L’usage des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) s’impose de nos jours. Elles s’utilisent dans tous les secteurs d’activités pour booster le développement. A travers cet entretien, le docteur Serge Armel Atténoukon, enseignant au département de psychologie et des sciences de l’éducation, spécialiste des Technologies en éducation nous montre l’importance de cet outil pour le développement du Bénin.
Quelle est la place des Tic dans le développement d’un pays ?
Sans excentricité, les Tic sont de nos jours le nerf du développement. Les pays qualifiés de puissants sont confrontés, depuis 2008, à une crise économique et financière avec des répercussions sur l’emploi des jeunes. Dans le même temps, le secteur qui continue de recruter en Europe est celui des Start-up, c’est-à-dire les Tic. Les secteurs classiques ont fini de faire leurs preuves. C’est le domaine des technologies qui a désormais pris le relais. Dans les pays comme le nôtre, on continue de penser qu’on peut baser le développement sur l’agriculture, les ressources minières et autres. Mais les pays qui ont décollé ou qui sont en train de décoller sont ceux qui ont compris l’enjeu des Tic pour le développement. Les Tic ont révolutionné notre façon de penser, de travailler, de consommer, de voir le monde… Nous sommes désormais dans une société de l’information et du savoir. Dans cette nouvelle société, les Tic ont introduit une autre forme de gouvernance. Par exemple, on parle de plus en plus d’E-gouvernance. Vous voyez tout ce que l’E-gouvernance peut procurer comme avantages à un Etat en termes d’économie. Imaginez qu’on arrive à dématérialiser la procédure administrative, vous voyez ce que tout cela peut produire comme gain. Les pays comme le nôtre doivent être très regardants par rapport à l’E-gouvernance.
Si nous venons dans le domaine de l’éducation, les technologies sont puissamment mises à contribution pour booster la qualité de l’éducation. Nous parlons désormais de la pédagogie renversée. Cela amène à ne plus considérer la salle de classe comme les quatre murs. Mieux, à utiliser les Tic pour amener les apprenants à étudier à distance et à être informés du contenu des cours avant de venir en classe. Donc, avec les Tic, on peut créer des classes virtuelles car, nous ne disposons pas d’assez de moyens pour construire des bâtiments en termes de salles de classe, d’écoles, etc. On va s’y mettre mais on ne pourra jamais y arriver face à la massification de l’effectif des apprenants. Mais les Tic permettent de contourner cette situation de nos jours. On parle aujourd’hui des cours en ligne ouverts massifs (Clom) qui permettent de former le plus grand nombre d’apprenants de façon qualitative. Il suffit de mettre les cours en ligne et les apprenants les téléchargent. Cela leur donne plus d’autonomie dans le processus d’apprentissage. Alors qu’actuellement, l’étudiant est tributaire de la présence en classe de l’enseignant avant d’apprendre. Les pays qui ont des ressources limitées comme le nôtre, doivent comprendre qu’il y a assez d’avantages à tirer des Tic pour améliorer le système éducatif. Cela aide à résoudre qualitativement le problème d’enseignants, d’infrastructures, de matériels didactiques et pédagogiques. Si vous allez par exemple au Canada, les élèves, depuis la maternelle, savent déjà utiliser les tablettes. Donc, le potentiel cognitif des Tic est encore inconnu sous nos cieux. Quand nous constatons dans cette société dite globalisée, que nos enfants ne sont pas formés aux Tic et qu’ils auront à compétitionner avec les enfants chinois, japonais, américains ou français qui, très tôt, ont été initiés aux Tic, il y a comme une certaine marginalisation.
Est-ce que notre pays profite des bienfaits des Tic ?
Depuis qu’on nous a parlé des fibres optiques de deuxième génération, je me suis dit que le Bénin se met en bonne posture pour profiter des Tic, mais malheureusement, je ne constate pas encore une prise de conscience au niveau de nos dirigeants quant à tout ce que les Tic procurent comme avantages à mettre à contribution pour le développement du Bénin. On vient de terminer l’élection présidentielle. A quel niveau du projet de société des candidats avez-vous lu des réformes prenant en compte l’E-gouvernance ? Personnellement, je n’ai pas eu le sentiment que cela a préoccupé les candidats. Le Bénin pourrait aussi profiter des Tic dans le cas de l’agrobusiness. Imaginez un paysan qui cherche des partenaires directs via Internet pour écouler ses produits sans passer par le circuit classique qui pratique la détérioration des termes d’échanges. Il pourra aussi discuter avec ses pairs des autres pays sur la technologie utilisée pour améliorer telle ou telle culture… Mais l’Internet, la principale composante des Tic, n’est pas encore une réalité dans toutes les contrées du Bénin. Il faut donc que nos dirigeants travaillent à ce que l’Internet haut débit soit vraiment une réalité. C’est grâce à l’Internet haut débit que les gens comme Bill Gate ont pu faire des merveilles. C’est pour vous dire que même si nos jeunes sont ingénieux, font preuve de créativité et veulent mettre au point des applications et qu’il n’y a pas l’Internet haut débit, cela va les décourager. Il faut donc donner des opportunités à nos jeunes qui ne sont pas moins intelligents que les jeunes américains, les jeunes français, japonais… Tout ce qui fait la différence, c’est l’environnement. Nous voulons qu’il y ait au Bénin un environnement propice pour la promotion des Tic afin de favoriser le développement des start-up au niveau de nos jeunes.
Sur le plan économique, on parle de plus en plus d’économie numérique. Ainsi, grâce au numérique, le marché international est en pleine mutation. C’est un mouvement d’ensemble qui finira par gagner le Bénin. Il faudrait donc qu’on se prépare à cette révolution en donnant aux Tic, la place qu’elles méritent dans notre développement économique.
Les Tic, c’est un secteur d’avenir, mais que fait l’Université d’Abomey-Calavi (Uac) pour orienter les formations vers ce domaine ?
L’Université d’Abomey-Calavi (Uac) fait beaucoup pour orienter les formations vers les Tic. Il y a quelques années, on était loin d’imaginer qu’à l’Uac, on pouvait parler des Mooc (Massive open online courses). Mais aujourd’hui, l’Uac est en plein là-dedans et nous sommes une exception dans la Sous-région. De plus, très peu d’universités utilisent ce système en Afrique. L’Uac a donc signé un partenariat avec l’Agence universitaire francophone (Auf) dans ce sens. Nous formons également via le campus numérique, les élites de demain. Nous avons aussi des centres de formation à distance que nous appelons Uva (Université virtuelle africaine). Nous avons formé les enseignants à mettre en ligne leurs cours à travers le logiciel Moodle… l’Université d’Abomey-Calavi a également créé un institut de formation et de recherches en informatique (Ifri) qui a déjà sorti deux promotions de licence et une promotion en master. L’Uac se montre donc pionnière par rapport aux autres universités du Bénin et de la Sous-région.
Que fait l’Uac pour faire comprendre aux décideurs l’importance des Tic ?
Toutes les occasions sont saisies par les enseignants, soit individuellement, soit collectivement pour attirer l’attention des décideurs afin qu’ils accordent plus d’intérêt aux Tic. L’université n’a pas besoin de quémander. La politique éducative veut qu’on comprenne qu’une université est un tout, un ensemble de besoins à satisfaire pour pouvoir espérer des résultats en termes de performance, de créativité, d’invention… Les pouvoirs publics doivent comprendre qu’ils doivent mettre les moyens sans attendre que les universitaires montent d’abord au créneau. Il faut comprendre qu’un Etat crée des universités pour son développement. Il doit donc leur assigner des missions. Et comme on le dit, une mission, des hommes et des moyens. Donc, l’Etat doit accorder un régime particulier aux universités. Nous faisons ce que nous pouvons, mais il faut que les médias nous aident à faire prendre conscience à nos dirigeants de l’importance d’une université pour le développement de la nation. Nous prônons maintenant un nouveau départ, mais il faut qu’il soit plus favorable aux institutions de formations en s’appuyant sur l’université comme outil d’expertise pour le développement. Il n’y a de richesse que d’homme, l’homme bien formé et compétent dans ce contexte du 21e siècle.
Propos recueillis par Isac A. YAÏ