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Un Opérateur économique à la tête d’un Etat : Patrice Talon, l’exception?
Publié le jeudi 24 mars 2016  |  Matin libre
L’homme
© AFP par PIUS UTOMI EKPE
L’homme d’affaires, Patrice Talon




es affaires ne riment pas avec la Politique. Pour la plupart des pays où un homme d’affaires ou un opérateur économique a dirigé en tant que chef de l’Etat, c’est le chaos. L’alerte a été donnée par nombre de personnes y compris l’Archevêque de Cotonou, Antoine Ganyê qui dans une correspondance a même invité Sébastien Ajavon et Patrice Talon à renoncer à leurs candidatures à la magistrature suprême. Ironie du sort, si le deuxième a réussi à se faire élire, il est une évidence qu’il ne gouvernera pas sans le premier. Patrice Talon réussira-t-il là où d’aucuns ont échoué ?

Dans sa lettre ouverte fortement médiatisée, courant août 2015, Monseigneur Antoine Ganyè, Archevêque de Cotonou, président de la Conférence épiscopale du Bénin s’adressait à Sébastien Ajavon, président du Patronat et Patrice Talon, magnat du coton, exactement en ces termes : « … le Bénin a besoin de ses grands opérateurs économiques que vous êtes chacun dans son domaine d’activités. Vous n’êtes pas sans savoir que le budget du Bénin est essentiellement fiscal, le pays a donc besoin de la contribution de vos entreprises pour assurer sa croissance. Vous êtes pour l’un Président du Patronat du Bénin et pour l’autre grand opérateur économique dans un secteur vital et source de revenus d’exportations importants pour le Bénin. Vous êtes donc les premiers représentants du secteur privé au Bénin.

Les secteurs privé et public sont deux secteurs en partenariat étroit dans une nation, et vous le constaterez de par le monde, les passages de l’un à l’autre statut sont perturbateurs pour le devenir d’une nation. C’est vrai que le Bénin a connu une période où les opérateurs économiques se sont sentis très oppressés par le pouvoir politique, mais cela demeure vraiment regrettable de voir des grands opérateurs économiques de notre pays laisser leur domaine d’intervention vital pour le développement du Bénin et vouloir se consacrer à la politique.

Les secteurs privé et public sont bien distincts, chacun dans ses prérogatives économiques et financières pour l’un, au service des intérêts publics pour l’autre. La candidature à la présidence de la république d’opérateur économique de votre dimension entraînera inéluctablement la méfiance des autres opérateurs économiques et pourrait avoir des effets très néfastes.

En effet, cette candidature pourrait être interprétée par les autres acteurs économiques comme une stratégie visant à s’approprier le pouvoir politique pour faire prospérer ses propres affaires et se faire droit, au détriment des autres opérateurs économiques. De plus, une telle candidature pourrait par réaction inciter d’autres opérateurs économiques à se lancer dans la course à la présidentielle provoquant une rivalité qui nuirait forcément aux intérêts du pays. Vos candidatures seront forcément considérées par la nation entière comme un règlement de comptes, animé par un sentiment de vengeance.
De plus une probable victoire aux présidentielles d’un opérateur économique va créer une psychose au niveau des opérateurs économiques qui n’auront pas milité pour l’élu et pourrait induire dans le pays de fortes tensions entretenues par le pouvoir financier des acteurs du secteur privé.

C’est pour toutes ces raisons que nous venons vous supplier, messieurs Patrice Talon et Sébastien Ajavon, de bien vouloir renoncer à présenter vos candidatures respectives à l’élection présidentielle de février 2016 pour le bien suprême de la nation béninoise.

Nous vous exhortons à continuer à jouer vos rôles d’acteurs majeurs et incontournables de la vie économique de notre pays et à œuvrer à la sensibilisation de vos pairs pour qu’ils n’abandonnent pas leur domaine d’intervention au profit de la politique. Vous devez continuer votre œuvre de construction d’une nation économiquement forte en apportant vos appuis éclairés au pouvoir politique qui doit assurer en retour son rôle régalien au service de la nation toute entière ».

A l’instar du prélat…

A la suite de l’homme d’Eglise, c’est le président du mouvement « Le Nationaliste », Iréné Agossa qui, maintes fois, a critiqué cette ambition des hommes d’affaires de briguer la magistrature suprême. Pour lui, c’est une façon de s'accaparer de l'appareil d'État. Arguments à l’appui, il a prouvé que partout où il y a eu ces cas, il y a eu des montées de tensions avec désintégration du tissu économique. Iréné Agossa a évoqué les cas de l’ancien président malgache, le magnat Marc Ravalomanane, l’italien Silvio Berlusconi, du richissime Nigérian Abiola et le cas des Shinawatra en Thaïlande.

Victor Topanou, pareil…

L’Universitaire Victor Topanou, même s’il soutient aujourd’hui Patrice Talon qui a bénéficié du report de voix de son candidat Sébastien Ajavon, avait lui aussi alerté sur les risques que court le Bénin à travers ces deux candidatures. L’Enseignant de Droit avait invité la Cour constitutionnelle et la classe politique à faire en sorte que le président du Bénin à partir du 6 avril 2016 ne soit ni Ajavon, ni Talon. Sur sa page Facebook et dans une lettre ouverte, il déclare :« Sommes- nous encore capables d’arrêter cette dérive démocratique qui se déroule sous nos yeux et qui n’est en réalité que l’illustration de la forme paroxysmique de ce modèle démocratique que nous avons, ensemble, construit depuis un quart de siècle, à savoir la candidature des opérateurs économiques et qui présente de grands risques qui sont autant d’hypothèques pour notre jeune démocratie ». Il poursuit : « Le problème que posent les candidatures de Patrice Talon et de Sébastien Ajavon est un problème d’ordre éthique, voire de moralité et de probité qui met en cause les personnes même de ces deux candidats ainsi que de leurs relations tumultueuses et incestueuses avec l’Etat béninois ». Fort de tout ceci, Victor Topanou donne le ton :« Au Nigéria, au Togo, au Ghana, en Côte-d’Ivoire, au Sénégal, au Mali, au Niger, au Burkina Faso et partout ailleurs en Afrique, nul ne peut être Président de la République s’il n’est un acteur politique qui a fait ses preuves dans un parti politique. Il en est de même dans les pays de vieille tradition démocratique comme en Europe ou ailleurs ». Le professeur Topanou ne s’était pas non plus écarté des conséquences néfastes que pourraient avoir ces candidatures sur le cours normal des choses dans le pays. La liste des dénonciations liées à ces candidatures n’est pas exhaustive.

En dépit de toutes ces alertes et invites à y renoncer, le sort en est jeté. Le peuple béninois, qui est le grand électeur a investi un homme d’affaires à la tête du pays. D’aucun disent même qu’ils sont deux puisque Patrice Talon n’a pas été élu sans le soutien remarquable de Sébastien Ajavon arrivé 3ème. A compter du 6 avril, la gouvernance change donc de main. Même si Patrice Talon au cours de ses différentes sorties post-élection a tenté de rassurer en faisant comprendre que les cinq ans à venir le pays sera efficacement géré, il n’en demeure pas moins que des « Saints Thomas » restent dubitatifs. Le président Talon réussira t-il à séparer affaires de Etat ? Encouragera-t-il la concurrence dans ses secteurs d’activités ?En lieu et place des billets de banque qui constituent aujourd’hui le mode de raisonnement en politique, le Nouveau Départ parviendra –t-il a imposé le CFA(Confiance, Foi et Abnégation) ?Pour tout dire, Patrice Talon, qui a déjà le pouvoir financier, réussira–t-il à jouer convenablement son rôle régalien au service de la nation toute entière ? Les Béninois sont préoccupés.

Jacques Boco
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