Abdoulaye Bio-Tchané et Pascal Irénée Koupaki ont fait des propositions plus concrètes sur le sujet, en prenant aussi en compte la réforme des Institutions. Inutile de rappeler que l’exercice du pouvoir par Boni Yayi a démontré que le Président de la République peut avoir sous son influence permanente toutes les autres Institutions constitutionnelles. Sans une réforme sérieuse du système partisan, les activités politiques continueront à être financées avec des rétrocommissions sur des marchés publics et d’autres ressources illicites. Les réformes politiques irrigueront la gouvernance et assainiront la compétition électorale.
Quelles doivent être selon vous les autres priorités du prochain président du Bénin ?
Le prochain président doit faire oublier aux béninois le style de gouvernance de l’actuel locataire du Palais de la Marina. L’improvisation permanente ne devrait pas être le trait de caractère d’un Chef d’Etat. Il faudrait donc opérer une rupture dans le style en restaurant l’image, l’honneur et le prestige de la fonction. Le président du Bénin doit éviter d’être un élément perturbateur de la cohésion nationale à travers ses déclarations ou décisions. La modernisation de l’économie avec des mesures fortes pour combler le déficit énergétique; l’innovation dans les dispositifs d’accès à l’emploi des jeunes; la lutte contre l’impunité dans le rang des hauts fonctionnaires et des autorités sont des priorités. Je regrette que le sujet relatif à l’implication du Bénin dans la lutte contre le terrorisme n’ait pas été suffisamment abordé par les candidats. La géographie du Bénin lui impose un sérieux débat sur la sécurité nationale et régionale.
Des médias font écho de certaines attaques visant le candidat Lionel Zinsou… Que vous inspirent-elles?
Certains évoquent des attaques racistes…. Non, revenons à la réalité béninoise ! Vous savez, je m’amuse souvent à dire que le banquier Lionel Zinsou, la chanteuse Angélique Kidjo et l’acteur Djimon Houssou sont les trois Béninois les plus célèbres dans le monde. Et un peuple censé ne peut rejeter ses icônes, les étoiles qui font sa fierté. Mais en matière politique, la réalité est tout autre. Votre positionnement politique peut décevoir même vos admirateurs… C’est le propre du fait politique!
En clair, c’est le soutien actif du président Yayi et de son administration à Lionel Zinsou qui choque une partie des Béninois. Ils ont l’impression que l’égalité des chances entre les candidats est biaisée quand le Chef de l’Etat sortant et ses ministres battent campagne pour un candidat, membre du gouvernement. En plus, ce fait est inédit au Bénin. C’est donc un grave précédent politique. En 2006, l’ancien président Mathieu Kérékou avait adopté une posture moins partisane… C’est vous dire que les 98% des critiques adressées à Zinsou sont liées au soutien ostentatoire du Chef de l’Etat. Et personnellement je pense qu’en acceptant de défendre le bilan du président sortant, Zinsou fait un pari politique risqué quand on sait que ce bilan n’est pas excellent du point de vue de la gouvernance et de la cohésion nationale. Si Zinsou avait été porté par une Alliance politique indépendante de Yayi, sa candidature aurait été appréciée différemment.
Dans cette campagne, je trouve que les soutiens de Lionel Zinsou tentent de le faire passer pour une victime d’une prétendue campagne haineuse ou raciste, en évitant soigneusement d’aborder les questions principales : Zinsou absoudra-t-il le régime du président sortant des crimes économiques ? Et donc son élection ne représentera-t-elle pas un troisième mandat déguisé accordé à Boni Yayi ? Voilà les questions qui cristallisent les critiques des opposants à la candidature de Lionel Zinsou.
D’autres le traitent aussi du « candidat de la Françafrique »…
A chaque élection présidentielle dans un pays francophone en Afrique, une certaine opinion « désigne » le «candidat de la Françafrique ». Cela fait partie des débats électoraux passionnés sur le continent. Au Bénin, Zinsou n’est pas le premier à qui on a collé cette étiquette. Concernant Lionel Zinsou, ni sa double nationalité, ni sa longue carrière professionnelle et ses amitiés dans le milieu politique en France ne peuvent être des arguments pour dénigrer sa candidature. Personne ne peut douter de son patriotisme…
Zinsou bénéficie d’un soutien fort de trois grands regroupements politiques du pays…
Est-il le grand favori au point de gagner dès le premier tour du scrutin ?
Le candidat Lionel Zinsou, avec l’Alliance Républicaine qui regroupe trois formations politiques importantes (PRD, RB et FCBE) de l’échiquier politique du pays, est évidemment un favori de premier plan dans cette élection présidentielle. Après ce constat théorique, il faut reconnaitre qu’une élection présidentielle met en jeu l’adhésion des électeurs à un homme, un parcours, un projet, etc. Elle se distingue donc clairement des élections législatives ou municipales.
Lorsque j’analyse les stratégies de campagne des différents candidats, la pugnacité de Patrice Talon, le volontarisme de Sébastien Ajavon, l’ancrage local de Pascal Irénée Koupaki et d’Abdoulaye Bio-Tchané pourraient bousculer les espoirs de Lionel Zinsou d’être élu dès le premier tour du scrutin. Zinsou ne tient pas encore sa victoire! L’élection reste ouverte d’autant plus qu’aucun candidat du quinté le plus en vue n’a jamais obtenu un mandat électif. Même s’il faut rappeler que Abdoulaye Bio-Tchané avait terminé à la troisième place lors de la présidentielle de 2011 soldée par la réélection de Boni Yayi. Un scrutin dont les conditions d’organisation avaient été contestées par une immense majorité des candidats.
Certains observateurs craignent des contestations des résultats qui seront proclamés…. Qu’en pensez-vous ?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la distribution des cartes d’électeurs n’est pas un succès. Cette étape du processus électoral étant cruciale pour un scrutin ouvert, juste et transparent, on est en droit de se poser des questions. Les yeux seront rivés sur la Cour Constitutionnelle. On attendra d’elle beaucoup de justice et de clairvoyance. Les enjeux de cette élection sont tels que chaque candidat redouble de vigilance. C’est dire que les fraudes ne sont pas tolérées. Et il n’est pas exclu que des contestations des résultats provoquent des heurts ou des situations peu contrôlables. Cela dit, je reste optimiste pour une issue heureuse du processus électoral. Le Bénin a besoin de retrouver la sérénité pour faire face aux vrais défis du développement.
Propos recueillis par AFRIKATV