Kpédékpo, Adjohoun, Porto-Novo, Zogbodomey, Ekpè, Semè-kpodji la répression barbare et sanglante contre l’essence Kpayo a bien porté les fruits attendus : des cadavres. En lançant ses guérilléros à la trousse des vendeurs de l’essence Kpayo dans les régions méridionales du pays, le gouvernement de Yayi Boni a pensé qu’il suffit d’assassiner quelques vendeurs pour que l’essence disparaisse des tablettes. Comment vouloir arrêter cette vente si on ne règle pas les préalables ? Pourquoi décider de supprimer du jour au lendemain ce commerce qui reste une stratégie de survie pour les milliers de revendeurs mais aussi pour des milliers de clients ? « Il n’est pas acceptable de prétendre supprimer cette activité qui constitue bien souvent, et depuis des décennies, la seule source de revenus de la frange la plus démunie de nos populations, sans avoir résolu le problème de la réinsertion des acteurs de ce secteur ». Dans une ville comme Porto-Novo, à des kilomètres à la ronde, il n’y a qu’une seule station essence qui est fonctionnelle à peine un jour par semaine et le prix de l’essence y reste un casse-tête pour le client ordinaire.
Complicité indécente
Le macabre décompte des victimes de cet « essenticide » s’égrène donc dans l’indifférence presque totale. Les députés pavanent dans leurs 4X4 climatisés, les anciens présidents se sont réfugiés dans leur retraite dorée. Tant qu’un Zinsou, Kérékou ou Soglo ne tombe pas sous les balles de la refondation et jeté dans la poubelle de la haine, le pays va bien. Le seul cri de cœur qui a rompu cette complicité indécente est celui de Me Adrien Houngbédji qui a eu le courage politique, lors de l’université de Vacances (UV) de son parti, de mettre le doigt sur cette plaie saignante.
L’homme a dénoncé à visage découvert et avec vigueur ce drame qui se joue dans l’anonymat total. « Il est inacceptable que la répression s’abatte avec férocité sur les vendeurs de kpayo dans certaines régions que l’on casse, que l’on détruise, que l’on tue, pendant qu’ailleurs on se montre tolérant ». Il y a ceux qui vendent l’essence kpayo au vu et au su de tous, comme s’ils sont protégés par l’immunité présidentielle ; et les autres qui n’ont pas voté pour le refondateur, qui subissent les atrocités des tontons macoutes.
La refondation ou la terreur
La refondation, c’est quoi ? Agir et après réfléchir ! Disons-le plus gaiement, la guillotine et après le tribunal. Dans quel pays tue-t-on des citoyens pour commerce illicite ? Pour Yayi Boni, la terreur, une solution facile et fragile, un choix pour les esprits faibles est la voie de mérite ; mais la violence fait-elle le poids devant la misère ? Le rôle de l’État est de protéger la population et non de la liquider. On a vu dans ce pays, quand le président Kérékou voulait nettoyer Cotonou des nombreux Zémidjan, lui un Général cinq étoiles n’a jamais distribué des armes de guerre aux militaires et demander d’aller massacrer ceux qui n’obtempèrent pas. Il a au moins trouvé un simulacre de projet manioc. On voit la différence entre un homme d’État, et un chef de clan. En dehors de victimes directes de cette prétendue lutte, les victimes collatérales se comptent aussi par dizaines. Des gens qui n’étant même pas concernés en viennent à mourir dans des accidents de poursuite de trafiquants d’essence par les hommes armés. Triste de constater qu’aucune statistique n’existe sur cette tuerie et aucun citoyen n’a cru bon de déposer une plainte contre le gouvernement pour ce qui reste un crime humanitaire. S’il nous restait quelques souvenirs de notre démocratie, Yayi et ses flingueurs devraient être interpellés devant les tribunaux internationaux, l’Assemblée nationale et la cour constitutionnelle pour crimes odieux.
Milices ou forces armées béninoises ?
Qui sont d’ailleurs ces tontons macoutes qui tirent à balles réelles sur de pauvres vendeurs d’essence Kpayo ? De mémoire d’hommes, depuis 1991, le Bénin n’a plus connu ces scènes d’apocalypse. On est en droit de se demander qui sont ces militaires et qui les incite à abattre d’autres Béninois. Si l’on connaît la retenue, la grande loyauté et l’esprit républicain de notre armée, la question se pose de savoir si des milices agissent chez nous ou s’il y a des mercenaires qui travaillent sous le couvert des forces armées béninoises. Le Bénin est-il un pays en guerre ? Être président donne-t-il le droit de décider qui doit vivre ou mourir ? Pourquoi Yayi Boni prend le vilain plaisir de distribuer des armes létales à des forces de l’ordre qui sont en contact avec des populations civiles désarmées et inoffensives ? La vraie signification politique de cette lutte, c’est bien qu’elle procède de l’idée que l’État a le droit de disposer du citoyen jusqu’à lui retirer la vie. Lorsque le roi représentait Dieu sur la terre, qu’il était oint par la volonté divine, on comprend aisément que le représentant de Dieu ait pu disposer du droit de vie ou de mort. Mais dans une république, dans une démocratie, quels que soient ses mérites, quelle que soit sa conscience, aucun homme, aucun pouvoir ne saurait disposer d’un tel droit sur quiconque en temps de paix. Sauf les assassins, dirait Jean Falala, ancien député à l’assemblée française.
Quelles solutions devant l’impasse
La myopie intellectuelle, cette hallucination du gouvernement qui l’amène à penser que les brebis galeuses se trouvent seulement dans certaines régions du pays ne font que fragiliser l’unité nationale. Il n’y a pas de lutte possible contre l’essence frelatée. Il y a une possibilité d’élaborer et de mettre en œuvre une politique globale, intégrée et humaine de réinsertion des acteurs prenant en compte le développement de divers échelons de station essence, accompagné d’une politique intelligente des prix. Mais en matière de politiques intelligentes, Yayi et ses apôtres ont déjà montré leur limite dans bien de domaines. À présent il faut qu’il sache qu’il n’y aura pas de résultats durables sans alternatives crédibles pour les personnes concernées aussi bien les acteurs de la filière essence que les clients.