Par Roger GBÉGNONVI
Quatre ans durant, à la tête de l’élan pour ‘‘oser inventer l’avenir’’, Sankara et ses compagnons amènent le peuple burkinabé à rompre avec les us et coutumes de paresse comportementale, les gestes et les attitudes porteurs de risque d’anémie et de sclérose pour le corps social. Pour le sursaut du peuple, le jeune capitaine demande á ses ministres de toujours venir au Conseil avec, chacun dans son calepin, une idée novatrice, réalisable sans trop d’effort, pour sortir les Burkinabés de leur sommeil dogmatique. Si l’on imagine le héraut du nouveau départ dans les habits de Sankara, et qu’il demande à ses ministres d’inventer l’avenir, que pourraient-ils lui conseiller pour ‘‘décoincer’’ les Béninois ?
Tel ministre sort de son calepin l’idée d’en finir tout de suite avec les immondices entassées en pleine rue sous prétexte de combler les grands trous qui deviennent des petits lacs de boue en saison des pluies. Il argumente que ce remblai sans effort ameute les porcs et les mouches pour le déshonneur des Béninois dans leurs cités enlaidies par des ordures ménagères à ciel ouvert. Il préconise qu’on incite tout le monde à y substituer le sable, des gravillons, de la caillasse, ramassés quelque part avec effort. Sa dernière minute de parole lui permet d’ajouter que les sachets plastiques de toutes sortes sont d’une nocivité telle que le Rwanda les a chassés et que le Président doit, sur ce plan, suivre Kagamé, et que les graffitis ‘‘interdit d’uriner ici’’ sont une honte nationale sur les murs de nos cités, et que le nouveau départ doit inciter les adules et les enfants à ne plus pisser ici et là et partout. Merci.
Tel autre ministre sort de son calepin l’idée que les maîtres et maîtresses-artisans doivent cesser tout de suite de traiter les apprentis et apprenties en serfs et serves taillables et corvéables à merci. Tout en apprenant, ils apportent aux patrons et patronnes un travail quantifiable non payé ; ils servent régulièrement et gratuitement de boys et boyesses à leurs maîtres et maîtresses ; enfin, ils achètent, souvent à prix d’or, leur dite libération. On les libère ! Ils étaient donc peu ou prou esclaves. Le ministre dit que cette pratique dont nous usons depuis toujours contre notre jeunesse sans scolarité ou à la scolarité brisée revient à ‘‘bouffer’’ (sic) notre cuir chevelu et qu’au pays des Blancs cela s’appelle ‘‘manger son blé en herbe’’, et que c’est tout simplement bazarder l’avenir du Bénin. Sa dernière minute de parole lui permet de préciser que les apprentis sont différents des apprenants (écoliers, élèves, étudiants, etc.) : les uns apportent un travail que l’on doit compenser, les autres bénéficient d’un travail qu’eux-mêmes, leurs parents ou l’Etat doivent compenser. Merci.
Un troisième ministre sort de son calepin l’idée d’en finir tout de suite avec les obsèques qui n’en finissent pas et qui ruinent pauvres et riches. Il dit que, une fois le constat du décès fait par le médecin, les familles auront au plus 10 jours pour enterrer leur mort, soit 4 jours de plus qu’en France, 7 jours de plus que du temps où la morgue ne courait pas les rues au Bénin, 10 jours de plus que la coutume musulmane. Dans tous les cas, le respect dû au mort est sauf. Le ministre argumente que la mesure a l’avantage de désengorger les morgues où nos corps sont parfois logés à très mauvaise enseigne parce qu’il s’agit pour les ‘’tenanciers’’ (sic) de gagner le plus d’argent possible sans y mettre le soin nécessaire. Sa dernière minute de parole lui permet d’ajouter que l’amour fort que nous professons pour nos morts doit nous conduire à ne pas les laisser dormir éternellement dans un champ de chiendents. Car il y va de l’honneur de l’homme dans les cimetières aussi. Merci.
Sankara était révolutionnaire. Prônant rupture et nouveau départ, Talon ne l’est pas moins. Ce nouveau départ-ci ne doit pas être, comme les autres, un raté. Pour qu’il soit un essai transformé, Talon doit se faire Sankara. Oui, il faut imaginer Talon en Sankara.