S’il y a une corporation où tout va bien, où le salaire dépasse le million et où les agents vivent dans des maisons luxueuses, c’est bien la presse béninoise. Tout va si bien et tellement bien que les professionnels n’éprouvent pas vraiment le besoin de s’unir pour défendre un quelconque intérêt. Au lieu de fêter, il faudra pleurer ce jour anniversaire de la liberté de presse. C’est cela la réalité.
C’est faire de l’euphémisme que de dire que la presse béninoise est au mieux de sa forme. Vivre et travailler dans la presse béninoise est une merveille. Il faudra conseiller aux jeunes d’embrasser sans hésiter cette carrière, car c’est la seule corporation où le statut social est très intéressant. Tout va si bien dans cette profession que les acteurs n’éprouvent pas un besoin quelconque de se plaindre. C’est l’exemple de l’employé qui dit à son patron en fin d’année qu’il ne sait pas quoi lui demander. Dans la presse béninoise, il ne faut pas se leurrer. Tout va bien. Tout va si bien que certains professionnels vivent comme des exclus de la société. Tout va si bien qu’il n’est pas rare de trouver des professionnels des médias sans statut social, non inscrits à la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss), avec des arriérés de salaire accumulés et une déprime criarde. Tout va si bien que le professionnel se sent à un moment ou à un autre obligé de tricher avec sa conscience pour survivre. Pourtant, ce sont ces professionnels qui sont les premiers à pointer caméras, dictaphones et stylos pour défendre les intérêts des autres travailleurs. Et pourtant, ce sont les mêmes professionnels qui acceptent de recevoir des gaz lacrymogènes en plein poumons pour soutenir les syndicalistes ou politiciens. Et pourtant, ce sont ces professionnels qui accrochés aux caméras, ont effectué ces marches harassantes pour porter la voix d’autres dont la situation sociale était précaire mais actuellement reluisante. Pourtant, enfin, ce sont les écrits, la voix, les images de ces professionnels qui ont décidé, à un moment donné, d’amener tout un peuple à aller dans un sens ou dans un autre. Dire que certains d’entre eux manquent du minimum serait pour le citoyen lambda de l’utopie. Et pourtant, c’est vrai. L’opinion a fini de stigmatiser cette profession que certains patrons de presse ont accompagné à travers le mot à polémique : ‘’per diem’’. « Les journalistes ne vivent que de per diem. Ils prennent de l’argent pour écrire du n’importe quoi », crachent certains chefs. En sont-ils pour quelque chose dans cette déliquescence qu’ils condamnent ? Quel effort font-ils pour garantir un minimum à ceux qu’ils emploient ? Le ver est dans le fruit. Pourtant, ils devraient être les premiers à défendre et ennoblir cette profession ? Combien de syndicalistes des autres professions a-t-on vu décimer et exposer la nudité de leurs pairs ? Une fois encore, il n’y a que la presse qui présente cette particularité. Pourtant, il y a de la compétence et de la valeur dans cette profession. Il y a des docteurs, de jeunes doctorants, des titulaires de masters, des spécialistes dans des domaines pointus, de vrais intellectuels dans cette profession. Il y a en a de très valeureux, qui sont probes. Osons vanter le mérite de cette merveilleuse corporation, car il y a longtemps qu’on a assimilé les acteurs aux voleurs et escrocs. La dernière particularité la plus merveilleuse dans cette corporation, c’est la souffrance en silence de certains professionnels.
Des parias consentants
La presse n’a pas de syndicat, pourtant, aucune loi ne le lui interdit. Les structures dites de défense des intérêts des journalistes ont fini de montrer leurs limites. Les bureaux passent, mais rien de consistant dans l’ensemble. Pas de moyens de pression, pas d’action franche pour défendre les intérêts des acteurs. Les professionnels des médias sont enfermés, certains intimidés, les organes de presse fermés, dans l’indifférence absolue. Les responsables de ces structures de défense se fendent d’un communiqué mou pour condamner la situation et plus rien. Pas de solidarité particulière aux professionnels en difficulté, pas de sursaut collectif et même de solidarité nationale à l’endroit de cette corporation. Au cœur de cette difficulté, les professionnels sont comme bouche cousue. Pas de mobilisation des concernés pour réclamer justice, pas d’action particulière. Sont-ils contraints de se taire ou consentent-ils à subir leur situation ? Le contraste surprend tout de même. Il faudra véritablement ouvrir la boite de Pandore pour écouter ces acteurs qui acceptent de se taire malgré cette souffrance qui les accable. La sagesse enseigne que l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas qu’on s’apitoie sur son sort. Tout semble converger vers un consentement béat, mais au fond, c’est l’expression d’une amertume qui ne dit pas son nom. Urgence de comprendre ce qui se passe.
Abdourhamane Touré