Dans la soirée du jeudi 17 mars, sur le plateau de l’Office de radiotélévision du Bénin (ORTB), le face-à-face télévisé très attendu et inédit dans l’histoire politique du Bénin, a mis aux prises les deux finalistes de l’élection présidentielle, dont le second tour a lieu dimanche. A la gauche de l’écran, l’homme d’affaires Patrice Talon ; à la droite, le Premier ministre Lionel Zinsou. Un duel des contraires, tant le style et le parcours des deux candidats est différent. Au final, un débat âpre mais qui a laissé place quelques heures plus tard à une vive polémique.
Il n’y a qu’à lire les unes de certains journaux béninois ce matin ou entendre les nombreuses revues de presse, très écoutées au Bénin et diffusées sur les radios en langues nationale et locales, pour s’en rendre compte. Les propos tenus hier lors du débat de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle par Patrice Talon ont visiblement heurté le sentiment patriotique de nombreux Béninois. Leur fierté nationale en a pris un coup.
Désireux d’incarner la « rupture » et un « nouveau départ », l’ex-« roi du Coton » s’est appliqué à dresser un constat très sombre de la situation du pays. « Notre pays va mal sur tous les plans. Sur le plan politique, cela est visible. Sur le plan social, pareil. Sur le plan économique, n’en parlons pas », a-t-il déclaré, avant de conclure, péremptoire : « l’Etat est défaillant partout ». Un exercice de style pour Patrice Talon qui tente de faire oublier qu’il a été le principal bailleur de fonds des campagnes victorieuses du Président Yayi Boni en 2006 et 2011. Il entend désormais incarner un homme neuf. Mais cela n’est pas si évident : la coalition dite de la « rupture », qu’il a réunie autour de lui, est composée de personnalités dont la quasi-totalité ont été ministre et/ou député dans les dix dernières années.
« République bananière » et cris d’orfraies
Mais après quelques minutes de débat, ce sont de véritables cris d’orfraies qui sont poussés devant les télévisions lorsque Patrice Talon déclare au moyen d’une expression tristement connotée : « nous sommes dans une République bananière ». Et celui-ci de poursuivre : « le Bénin est devenu la risée du monde », avant de conclure : « plus personne n’a de fierté à dire qu’il est Béninois ». Dans un pays où le sentiment patriotique est très puissant, ce type de réflexions a été mal perçu par l’opinion publique. « On peut naturellement critiquer le régime. Mais critiquer le pays, cela ne passe pas », décrypte Steve Kpoton, analyste politique béninois.
La « transgression » va crescendo quand, plus loin dans le débat, celui qui a fait fortune en s’octroyant le monopole de la filière du coton pendant une décennie et qui a financé les campagnes électorales de nombre de responsables politiques, se lance dans une critique hasardeuse de différents corps de métier. Empressé de dépeindre un Bénin où décidemment tout va mal, Patrice Talon affirme tour à tour que « l’administration de l’éducation est la principale cause de la dégradation de la qualité de l’enseignement », que les Béninois ont « une armée pléthorique » ou encore quand il remet en cause les succès de l’agriculture béninoise et qu’il nie sa responsabilité dans l’effondrement de la filière coton.
« J’ai été profondément choqué par ses paroles », déclare Salifou Balogoun, cotonculteur dans la commune de Banikoara, qui garde un très mauvais souvenir des années où Patrice Talon était à la tête de la filière coton. « Remettre en cause les effectifs de l’armée alors que le risque terroriste est à nos portes est suicidaire », réagit quant à lui Gildas Noudehou, étudiant en 2ème année d’agronomie à l’université d’Abomey-Calavi et zems à ses heures.
A deux jours d’un scrutin décisif pour l’avenir du pays, Patrice Talon a peut être déjà perdu une bataille au profit de son adversaire, Lionel Zinsou, qui lui n’a cessé de plaider en faveur d’un Bénin gagnant. Patrice Talon ne peut plus incarner la fierté d’être Béninois.