Les personnes handicapées, déjà vulnérables, font généralement l’objet de traitements discriminants. Pour éviter la stigmatisation et la marginalisation, des mesures particulières sont préconisées en leur faveur. La communauté internationale se préoccupe de leur sort. C’est la raison pour laquelle les Nations Unies ont mis en place la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 61/106 du 13 décembre 2006.
Si tous les instruments juridiques internationaux, notamment les chartes, les déclarations… prônent l’égalité des hommes, les déclarations relèvent souvent d’intentions pieuses à l’égard des personnes handicapées. C’est donc parce que, entre autres « Préoccupés par les difficultés que rencontrent les personnes handicapées, qui sont exposées à des formes multiples ou aggravées de discrimination fondées sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale, ethnique, autochtone ou sociale, la fortune, la naissance, l’âge ou toute autre situation », et « Estimant que les personnes handicapées devraient avoir la possibilité de participer activement aux processus de prise de décisions concernant les politiques et programmes, en particulier ceux qui les concernent directement », que les Nations Unies ont mis en place la CDPH.
Des obligations
Elle fixe aux Etats parties, comme obligations générales, de garantir et de promouvoir le plein exercice de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales de toutes les personnes handicapées sans discrimination d’aucune sorte fondée sur le handicap. À cette fin, ces Etats parties s’engagent à : adopter toutes mesures appropriées d’ordre législatif, administratif ou autre pour mettre en oeuvre les droits reconnus dans la présente Convention; prendre toutes mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour modifier, abroger ou abolir les lois, règlements, coutumes et pratiques qui sont source de discrimination envers les personnes handicapées; prendre en compte la protection et la promotion des droits de l’Homme des personnes handicapées dans toutes les politiques et dans tous les programmes; s’abstenir de tout acte et de toute pratique incompatible avec la présente Convention et veiller à ce que les pouvoirs publics et les institutions agissent conformément à la présente Convention. De même, ces Etats s’engagent à : prendre toutes mesures appropriées pour éliminer la discrimination fondée sur le handicap pratiquée par toute personne, organisation ou entreprise privée; entreprendre ou encourager la recherche et le développement de biens, services, équipements et installations de conception universelle, selon la définition qui en est donnée à l’article 2 de la présente Convention, qui devraient nécessiter le minimum possible d’adaptation et de frais pour répondre aux besoins spécifiques des personnes handicapées, encourager l’offre et l’utilisation de ces biens, services, équipements et installations et encourager l’incorporation de la conception universelle dans le développement des normes et directives. Ou encore : entreprendre ou encourager la recherche et le développement et encourager l’offre et l’utilisation de nouvelles technologies – y compris les technologies de l’information et de la communication, les aides à la mobilité, les appareils et accessoires et les technologies d’assistance - qui soient adaptées aux personnes handicapées, en
privilégiant les technologies d’un coût abordable; fournir aux personnes handicapées des informations accessibles concernant les aides à la mobilité, les appareils et accessoires et les technologies d’assistance, y compris les nouvelles technologies, ainsi que les autres formes d’assistance, services d’accompagnement et équipements; puis encourager la formation aux droits reconnus dans la présente Convention des professionnels et personnels qui travaillent avec des personnes handicapées, de façon à améliorer la prestation des aides et services garantis par ces droits.
Engagements
En outre, la Convention engage les Etats parties à promouvoir l’égalité et la non discrimination. A ce propos, ces États parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi. Ces États parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement. En tout état de cause, afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés. Ainsi, pour éviter que les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas une discrimination au sens de la présente Convention.?
Au Bénin, une belle expérience lors des dernières élections
Le Bénin n’a pas attendu l’avènement de la CDPH pour se pencher sur le sort des personnes handicapées. Seulement, en dépit des dispositions constitutionnelles et légales, les avancées ne sont pas manifestes. S’agissant particulièrement du droit de vote, les personnes handicapées ont si souvent été marginalisées. C’est ce constat qui a donné naissance au projet d’Accès des personnes handicapées aux élections à travers un changement de comportement des populations (ADEPT), conduit par l’ONG RIFONGA avec l’appui de l’USAID. La Coordonnatrice du projet, Léontine Konou Idohou, revient ici sur ses motivations et acquis.
Propos recueillis par Wilfried Léandre HOUNGBEDJI
La Nation : Madame la Coordonnatrice, pouvez-vous nous dire ce qu’est le projet ADEPT ?
Léontine Konou Idohou : Le projet ADEPT vise à favoriser l’accessibilité des personnes handicapées au processus électoral car en matière des droits de l’Homme, nous avons remarqué que ces personnes sont laissées pour compte. Or, l’article 26 de notre Constitution prescrit que nous sommes tous égaux devant la loi. Mieux, la Constitution impose spécialement à l’Etat de protéger les personnes handicapées au même titre que les femmes et les enfants. Mais malheureusement, lors des élections au Bénin, aussi bien les organes chargés de l’organisation que la société dans son ensemble, nous ne nous soucions pas des personnes handicapées. Et si la Constitution prône l’égalité, elle institue hélas ! une discrimination à l’égard de ces personnes. En effet, elle exige que pour être président de la République, il faut jouir d’un état de bien-être physique et mental complet. Manifestement cela exclut les personnes handicapées. Or, la CDPH exige qu’elles soient traitées de façon équitable, égalitaire. C’est pour cela qu’à RIFONGA, travaillant sur les droits humains, nous avons pris la résolution de travailler aux côtés des personnes handicapées avec le soutien de l’USAID, dans le cadre de leur intégration au processus électoral.
Qu’est-ce que la mise en œuvre du projet a révélé lors des dernières élections ?
Nous sommes en phase expérimentale. Et cela nous a permis de constater qu’il faut des aménagements particuliers pour ce qui est des postes de vote car on n’y pense pas souvent et cela décourage les handicapés moteurs. Nous devons rendre accessibles les postes de vote. Il existe des bureaux de vote installés sous des arbres, dans du sable ou encore à l’étage. Ce qui ne facilite pas la contribution des personnes handicapées au processus électoral. Elles n’arrivent pas à accomplir leur devoir civique. Or, s’agissant de la présidentielle par exemple, le président de la République élu est le président de tous les Béninois, y compris des personnes handicapées. Il faut donc pouvoir leur permettre de s’exprimer convenablement. C’est ainsi que nous avons, avant tout, rendu accessibles 40 postes de vote dans les quatre départements-pilote où nous exécutons ce projet à savoir : les Collines, le Zou, l’Atlantique et le Littoral, en faisant des rampes dans des écoles pour permettre aux personnes handicapées de bien circuler. Ce faisant, le projet a déjà impacté plus de 600 personnes concernées. Nous avons compris, à l’observation de l’élection présidentielle de cette année, que nous devons faire davantage, car certains handicapés, non pris en compte par le projet, ont pu voter dans d’autres bureaux mais souvent avec des difficultés. Par conséquent, nous sommes déterminés, pour les prochaines années, à faire un plaidoyer pour accroître le nombre de postes accessibles pour la cause des personnes handicapées.
L’expérience fut donc concluante ?
Par ailleurs, nous avons rencontré la CENA, pour la prise en charge de ces personnes au niveau des postes de vote. Quand elles s’y rendaient auparavant, elles étaient ignorées par les autorités et se sentaient obligées de retourner chez elles. Il y a donc eu des modules dans ce sens lors des formations des agents de postes de vote. La CENA, ayant perçu l’utilité de notre module, l’a adopté pour l’enseigner aux agents de presque tous les postes de vote, soit au moins 30.000 personnes formées. Cela a favorisé que le jour de l’élection présidentielle, les présidents et accesseurs des postes de vote ont été aux petits soins des personnes handicapées, et les ont traitées de façon prioritaire. Même la population, à travers son changement de comportement, a concédé aux personnes handicapées une place prioritaire dans le processus électoral. Ainsi, cette fois-ci, nous avons vu les personnes handicapées venir aisément voter et repartir heureuses d’avoir accompli leur devoir civique sans subir les marginalisations et autres épreuves d’antan. Ce projet est donc très important dans la mesure où nous pourrons bientôt faire des plaidoyers en direction du Parlement afin que les aspects discriminatoires de nos lois soient revus en faveur des personnes handicapées.
Au total, non seulement les personnes handicapées ont pu exercer leur droit civique, mais nous aussi nous avons renforcé nos connaissances à travers notamment l’apprentissage des termes appropriés relatifs à ces personnes. Nous avons également pu associer intimement la fédération des personnes handicapées à l’exécution de ce projet. Lors des formations pour l’élection présidentielle, ce sont les personnes handicapées qui ont elles-mêmes présenté les communications. Ce sont encore elles qui iront faire le plaidoyer dont il est ici question au niveau du Parlement et de l’Exécutif.?