Docteur en communication et enseignant à l’université d’Abomey Calavi, Pascal Innocent Agnonmian Gandaho était directeur adjoint de cabinet du président Boni Yayi. Cadre émérite du Palais de la présidence de la république depuis le président Nicéphore Soglo, Pascal Gandaho est l’un des proches de Boni Yayi qui ont soutenu le candidat de leur choix par conviction, outre que celui désigné à la succession de l’ancien chef d’Etat. Pascal Irénée Koupaki au premier tour et puis le président Patrice Talon au second tour selon le mot d’ordre du chantre de la Nouvelle Conscience, Pascal Gandaho est l’un des artisans du score écrasant dans la région Agonlin qui a conduit Patrice Talon au Palais de la Marina. Il nous explique ici les raisons de son choix et parle de ses espérances envers le nouveau chef d’Etat.
L’Evénement Précis : Vous étiez le Directeur adjoint du Cabinet civil du président Boni Yayi. Pourtant tout le monde a vu que vous n’avez pas soutenu le candidat désigné par le Chef de l’Etat pour lui succéder. Comment cela a-t-il pu se faire ?
Pascal A. I. Gandaho : Vous avez raison. J’ai juste agi en fonction de ma conscience et de mes convictions, dans le strict respect de mes obligations de loyauté vis-à-vis du président Boni Yayi. Le Chef de l’Etat ne pouvait pas être et n’était pas candidat à l’élection. A ma connaissance il n’a contraint aucun de ses collaborateurs à soutenir tel ou tel candidat. Nul n’a été placé dans l’obligation de choisir entre le président Yayi et l’un ou l’autre des trente-trois candidats à l’élection.
Je partage depuis l’origine les valeurs prônées par la Nouvelle conscience de même que la vision et le projet de société soutenus par le candidat Pascal Irénée Koupaki. Il était normal et naturel pour moi de demeurer fidèle à ces choix. En tout cas, je n’ai subi aucune pression pour soutenir quelque autre candidat que Pascal Koupaki au premier tour du scrutin. Dans la même logique, j’ai naturellement et librement soutenu le candidat Patrice Talon au second tour, en conformité avec les engagements et les directives de Pascal Koupaki. Je dois dire que je ne constitue pas un cas unique. Je sais que d’autres proches collaborateurs du président Yayi n’ont pas cru devoir soutenir le candidat représenté comme celui de la continuité.
Vous avez suivi le processus électoral, sans doute avec attention et intérêt. Comment appréciez-vous la fin de ce processus qui a conduit à l’élection de Patrice Talon ?
Le peuple sait ce qu’il ne veut pas. Il sait qui il ne veut pas. Il ne tient qu’un compte relatif des qualités et défauts prêtés aux uns et aux autres, de la stigmatisation et des allégations. Il écoute poliment, avance et tranche. Les Béninois sont prompts à réaliser le consensus sur les questions importantes comme le nombre de candidats à prendre en compte, la culture de paix, le respect des institutions de la République. Même si mille candidats encombrent la ligne de départ, le peuple s’entend pour en distinguer seulement une demi-douzaine. Les politiciens ont beau s’agiter, s’insulter, se salir, inciter à la haine et la division, les citoyens s’abstiennent soigneusement de tout débordement et de toute violence, un comportement très apprécié de la communauté internationale. Ce qui est également important dans ce processus est que les citoyens s’en sont remis à la CENA et à la Cour Constitutionnelle pour dire les résultats du scrutin. Nul n’a contesté ces résultats. C’est la preuve de la grandeur de notre démocratie et on se doit d’être fiers.
Quelles leçons ou conclusions tirez-vous de ce processus électoral ?
De ce que j’ai vécu et observé je peux dire que le processus a révélé qu’il suffit de peu pour réveiller une défiance vive à l’égard de la France. Monsieur Lionel Zinsou a été victime de ce sentiment largement partagé dans les villes et les campagnes, y compris par des jeunes qui n’ont jamais connu la colonisation. Il y a aussi le fait que le Bénin ne dispose encore d’aucune formation politique capable de conquérir le pouvoir d’Etat. L’Alliance Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), le Parti du renouveau démocratique (PRD) et la Renaissance du Bénin (RB) qui comptaient parmi les plus grandes formations se sont révélés incapables de désigner des candidatures en leurs seins et ont été réduits à fédérer leurs logos autour d’une personnalité qui n’a jamais participé à leurs activités. Les conditions financières et politiques de ce marché n’ont pas été révélées mais la destination d’un parti n’est pas la location de son logo. L’Union fait la Nation (UN), l’Alliance Soleil, l’AND et d’autres n’ont pas fait mieux que de soutenir des candidats qui ne proviennent pas de leurs rangs. Et pour finir les leçons tirées de ce scrutin qui s’est soldé par l’élection du président Patrice Talon, c’est que les acteurs politiques sont formatés pour s’adapter instinctivement à la direction du vent. Les intérêts immédiats demeurent la boussole déterminante d’illustres personnalités. Les convictions politiques et l’intérêt général n’ont que peu de place dans les choix. En un quart de tour, toute la classe politique est devenue Talon.
Certes un homme d’affaires vient de créer un parti d’opposition pour poursuivre son opposition personnelle au président Talon. Il aurait du reste expliqué son souci de protéger ses affaires contre le pouvoir de nuisance qu’il n’a cessé de prêter au nouveau président. Un parti politique peut-il exister sur la base de l’hostilité à un homme ?
Que recommanderiez-vous au président élu comme actions majeures ?
Rien. Absolument rien. Il n’en a pas besoin. Il a été élu avec le confort de suffrages que l’on sait. Les citoyens ont validé son projet de société, jugé cohérent et solide. Il est entouré de cadres compétents et expérimentés. Il serait vain et prétentieux de faire semblant de découvrir et de commenter ses priorités en matière de réformes politiques et économiques. Nul doute que le président Talon sait ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter pour garder l’adhésion d’une population impatiente et exigeante et faire avancer le Bénin. Contentons-nous, à l’étape actuelle, de prier pour le plein succès de son mandat. Je voudrais toutefois formuler un souhait et émettre un avis.
Quel souhait ?
Il s’agit plutôt d’un rêve. Depuis 1991, je rêve d’un président de la République qui écoute beaucoup et parle peu ; qui ne s’exprime pas comme tout le monde ; qui ne cache pas aux citoyens la vérité sur l’état des choses ; qui ne promet que ce qu’il peut assurer ; qui dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit ; qui ne divise pas pour régner ; qui distingue le mérite et ne promeut pas la médiocrité ; qui ne considère pas la politique comme un simple jeu de société ; qui assoie son action sur la crainte de Dieu, les valeurs républicaines, la Constitution et les lois ; qui pardonne et n’entretient pas la haine du prochain ; qui respecte l’équilibre des pouvoirs au sein de la République, en laissant chaque institution exercer ses compétences constitutionnelles. Je souhaite que Patrice Talon soit ce dirigeant espéré.
Et quel avis ?
Que le nouvel élu veuille bien normaliser l’administration de la Présidence de la République. Et je crois qu’avec le nouveau secrétaire général de la présidence, cela est bien possible, connaissant l’homme. Il n’est un secret pour personne que la Présidence ne fonctionne pas sur la base des textes en vigueur. Des cadres de très grande compétence sont mobilisés, mais leurs attributions ne sont pas définies et conformes à des textes connus. Ceci peut expliquer de nombreuses situations en dehors du Palais. Ce n’est peut-être la faute de personne mais cette situation ne devrait pas perdurer. L’administration de la Présidence de la République a vocation à servir de modèle à tous les départements ministériels et à l’Etat en général. Il serait temps d’accorder un rang de priorité élevé à cette question.
Quelles chances de succès pour la présidence de Patrice Talon ?
Ne parlons pas de succès ou d’échec en pensant spécifiquement au chef de l’Etat. C’est plutôt le Bénin qui pourrait réussir ou échouer. Monsieur Talon a été élu par une écrasante majorité de Béninois pour aider le pays à avancer dans la voie de la paix, de l’unité et du développement durable. Toute la nation doit se mobiliser autour de lui pour garantir le succès de ce programme d’intérêt commun. Je pense en particulier aux élus, aux institutions de la république, aux organisations de la société civile, aux partis politiques, aux associations de jeunes et de femmes et aux syndicats. Chacun agissant avec efficacité dans son domaine de compétence, le quinquennat qui commence pourrait être celui de la renaissance du Bénin, de l’unité, du travail et du succès. Patrice Talon a une obligation de succès.
Propos recueillis par Yannick SOMALON