Ibrahim Salami, avocat et professeur agrégé de droit public, spécialiste du droit administratif a été l’invité de Radio Bénin ce lundi 25 avril 2016 dans le dossier politique de la radio nationale. Dans cette interview réalisée par Expédit Ologou, l’homme de droit apporte un éclairage sur les dernières mesures à polémique prises par le premier conseil des ministres du gouvernement du Président Patrice Talon. Citons entre autres, la suppression de plusieurs décrets signés par le gouvernement précédent et la suspension de concours à polémique.
Comment des actes administratifs mettent-ils un terme à d’autres actes ?
Un acte administratif connaît sa naissance, il naît, il vit et il meurt. Il y a généralement trois façons de voir mourir un acte administratif. D’abord il y a l’abrogation, il y a ensuite le retrait et il y a enfin l’annulation. Commençons par la fin. L’annulation est un terme réservé au juge administratif qui lui permet d’annoncer ou de déclarer la disparition de l’acte administratif. Et cette disparition généralement elle est faite ab initio c’est-à-dire que c’est comme si l’acte administratif n’a jamais existé. Mais il existe la possibilité pour le juge administratif de moduler les effets de la disparition de l’acte administratif. Quand ce n’est pas le juge administratif c’est l’administration elle-même qui peut procéder à la mise à mort en quelque sorte de l’acte administratif. Elle y procède par deux moyens que sont l’abrogation et le retrait. Les deux consacrent la mise à mort d’un acte administratif à la seule différence que le retrait consacre la disparition ab initio de l’acte administratif c’est-à-dire que ça a un effet rétroactif qui remonte à l’édiction de l’acte administratif. Donc l’acte est censé disparaître de l’ordonnancement juridique comme s’il n’avait jamais existé. Tandis que l’abrogation est une disparition qui ne prend effet que pour l’avenir et à partir du moment où on a décidé de mettre fin à la vie de l’acte administratif en question.
En général, est-ce qu’il y a des cas où les autorités administratives peuvent prendre ces actes et des cas où c’est uniquement le juge qui peut le faire ?
En fait chacun est dans son rôle. L’administration peut le faire quand elle se rend compte que c’est nécessaire ou alors à la demande de l’administré, ça aussi est possible. Mais le juge administratif, c’est dans le cadre d’un contentieux que lui est invité à trancher, qu’il est amené à déclarer la mort d’un acte administratif en se fondant sur la légalité c’est-à-dire le principe selon lequel l’acte administratif ne peut exister, vivre et être appliqué même mourir qu’en vertu d’un texte ou d’une source du droit de façon générale qu’elle soit écrite ou non écrite.
La suspension par le ministre du Commerce de son cabinet politique par une simple note confidentielle alors que les personnes concernées avaient été nommées par décret a fait l’objet de polémiques. En la matière quelle doit être la norme ?
La norme elle est très simple, elle est connue, on l’enseigne dès la première année au plus tard en deuxième année de droit. C’est qu’en principe, la hiérarchie des normes commande qu’il n’y a qu’une norme au moins de la même valeur qui peut remettre en cause une norme précédente. Donc la question est de savoir si un arrêté ministériel, une circulaire, une lettre, une note quelle qu’elle soit peut remettre en cause un décret qui est l’acte administratif le plus haut dans la hiérarchie des normes en ce qui concerne les actes administratifs. Cette question est réglée depuis longtemps et il ne faut pas tricher avec. Donc pour être clair il n’y a que pas décret qu’on peut remettre en cause une nomination qui a été faite par décret, il n’y a pas de demi-mesure. Maintenant le seul bémol qu’on peut retenir c’est qu’il ait des cas d’urgence ou des cas de faute grave en tout cas ou des cas tirant vers l’intérêt général qui pourraient justifier à la rigueur qu’une autorité soit suspendue provisoirement parce que la suspension peut être une mesure administrative provisoire. Mais dans tous les cas un acte inférieur ne peut pas remettre en cause une nomination faite par décret. Alors cette semaine une autorité ministérielle a justifié cela par un motif d’intérêt général sans le spécifier, sans l’évoquer explicitement. Il s’agit là d’une absence de motivation et qui pourrait être traduite devant le juge administratif et celui-ci pourrait être amené à déclarer l’acte en question illégal. Autrement, dit le seul fait d’écrire dans un acte que le motif de son édiction est la prise d’un intérêt général ne suffit pas ; il faut spécifier en quoi c’était un motif d’intérêt général sinon ça équivaut à une absence de motivation, un motif d’annulation d’un acte administratif et dans tous les cas la hiérarchie des normes doit être respectée.
Après la formation du gouvernement, on attend encore les décrets portant Attribution, organisation et fonctionnement (AOF) des ministères. Que sont ces décrets ?
Au fait un décret AOF, son objet principal, c’est d’organiser le fonctionnement d’une administration ça peut être un ministère ou une autre administration. Mais c’est un décret comme, on le dit ici, réglementaire c’est-à-dire que ça ne concerne pas les individus en tant que tels. Alors que les décrets dont on parle qui portent sur les nominations et les remises en cause de nomination sont les décrets individuels c’est-à-dire qui portent sur le statut d’un argent individuellement, d’un ou de plusieurs agents pris individuellement ou collectivement. Donc le fait qui n’y ait pas de décrets AOF ne change rien au fait qu’il s’agit de mesures inégales qui sont prises en violation de la hiérarchie des normes.
Plus précisément les décrets AOF sont-ils comme des "cartes d’identité" des ministères ?
Plutôt je dirai que ce sont une sorte de règlements intérieurs des ministères c’est-à-dire qui détermine le fonctionnement, l’organisation des différents ministères. Mais dans tous les cas ce n’est pas à travers les décrets portant AOF qu’on désigne les personnes chargées d’animer le fonctionnement de ces ministères. Ces décrets-là qui nomment sont les décrets individuels.
Terminons par où nous devrions avoir commencé. Qu’est-ce qu’un acte administratif ?
C’est tout un programme. Parce qu’un acte administratif, c’est un acte qui est pris par une autorité administrative ou qui a titre, qui à affiche qui permet de donner vie à l’activité juridique des autorités administratives. Maintenant il y a deux grandes catégories : les actes administratifs unilatéraux (...), ce sont les actes qui sont pris sans que le consentement des destinataires soit requis alors que les actes administratifs qui ne sont pas unilatéraux mais bis ou multilatéraux - l’exemple type c’est les contrats - et là il y a accord sur le contenu du contrat, il y a échange d’accords et puis consentement sur les clauses qui sont censées régler la vie entre les personnes.