Par : Olivier ALLOCHEME
EDITO du 27 avril 2016
« Le Bénin est aujourd’hui comme un désert de compétences » !!! Vous y croyez, vous, à cette phrase du président de la République ? Moi, non.
Certes, le Chef de l’Etat a mis un bémol à sa déclaration, quelque peu péremptoire, en ajoutant ceci : «C’est vrai, les Béninois, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, sont remplis de talents mais notre administration aujourd’hui manque de compétences de manière criarde ». Mais la première phrase est comme un coup de canon dans un ciel serein. « Désert de compétences » ? Le Bénin ? Que non, mille fois non ! Il faut même préciser à ceux qui l’ignorent encore, que le Bénin est l’un des rares pays d’Afrique à regorger de cadres de compétences pointues dans les domaines les plus diversifiés. On les retrouve dans tous les domaines, que ce soit dans les sciences, les techniques ou les arts, le droit, l’administration, etc. Parlant des sciences et de la technologie, il suffit de lancer un appel à candidatures dans n’importe quel domaine aujourd’hui pour se rendre compte que les compétences techniques les plus insolites existent dans ce pays, souvent à des positions insoupçonnables. Par exemple, il a fallu que je fasse une investigation sur l’aquaculture marine, pour me rendre compte qu’il y a au Bénin des spécialistes avérés dans ce secteur aussi. Il s’agit par exemple du professeurLambert Hinvi, docteur en sciences halieutiques, et spécialiste en pêche et aquaculture marine, enseignant chercheur à la faculté des sciences agronomiques de l’université d’Abomey-Calavi.
Il y a même de toutes jeunes pousses qu’il m’a été donné de visiter sur leur lieu de travail, et qui ont quitté le système scolaire pour mettre en œuvre leur propre intelligence. Ils ont inventé les foyers Atingan qui ont fait merveille en novembre dernier à Paris, lors de la COP 21. Ce sont les frères Franck et Francis Zanhoundaho qui ont carrément créé une start up pour vivre uniquement de l’invention technologique. Aujourd’hui, ces jeunes qui remettent en cause l’école béninoise, proposent des solutions technologiques adaptées aux contraintes locales, sur la base d’une ingénierie qui force l’admiration.
Il existe chez nous des entreprises industrielles qui prospèrent depuis des décennies dans des secteurs totalement insoupçonnées. L’un des cas les plus merveilleux qu’il m’a été donné de voir, a été la SIAM Bénin, une société industrielle spécialisée dans la construction industrielle. Elle a une expérience avérée en construction industrielle, y compris même en travaux de haute industrie sur terre comme en haute mer. Ce sont des Béninois qui y travaillent depuis des années.
Ce qu’a dit le Chef de l’Etat touche à vrai dire sa propre personne. Le Bénin n’est pas un désert de compétences. La preuve la plus palpable en est Patrice Talon lui-même qui a réussi en politique à battre Lionel Zinsou, un des produits les plus aboutis de l’intelligentsia française. Qui dit mieux ? En examinant même son gouvernement, on y trouve un certain Joseph Djogbénou, juriste de haut niveau dont personne ne peut douter de la compétence, mais qui est un produit fini de l’école béninoise. Il n’a pas fait ses classes en France, ni en Angleterre ou aux Etats-Unis, mais bien à Cotonou et à Calavi, dans la chaleur et les souffrances de chez nous. Il n’arriverait à l’idée d’aucun avocat français, même le plus réputé, de dire que Joseph Djogbénou n’est pas, en son domaine, d’une compétence exceptionnelle. Alors qu’il est pour ainsi dire un cadre made in Benin.
Non, ne nous sous-estimons pas. Ce qui s’est passé, c’est le dévoiement généralisé de la compétence qui s’est opéré sous les mandatures Yayi. A ce niveau du moins, on peut se rendre compte que ce n’est pas à défaut de compétence qu’on recrute dans cette administration des individus de profil douteux. C’est bien le résultat d’une politisation massive et indiscriminée qui a assombri les rendements de cette administration publique. L’incompétence, c’est celle des élites politiques qui ont pensé qu’on pouvait jouer sur tous les tableaux pour conquérir et conserver le pouvoir d’Etat.
Et donc ce problème ne saurait être résolu par la France. Je le répète : les problèmes de politisation de l’administration publique béninoise ne peuvent être résolus par la France. Ce problème sera résolu par Patrice Talon à travers une cure de dépolitisation massive qui s’appuie d’abord sur les règles connues de tous. Si nous mêlons la France à nos problèmes, nous serons seuls à faire face aux dégâts qui en découleraient.