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Racisme au Bénin : « Je ne me tairai pas »
Publié le mardi 8 mars 2016  |  LeMonde.fr
Lionel
© Autre presse par DR (Photo d`archive utilisée juste a titre d`illustration et ne correspond pas forcément avec le contenu de l`article)
Lionel Zinsou nommé Premier ministre du nouveau gouvernement




Ma tribune sur les attaques racistes dont a été victime Lionel Zinsou au Bénin, parue le 1er mars sur le site du Monde Afrique, a déchaîné une saillie de réactions parfois très violentes sur mon texte et même sur ma personne. On m’a accusé, entre autres, d’être « un pyromane payé pour déstabiliser le Bénin », un « copain de Lionel Zinsou », ou encore un intellectuel qui, des bords de la Seine, incite à la haine, voire « insulte le peuple béninois ». Et encore, j’ai éludé les insultes et les propos xénophobes abjects dont j’ai fait l’objet.

»

D’emblée, pour tous ceux qui m’ont appelé « Madame », je précise que je suis un homme. Anne, qui s’écrit parfois Hanne, est un nom de famille pulaar assez courant au Sénégal. Je précise aussi que je ne suis pas venu me justifier. Je ne retire pas le moindre mot de mon texte. Mais je tiens tout de même à apporter quelques précisions sur certaines accusations.
Discours scandaleux

Je ne suis pas un « pseudo-intellectuel de la diaspora » enivré des effluves de la Seine et qui donne des leçons de son exil parisien. Je vis en Afrique, j’y ai toujours vécu, hormis une courte période pour mes études à l’étranger. L’accusation de l’intellectuel arrogant, déraciné, ne peut m’être opposée.

Quant à ceux qui m’accusent de vouloir prêter main-forte à un copain, je leur réponds que je ne connais pas Lionel Zinsou. Je ne l’ai même jamais rencontré. Je n’ai aucune sympathie vis-à-vis d’aucun des candidats qui se présentent à la présidentielle béninoise en cours. Pour la raison évidente que je ne vote pas au Bénin. Je ne vote qu’au Sénégal. J’ai voulu marquer une opposition de conscience face à un discours que je trouve scandaleux. J’ai exercé un devoir moral, une exigence, eu égard à ma conception de la vie humaine et à ma révulsion du racisme, de la xénophobie et de l’intolérance.

J’écris des chroniques depuis cinq ans pour le site du cercle de réflexion L’Afrique des idées et depuis un an pour Le Monde Afrique. Chaque ligne est dictée par ma conviction africaine, ma conception du fait que nous pouvons rendre la vie en Afrique meilleure. La jeunesse peut construire une Afrique prospère où règnent l’égalité, la justice sociale, le progrès économique, l’émancipation des femmes, des minorités et de toutes celles et ceux que la construction de nos cités foudroie au quotidien de pauvreté, d’exclusion et de misère.
Arrogance infinie et grande bêtise

On m’a reproché d’insulter tout le peuple béninois. J’admire la prétention de ceux qui profèrent ces accusations en s’arrogeant le rôle de porte-voix de toute une nation.

Je n’ai pas l’hypocrisie de dire que j’aime le peuple béninois. J’ai trop souvent rencontré des gens en Europe me dire par gentillesse ou complaisance : « J’aime le peuple sénégalais. » C’est d’une arrogance infinie et d’une grande bêtise. On n’aime pas un peuple, comme on ne le déteste. On n’aime que la représentation que l’on a d’un peuple, à travers les amis et les relations que l’on s’y est faits.

J’aime le Bénin en raison des nombreux amis que j’y ai. J’admire leur intelligence et leur engagement pour leur pays et pour l’Afrique au quotidien, depuis cinq ans que j’ai rejoint le cercle de réflexion de L’Afrique des idées.

On attribue au Bénin la belle formule de « quartier latin de l’Afrique ». Ses élites politiques et intellectuelles ne peuvent ainsi s’opposer au débat contradictoire, notamment sur une matière aussi importante que la compétition électorale.

Lire aussi : Le Bénin dans l’attente après le premier tour de la présidentielle

La dictature de la pensée unique est un totalitarisme dont il faut s’affranchir si la jeunesse africaine veut relever les nombreux défis qui lui incombent.

Nous ne pouvons être la caisse de résonance d’une tentation exclusive qui a tendance à s’installer dans un monde en proie à la résurgence des nationalismes et des velléités identitaires. Je l’ai dénoncé ici même concernant le projet de déchéance de la nationalité en France.

Il faut qu’en Afrique nous apprenions à débattre. Il faut que l’on accepte de regarder notre continent à travers le prisme de la lucidité, sans passion. Il faut qu’on choisisse d’accepter la dureté de la réalité quotidienne. Il n’y a aucune nation à sublimer, il n’y a que des idées à faire prévaloir par de bons arguments face aux manquements et aux tares de raisonnement. Il n’y a que la conviction qu’il est possible de changer nos pays de fond en comble pour les hisser au rang des nations de progrès.
Sacralité de l’humain

Si le fait d’éructer et de refuser tout débat contradictoire sur le racisme intra-africain, la xénophobie et la mal-gouvernance font le « panafricanisme », alors je m’y soustrais. Notre génération doit être celle du printemps, du débat sans concession et du courage de se regarder en face. Je ne regarde pas l’Afrique seulement comme victime, car parfois elle est bourreau. Le génocide rwandais, les massacres des hommes de Joseph Kony en Ouganda, la répression de la place Tahrir, les charniers de Duékoué, la folie destructrice de Yahya Jammeh ou encore le drame du Burundi sont trop présents devant nous pour que nous fassions semblant de ne rien voir.

Mon panafricanisme n’est pas la haine de l’autre. Je ne porterai pas la haine de l’Occident en bandoulière pour justifier nos horreurs. Mon panafricanisme se nourrit d’afro-responsabilité. A l’heure de la résurgence des barrières par des excités qui veulent dresser des murs de division et par ceux qui promeuvent l’opposition des uns et des autres sur des critères raciaux, religieux ou sexuels, je choisis de rejoindre, à mon petit niveau, le camp des bâtisseurs de ponts, ceux qui croient en la sacralité de l’humain, dans la diversité de ses composantes. Au choc des civilisations, je préfère substituer une alliance de celles-ci portées par les progressistes de part et d’autre du globe.

Lire aussi : « Nous ne sommes pas xénophobes » : réponse d’un opposant béninois sur Lionel Zinsou

En 2014, j’ai rencontré Aminata Traoré chez elle, à Bamako. Je lui ai demandé au sujet de son livre avec Boubacar Boris Diop, La Gloire des imposteurs, si, en accusant la France de presque tous les maux du continent, notamment de la guerre au Mali, elle n’était pas en train maladroitement de déresponsabiliser la jeunesse africaine, de lui dénier son rôle dans l’entreprise colossale de renversement de paradigme et de construction d’une autre Afrique, celle que nous voulons. Sa réponse ne m’avait pas convaincu.
Démocratie des grosses fortunes

J’avoue avoir été affecté par certaines critiques outrancières de ma chronique. Tout homme qui produit de la réflexion et affirme être indifférent à des commentaires fétides et injustes sur sa personne n’est pas homme, de mon point de vue. Au-delà des signatures, il y a les hommes avec des familles et des amis.

En apportant, dans ces mêmes colonnes, ma défense à Kamel Daoud, j’avais regretté la violence de certaines attaques sur les réseaux sociaux. Un simple tweet, ça ne fait pas mal, pensent ceux qui les envoient. Devant le déferlement de haine qui m’est parvenu par Twitter, Facebook et même dans ma boîte mail, que personne n’exige de moi l’indifférence. Mais que personne n’attende non plus qu’après ces meurtrissures je renonce aux idées claires, aux positions tranchées, aux désapprobations sans équivoque.

Sur ce Bénin qui donne aujourd’hui l’image d’une démocratie des grosses fortunes, comme sur tous les autres sujets concernant le devenir de l’Afrique, par devoir d’irrévérence, je ne me tairai pas.

Hamidou Anne
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