La démocratie, la bonne gouvernance et le développement en Afrique sont entre autres thématiques auxquelles Amie Joof, journaliste et présidente du ‘’Réseau interafricain pour les femmes, médias et développement’’, basé à Dakar s’intéresse dans cette interview.
La Nation : Quel état des lieux peut-on faire des instruments juridiques sur le genre en Afrique et dans le monde ?
Amie Joof : En Afrique, il y a beaucoup de difficultés en ce qui concerne la compréhension et l’intégration du concept genre, sur l’égalité des femmes et des hommes et sur les autres aspects qui touchent au développement, notamment la démocratie et la bonne gouvernance. La plupart des gouvernements ont ratifié les différents instruments régionaux et internationaux. Au niveau de la sous-région, il y a les protocoles de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédeao) sur la bonne gouvernance, sur la participation de la population aux élections et dans les instances de prises de décision, mais aussi ceux relatifs à la participation des femmes, des jeunes, de toutes les couches de la société dans le processus de développement. Il se fait que généralement, les gouvernements et les Etats sont souvent très bien à l’aise à ratifier ces protocoles. On peut citer comme exemple le Protocole de Maputo, le Protocole sur le droit des femmes en Afrique, deux importants accords signés par la quasi-totalité des pays d’Afrique de l’Ouest à l’exception du Niger.
Qu’en est-il de l’application des dispositions que vous venez de citer ?
Mais le tout ne suffit pas de ratifier ces instruments juridiques. Il faut aussi et surtout les mettre en application. Aussi faudrait-il les domestiquer après leur ratification. Pour cela, il faut aussi des ressources financières pouvant soutenir les institutions étatiques et non étatiques qui doivent exécuter ces lois et protocoles. C’est une étape importante pour la mise en application des textes de lois. Dans les protocoles et les lois, l’obligation est faite aux Etats de donner les moyens aux institutions étatiques et non étatiques afin de leur permettre de jouer efficacement leurs rôles.
Il leur est aussi demandé de bien gérer les ressources de leurs pays. Sur ce point, l’accent est surtout mis sur la transparence, la bonne gouvernance, la démocratie et le respect des droits des personnes. C’est pourquoi un chef d’Etat ne saurait se glorifier si le peuple qu’il dirige vit habituellement dans la peur. Autrement, qui dirige-t-il et que promeut-il? Les chefs d’Etat africains ont beaucoup à faire en la matière.
Tous ces aspects sont aussi nécessaires à connaître par les médias au regard du rôle important qu’ils jouent dans le processus de développement, de la démocratie, de la bonne gouvernance en Afrique étant donné qu’ils sont là pour éveiller les consciences à travers les préoccupations qu’ils soulèvent dans leurs analyses et enquêtes. Ce n’est pas une tâche aisée parce que dans certains pays, la liberté d’expression, l’accès à l’information et aux lois se révèlent de rudes épreuves. Dans d’autres pays encore, la liberté de la presse est tellement menacée que des journalistes sont parfois arrêtés et incarcérés. Dans ces conditions, nous reconnaissons qu’il est très difficile aux hommes des médias d’être à la hauteur de leur mission de veille citoyenne.
Peut-on déduire que les préoccupations que vous soulevez sont vécues de la même manière dans les pays francophones et anglophones d’Afrique?
Chaque Etat vit ses problèmes à sa manière. Lesquels problèmes sont presqu’identiques selon qu’un pays africain est francophone ou anglophone. Mais la manière de les gérer diffère. Chaque pays a sa propre Constitution et ses lois. L’environnement social parfois est aussi différent mais ce qui cloche généralement au niveau des pays africains francophones résulte de la participation des populations à la vie citoyenne, leur accès aux soins de santé, la scolarisation des filles, la pauvreté et l’inégalité entre les sexes. Tous ces problèmes touchent tous les pays d’Afrique et du monde. La différence se trouve dans la manière dont ils sont pris en compte et gérés par les dirigeants.
A votre avis, comment peut-on apprécier les efforts des dirigeants africains dans la prise en compte de la dimension genre au cœur de leurs programmes de société ? Et quelles appréciations peut-on également faire de l’apport des médias africains dans le développement?
Les efforts des dirigeants africains peuvent être évalués dans la budgétisation du genre, un aspect très important pour le développement. Il en est de même pour les journalistes, qui en plus d’être des enquêteurs, sont aussi membres de la société civile. Il leur importe de poser des questions sur la budgétisation du genre. Ils doivent faire des investigations sur les montants alloués à l’éducation, à l’agriculture, aux infrastructures routières, à l’énergie, aux transports, aux travaux de recherche, à tout ce qui a rapport avec l’épanouissement des femmes et de la société tout entière, bref, à tous les secteurs de développement, en vue d’évaluer les efforts des dirigeants. Les hommes des médias doivent aussi veiller à ce que les politiques de genre et de développement en Afrique soient bien exécutées. Le devoir du journaliste consiste aussi à s’intéresser aux questions de développement dans leur ensemble afin de vérifier si elles sont en adéquation avec les problèmes touchant à la vie des populations. Pour mieux couvrir les sujets relatifs au genre, aux médias et à la bonne gouvernance, il leur revient d’être bien informés sur ces différents sujets afin de porter la bonne information au public et d’attirer l’attention des pouvoirs publics sur les fossés à combler.
N’est-il pas temps que les femmes elles-mêmes prennent les choses en main en Afrique, pour une réelle prise en compte de leurs besoins et des sociétés ?
Avant toute chose, les femmes doivent être solidaires tout en essayant de travailler ensemble avec les hommes. Il y va de l’intérêt de nos sociétés, de l’avenir de nos enfants appelés à bâtir l’avenir. Pour ce qui est de la promotion des femmes, personne ne peut les propulser. Elles doivent voler de leurs propres ailes en collaboration avec les hommes et les institutions de leurs pays, en cherchant aussi à améliorer leur situation, à travers des formations au besoin. Lorsqu’elles manquent de moyens, elles peuvent solliciter l’appui des structures ou des organisations qui peuvent les aider dans ce sens. Le travail en réseautage leur est aussi très bénéfique. Il est tout de même très facile de dire que les femmes ne travaillent pas ensemble, qu’elles sont leurs propres ennemis. Ces propos se tiennent parce qu’il y a une mauvaise compréhension de leur rôle au sein de la société. Les femmes sont donc appelées à cultiver le dialogue entre elles et les hommes, en essayant aussi de chercher des opportunités pour leur promotion et leur épanouissement.
Voulez-vous dire que les femmes africaines doivent cesser d’espérer leur salut de la part de leurs dirigeants ?
La promotion des femmes africaines est du ressort de leurs dirigeants. C’est leur obligation en tant que pouvoirs publics d’accorder aussi de la place aux femmes dans leurs programmes de développement. Lorsqu’ils s’en écartent, les femmes doivent les rappeler à l’ordre. Sinon, elles peuvent les sanctionner par leurs votes au moment des échéances électorales. Mais les femmes aussi ne doivent pas se croiser les bras sans rien faire.
Que fait alors votre organisation en matière de promotion des femmes ?
Le ‘’Réseau interafricain pour les femmes, médias et développement’’ travaille avec les journalistes femmes et hommes sur l’aspect genre, le monitorage des médias, la formation pour les femmes et les hommes sur différents aspects des médias et aussi notamment sur le plaidoyer sur les droits des femmes journalistes, sur l’égalité dans les instances de prises de décision, au sein des administrations publiques comme privées. Nous estimons qu’il faut donner plus d’opportunités aux femmes dans le domaine de la formation afin de leur permettre de bien évoluer dans la vie¦
Maryse ASSOGBADJO