Dans une lettre ouverte qu’il vient d’adresser au Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki -moon, l’honorable Assan Séibou s’insurge contre l’éventualité d’une candidature de l’ex chef d’Etat, Boni Yayi, à un poste de haut niveau au sein de l’institution internationale. Il en a donné de larges raisons, liées entre autres, aux nombreuses affaires et défaillances qui ont jalonné le règne de Yayi au cours des deux quinquennats qu’il vient d’effectuer à la tête du Bénin. Lire ci-après l’intégralité de cette lettre ouverte.
Monsieur le Secrétaire général,
J’apprends de source digne de foi que Monsieur Boni Yayi, président de la République du Bénin en fin d’exercice, a entrepris depuis un moment des démarches dans les coulisses de notre auguste Institution dont vous avez la haute charge, l’Organisation des nations unies, afin d’y accéder à des fonctions distinguées au nom de l’humanité.
Mon devoir de citoyen tout autant que ma responsabilité d’élu du peuple, plusieurs fois au parlement du Bénin et de la Cedeao, me place devant l’impérieuse nécessité de vous transmettre par la présente, en tout honneur et respect, ma position qui est aussi celle d’une majorité significative de mes compatriotes au sujet de la candidature présumée.
La grandeur sacramentelle des Nations unies commande d’une égale exigence et sans la moindre concession la qualité exceptionnelle des personnes appelées à y servir.
Que serait la planète sans les Nations unies, magnifique incarnation suprême de la volonté unanime des hommes de marcher de concert vers plus d’humanité, plus de beau, plus de bien ? Indiscutablement nous ressentons tous une profonde meurtrissure chaque fois que le moral, de surcroît la morale de notre vénérable édifice est touchée, et son image compromise comme il advient hélas accidentellement dans la chronique internationale si tourmentée de nos jours.
Il n’est dès lors pas imaginable que nous puissions volontairement, de notre propre chef, provoquer de telles éventualités simplement par des choix inappropriés, non instruits ou mal avisés. Que deviendrait l’Organisation si par complaisance, elle admettait en son enviable administration, des femmes et des hommes peu enclins à la grandeur, à la morale et à la paix ?
L’on en retient son souffle, Excellence Monsieur le Secrétaire général. Il ne s’agirait ni plus ni moins que de vos collaborateurs, supposés aptes à conduire à vos côtés, les affaires les plus sensibles de ce monde. J’en confesse ma frayeur.
C’est pour cela que le cas Yayi Boni doit interpeler chacun de nous, habitant de cette terre. Peut-être n’avez-vous jamais (pas encore?) reçu officiellement de candidature du genre. Mais nos renseignements émanent de coulisses diplomatiques où il est question de la nomination prochaine de Monsieur Yayi Boni aux plus hautes fonctions au sein des structures des Nations unies. Dans tous les cas, je me vois dans l’obligation de vous soumettre le profil réel du prétendant, insoupçonnable sous la peinture que pourraient-vous en offrir les démarcheurs de l’insolite initiative.
Il me paraît inacceptable qu’un Président de la République aussi sévèrement renié aux urnes par son peuple pour sa gestion morale calamiteuse (alors qu’il battait campagne de façon exécrable), puisse bénéficier d’une promotion offerte par notre auguste Organisation dès le lendemain de l’implacable sentence électorale. Ce serait la consécration d’un homme rejeté par son peuple et donc une injure à ce peuple.
En effet, comment comprendrait-on que les Nations unies puissent distinguer par une nomination qui lui permettrait de revenir narguer son peuple, un Président qui, il y a seulement quelques jours, a dû confesser devant le Corps diplomatique accrédité au Bénin les bassesses, menaces et autres turpitudes gravissimes qu’il a lui-même proférées sur l’avenir du pays à l’encontre des concurrents à son propre candidat. Je ne vous apprends rien. Si l’adversaire qu’il a le plus persécuté n’avait pas été élu et s’il ne redoutait pas que son image et ses actes peu recommandables nuisent à une autre velléité de conquête (celle d’un poste au Nations unies) il n’aurait pas fait ces aveux. Mais vous et nous partageons la certitude que les postulants à ce niveau de responsabilité doivent être des références incontestées pour l’humanité. Et que la déontologie des Nations unies ne dispose pas de case de recrutement pour les criminels faussement repentis.
Une échappée à l’international pour Yayi Boni serait d’autant plus incompréhensible que nous Béninois, savons que :
1- Devant répondre de maints dossiers scandaleux en suspens, Yayi est de fait un justiciable, oui, en quête d’asile dans une forteresse, les Nations unies ou autres, afin de se mettre à l’abri de toute poursuite. Entre autres, l’affaire ICC Services où selon les chiffres du Fond monétaire interational (FMI), plus de cent cinquante mille (150 000) Béninois ont été spoliés dans une arnaque engageant le sommet de l’Etat. Comment situerions-nous les responsabilités si le principal suspect venait à s’affubler d’une quelconque immunité, chez vous ou ailleurs ?
Même si l’immunité, nous le savons, ne protège pas de toute poursuite, l’image de notre Institution en pâtirait grandement.
2- Sous le régime de Yayi Boni les scandales financiers n’émeuvent plus personne, tant ils sont familiers. La corruption active, électorale surtout, est la marque de fabrique de l’ex Premier Béninois. La distribution à ciel ouvert de billets de banque jusque dans la cour du palais de la République doit figurer dans les comptes rendus de vos collaborateurs locaux. Qui auront vécu comme tout Béninois le spectacle insoutenable en ce lieu sacré, de ces longues files de pauvres gens appelés là pour recevoir des mains de leurs affameurs l’infâme obole en échange de leur vote. De telles pratiques seraient sans doute l’apport de Yayi à nos institutions onusiennes.
3- Les dépenses extravagantes affichées par le président Yayi Boni ne peuvent provenir que de la concussion et de la prévarication parfaitement normalisées. Les biens acquis dans l’exercice de ses fonctions ainsi que les libéralités directement effectuées par lui-même, ne se justifient pas autrement. A ce propos, il vient d’ailleurs de déclarer ses biens pour la première fois en deux mandats successifs, alors qu’il devait se conformer à cette prescription constitutionnelle au début et à la fin de chaque mandat. En l’absence de toute base de comparaison, cette déclaration se révèle complètement mensongère. Si vous voulez nommer dans nos instances internationales un corrompu et corrupteur invétéré, alors vous pouvez accréditer l’admission de Yayi Boni. L’opinion mondiale retiendrait ainsi que la corruption ouverte est un atout pour accéder aux échelons supérieurs des Nations unies.
4- Mais il n’y a pas que l’enrichissement illicite au répertoire de la gouvernance Yayi. Des cas de disparition, de mort où pèsent des soupçons sur la puissance publique au plus haut niveau sont pendants devant les tribunaux. Les faits sont têtus. Juste deux épisodes de la série : Urbain Dangnivo demeuré introuvable depuis cette mystérieuse audience au palais de la République il y a quatre ans. Une ministre assassinée lors d’un ténébreux braquage… Sous Yayi le Bénin a vécu de longues années la psychose du syndrome Duvallier.
5- Les tractations qui ont conduit à l’importation et à la désignation de Monsieur Lionnel Zinsou comme son candidat à la dernière élection présidentielle, ont affermi chez les Béninois la conviction que Yayi Boni est entré dans une négociation internationale dénuée de tout patriotisme. L’intéressé n’a pas craint d’ordonner à sa famille politique onction, légitimité et allégeance à un illustre inconnu de notre landerneau, Lionel Zinsou, parachuté à la sauvette comme candidat présumé de la France. La contrepartie serait, de sources crédibles, le soutien de cet État à la nomination de Yayi à un poste international. Les Nations unies se prêteraient-elles à ce marché de gredins ? À une complicité, selon des thèses plus alarmistes, dans les manoeuvres de déstabilisation du Bénin, ou le paiement de la mission de mise en coupe réglée du Bénin et de l’Afrique que Yayi a exécutée avec tant de malheur ?
6- Le respect de la Constitution et des lois est le chapitre de la gouvernance où Yayi Boni a le plus déçu et effarouché les Béninois. Quelle démocratie veut-on élever lorsque le Premier magistrat assujettit la justice, les institutions de la République, et souverainement fait obstruction aux décisions de tous les organes de contrepoids constitutionnels ? Les représentations diplomatiques peuvent vous égrener le chapelet des grèves dans l’appareil judiciaire au Bénin pour motif d’injonction, d’obstruction et de bâillonnement… par le président Yayi. Les hautes Cours elles-mêmes, vassalisées parfois jusqu’au ridicule, ne fonctionnent qu’à la meilleure convenance du monarque
Durant ce double mandat, aucune élection intermédiaire n’a pu se tenir à date. Toutes ont sombré dans un cafouillage innommable du fait de procédés dilatoires grossièrement ficelés. En 2008 Yayi rejette les résultats des élections communales partout où il les a perdues et s’oppose pendant des années à l’installation des élus, contrairement à la loi. Comme dans un western de pacotille ! La médiation des diplomates n’y a rien pu.
Sous la pression de l’opinion ou la menace d’une révolte populaire, la Cour constitutionnelle parvient quelquefois à s’affranchir pour dire approximativement le droit. Nous lisons ainsi dans l’une de ses décisions, que le président de la République « a méconnu la Constitution ». Comme dans la fable, peccadille qu’un acte de parjure présidentiel touchant à la paix civile s’il vous plaît ! Car sous la plume du professeur agrégé de droit constitutionnel qui dirige la haute Cour, le président Yayi pas plus que le lion, ne viole pas, ne peut pas violer la Constitution ! Une telle Cour n’a, vous le voyez, aucun mal à légaliser des fraudes improbables. Pauvres animaux malades de la peste !
L’image du démocrate que les publicitaires stipendiés et les diplomates profiteurs tentent de décerner à Yayi relève de la pure caricature. Alors de grâce, Monsieur le Secrétaire général, ce président ne peut émarger au livre d’or de la démocratie. La démocratie béninoise s’honore de deux présidents émérites; Yayi l’a malmenée sans pouvoir la détruire parce que le peuple y veille.
7- Pour notre part au Bénin, le président Yayi a humilié les Nations unies en organisant une mascarade de recensement électoral à laquelle il s’est habilement adjugé la caution de votre représentante locale d’alors. Au bénéfice prémédité du mémorable hold-up électoral de 2011. Yayi Boni a le génie de la confusion. Vous le voyez bien : en sept ans de dépenses de plus de cinquante milliards de FCFA, il n’a pas permis que soit établie de façon fiable la Liste électorale permanente informatisée (LEPI)
Monsieur le Secrétaire général, Yayi Boni n’est pas le premier ancien président de l’ère démocratique au Bénin. Croyez-moi, les Béninois auraient été heureux et honorés de voir Mathieu Kérékou et Nicéphore Soglo siéger aux rangs les plus élevés des Nations unies parce que ces deux grandes figures incarnent les valeurs morales et les comportements que requièrent de telles positions. De toute évidence Yayi Boni est loin du compte. Je vous prie d’ouvrir votre propre enquête à son sujet afin qu’un jour le regrettable ne se produise pas. Souvenez-vous du cas français au FMI en 2012. Le silence et la connivence ont couvert la réalité, puis la France et la terre entière ont vécu un drame sans nom.
Il m’a paru urgent et de toute nécessité d’appeler votre haute attention sur ces récurrences que sont la corruption, le mensonge, mais aussi l’impulsivité, l’acrimonie… dont Yayi Boni pourrait illustrer votre haute mission.
Pour tout ce qui précède et pour l’intérêt des hommes de la terre, je m’oppose aux prétentions de Yayi Boni à un poste au sein du système des Nations unies. J’envisage au besoin d’élever une pétition à la signature des Béninois
Pour les crimes contre l’humanité, nous avons des Cours spécialisées. S’agissant des atteintes à la morale et à la dignité, nous savons pouvoir compter sur votre haute vigilance afin qu’aucun maquillage ne permette de primer leurs auteurs.
En vous remerciant pour votre bienveillante attention, je vous prie, Excellence Monsieur le Secrétaire général, de recevoir l’expression de mes sentiments distingués.
Honorable Assan SEIBOU
Ancien député à l’Assemblée nationale du Bénin
Ancien député au Parlement de la CEDEAO.