Elu à la magistrature suprême le 20 mars dernier, Patrice Talon hérite d’un pays dont le peuple est assoiffé d’une rupture d’avec la mauvaise gouvernance et ses corollaires. Les défis sont multiples, mais il y a des priorités sur lesquelles le nouveau Président se doit d’agir : rompre avec l’impunité et remettre le pays au travail.
Après 26 ans de marche démocratique, le Bénin amorce un ‘’Nouveau départ’’ dans la quasi-totalité des secteurs de développement. La corruption est devenue endémique au regard des nombreux scandales qu’a connus le pays ces dernières années. Le secteur judiciaire affaibli par des grèves intermittentes attend son lot de reformes pour devenir réellement indépendant. L’école béninoise agonisant sous le poids de l’effectif pléthorique est devenue presque une machine à fabriquer des chômeurs. De même, bien que le Produit Intérieur Brut ait connu quelques points en 2015, le panier de la ménagère reste toujours maigre. Les défis sont nombreux et pressants.
Ainsi, l’euphorie de la victoire passée, Patrice Talon se doit de mettre en branle l’artillerie du nouveau départ. Après son investiture le 06 avril, les Béninois attendent d’apprécier la taille et la configuration de son gouvernement. Il se doit de convaincre sur la qualité des ministres qui seront nommés, leur capacité à être à la hauteur des aspirations du peuple. Un gouvernement d’union nationale ne sera pas une surprise pour fédérer les énergies, annihiler les élans régionalistes et poser les jalons d’une réconciliation nationale.
Un dialogue inclusif avec la classe politique est plus qu’une priorité. C’est une condition nécessaire pour pouvoir réussir les réformes institutionnelles annoncées lors de la campagne électorale. Le peuple assoiffé de la rupture attend de voir agir le nouvel homme fort de la Marina sur divers points : remise en cause ou pas de certaines décisions de son prédécesseur, annulation ou non de concours dits frauduleux, audit de la gestion de certaines sociétés et offices d’Etat etc. La liste est longue et la pression populaire et ouvrière ne sera pas des moindres. Aussi, des milliers de jeunes attendent-ils de trouver les moyens de se prendre en charge, pour se donner raison d’avoir opté pour la rupture.
Les syndicalistes et acteurs de la société civile déclinent leurs attentes
Joël Atayi-Guedegbe/ acteur de la société civile : « Il faut qu’il montre le chemin et œuvre à remettre tout le monde au travail »
Le nouveau Président doit d’abord travailler à restaurer les symboles que sont l’unité nationale, le mérite, l’équité et l’humilité. Il faut qu’il puisse rompre avec cette présidence qui laissait très peu d’initiatives à ses collaborateurs. Aussi, les réformes institutionnelles annoncées ne peuvent pas l’être sans la mise en place d’un dialogue politique sincère. C’est un dialogue qui ne doit pas être confondu avec des négociations pour des postes. Il faut des orientations claires débouchant sur des engagements dans lesquels les uns et les autres doivent retrouver un socle vertueux d’exercice du pouvoir d’Etat.
La question du positionnement du Bénin dans l’économie sous régionale doit être une priorité. Au-delà du Coton, Patrice Talon lui-même a déclaré que l’anacarde pouvait représenter une perspective intéressante. Il faut qu’il montre le chemin et œuvre à remettre tout le monde au travail. Il faut qu’il oriente les Zémidjans vers d’autres secteurs que lui-même a identifiés. Les secteurs de la justice, de l’éducation, de la santé, de l’énergie méritent des politiques très claires qui marquent la rupture dans la manière de faire. Au nombre des priorités du nouveau président de la République, il y a la séparation des pouvoirs, la restauration de la confiance dans la maison justice. Il faudra envoyer des signaux forts qui prouvent qu’on est prêt à rompre avec les mauvaises pratiques.
Francis Lalèye, politologue : « Il faut que, très vite, on finisse avec le sentiment que n’importe qui peut faire n’importe quoi des deniers publics sans rien risquer »
Je crois qu’il faut s’attaquer à des choses qui vont avoir au moins deux impacts : rassurer les Béninois eux-mêmes, lancer des signaux à l’opinion publique internationale qu’effectivement, quelque chose change dans le pays. Les actions en matière de gouvernance sont capitales. Au niveau de la forme, ça doit être déjà la composition du gouvernement, sa taille, et la qualité des personnes qui le composent, au moins sur le papier, en attendant de les voir à l’œuvre. Il faut qu’on ait le signal que ce sont des gens compétents a priori. Dans le fond, je crois qu’il faut s’attaquer très rapidement à au moins trois choses. La première chose, c’est la lutte contre la corruption.
Il faut que, très vite, on finisse avec le sentiment que n’importe qui peut faire n’importe quoi des deniers publics sans rien risquer. Qu’on passe de ce sentiment à celui où l’on se voit obligé de mettre de la rigueur dans la gestion des affaires publiques, de telle manière que le fautif ait la crainte de subir la rigueur de la loi. Le troisième point, c’est le mérite. C’est urgent. Les Béninois, depuis 20 ans ont le sentiment que le mérite ne sert plus à rien. En dehors de la parenthèse de Soglo, si vous prenez la période révolutionnaire jusqu’en 2016, les gens ont le sentiment qu’il suffit de connaitre quelqu’un de bien placé pour se faire une place. Vous n’avez pas besoin de mériter le poste. Il suffit d’être du bon côté ou d’être un bon griot, et le tour est joué. Yayi a essayé de réinstaurer le mérite pendant les deux premières années de son mandat mais il a été rattrapé par ses partisans. Ce sont ses propres partisans qui ont commencé à le critiquer, à s’en plaindre. Malheureusement, il n’a pas eu le caractère pour pouvoir maintenir la ligne. Le nouveau président doit s’en souvenir et chercher à comprendre pourquoi Yayi a échoué sur un certain nombre de réformes. Il y a des problèmes qui sont liés à notre mentalité, à notre culture. Il faut beaucoup de caractère, pour pouvoir ramer quelquefois à contre-courant de l’opinion publique. La qualité d’un leader, c’est d’amener les autres à le suivre même s’ils n’ont pas envie d’aller dans la même direction. Il sait que peu de temps après, tout le monde lui donnera raison. Il faut restaurer le mérite dans l’administration publique. Ainsi, chacun pourra se dire quelles que soient mon origine, ma condition sociale, si je réponds aux critères pour mériter un poste, je l’aurais. Ceci, sans pour autant avoir des parents dans le système. Si le président réussit rapidement à imprimer sa marque sur ces questions, je pense que les effets seront démultiplicateurs et vont toucher beaucoup d’autres domaines pour insuffler réellement un nouveau départ comme il le dit.
Germain Gonzallo/ Spécialiste de la Géopolitique : « Il faut surtout qu’il cherche à renforcer les relations commerciales entre le Bénin et le Nigéria… »
Jusque-là tout le monde a décrié la mauvaise gouvernance de ces dernières années. Si le nouveau président peut régler cette question, ce sera bien. C’est un problème qui ne concerne pas seulement le Bénin. Ça concerne toute l’Afrique et même au-delà, avec le scandale Petrobras qui secoue le Brésil. Tout ceci montre que ce n’est pas l’apanage de l’Afrique. Mais je pense que c’est possible que nous puissions y mettre fin. J’entends dire qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières. Il faut que chacun prenne désormais la résolution de se mettre vraiment au service de son pays. Il y va de l’intérêt de tous. Il faut surtout que le nouveau Président cherche a priori à renforcer les relations commerciales entre le Bénin et le Nigéria et ensuite renforcer les relations dans l’espace Cedeao. C’est extrêmement important. Qu’on le veuille ou non, même si le Nigéria a actuellement des problèmes avec les groupes terroristes, notamment Boko Haram, ce pays une des premières puissances commerciales en Afrique. En dehors du Nigéria, il y a bien entendu l’Afrique du Sud. Mais il faut que les relations entre le Président nigérian et le Président béninois soient vraiment renforcées. Il faut que le Bénin participe, avec les autres pays de la sous-région, au renforcement de la coopération interrégionale. Ceci implique comme toute première action, une visite à son homologue Muhammadu Buhari pour confirmer la bonne relation diplomatique. Maintenant, sur la question de l’économie informelle, notamment l’essence de contrebande, cela doit faire l’objet d’une réflexion entre les cadres et les populations transfrontalières. Nous sommes dans un espace où la Zone échappe complètement à la compétence des différents pays. C’est ce que nous appelons des espaces péri nationaux qui fonctionnent selon les avantages que l’on peut tirer de l’un ou de l’autre.
Pascal Todjinou, Sg/Cgtb ; …Talon doit donner de l’espoir au peuple béninois… »
« Patrice Talon doit donner de l’espoir au peuple béninois. Et pour le faire, certaines décisions urgentes sont à prendre. La première, c’est de composer un gouvernement qui tienne compte des aspirations du peuple béninois. Deuxième chose, c’est de prendre les dispositions nécessaires pour vraiment nettoyer le palais de la République. Il faut redonner au palais de la République ses lettres de noblesse. Troisième chose, il faut rentrer rapidement en dialogue avec les travailleurs et les partis politiques pour remettre le pays au travail. Quatrièmement, il faut régler le problème du décret portant rémunération des Secrétaires généraux, des Directeurs de cabinet et leurs adjoints, avec effet rétroactif. Si par précipitation, ils se sont déjà octroyés ces fonds, il faut leur émettre des ordres de recette. C’est absolument nécessaire pour nettoyer l’écurie. Cinquièmement, il faut annuler les concours frauduleux organisés. De même, il faut donner à la justice et à l’administration leur indépendance. C’est-à-dire qu’il faut dépolitiser l’administration béninoise. En un mot, tout est à refaire, et je ne peux que profiter pour féliciter le Président Patrice Talon qui a tout fait pour délivrer notre pays ».
Noël Chadaré, Sg/Cosi-Bénin :« J’attends du Président qu’il organise les assises nationales… »
« Il a dit qu’il donne effectivement un nouveau départ à notre pays. Ce que nous attendons sur le plan social, c’est qu’il y ait un peu plus de justice pour notre pays. Il y a des situations qui interpellent la conscience de tous les Béninois. Quand je prends des concours organisés et qui font objets de contestations, ce n’est pas bien pour un pays qui aspire à se développer. Ce pays a besoin d’une administration de qualité et non une administration où on fait la promotion de la médiocrité. Il y a eu beaucoup de concours qui ont fait l’objet de polémique. Patrice Talon doit suspendre ces concours et mettre sur pied à cet effet une commission d’enquête. Et les conclusions issues de cette enquête devraient permettre de prendre les décisions qui s’imposent pour plus de paix et de justice sociale dans notre pays. Dans l’imaginaire collectif des Béninois, quand on dit concours, c’est la fraude. Il faut qu’on change cela. Les admis aux concours doivent être les plus méritants.
Il y a aussi le dernier arrêté que le Gouvernement a signé et qui concerne les primes des Directeurs de Cabinet et leurs adjoints, ainsi que les secrétaires généraux des ministères et leurs adjoints, avec un effet rétroactif, que le prochain président doit annuler. C’est une injustice sur le plan social. On accorde des choses faramineuses à une minorité. Cela donne l’impression que le Bénin est un gâteau qu’il faut partager.
J’attends aussi du Président qu’il organise les assises nationales, parce que le pays est pourri, perverti. C’est la déconfiture totale. Nous sommes dans une société où la morale a déserté le forum. Il n’y a plus de modèle. Les modèles sont des anti-modèles. C’est une société où on promeut la médiocrité et on ne respecte plus les règles, les textes de loi. Il faut donc s’asseoir pour remettre les cartes sur table, les rebattre et les répartir sur des principes nouveaux qui vont guider notre société, parce que nous sommes aujourd’hui sans boussole ».
Fulbert ADJIMEHOSSOU (Coll.)