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Savoir copier l’exemple, quand il est utile
Publié le mardi 10 mai 2016  |  Afrika7.com
Ecoliers
© aCotonou.com par Matin Libre
Ecoliers beninois




Pour une fois, l’on peut encourager l’Afrique à copier la France. Elle vient en effet de décider de réévaluer considérablement la condition de ses enseignants afin de remotiver ces travailleurs tout en réduisant le gap salarial qui les sépare d’avec leurs homologues des autres pays européens.

Puisque nous, pays et peuples africains, aimons si bien copier ce qui vient de l’Occident et ce qui s’y fait, je m’en vais, dans les lignes qui suivent, montrer un exemple de ce que nous gagnerions à transposer chez nous, même aveuglément…

Le 3 mai dernier, le Premier ministre français Manuel Valls a annoncé que l’indemnité des enseignants des écoles primaires sera revalorisée dès la rentrée scolaire 2016 pour être portée à la hauteur de celle perçue par les enseignants du second degré ; soit 1 200 euros annuels (787.200 FCFA), contre 400 euros (262.400 FCFA) actuellement.

Cette prime intitulée « Indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves » (ISAE) s’inscrit dans un programme plus large de valorisation de la condition de l’enseignant dans ce pays. « Au-delà, nous allons revoir le parcours de carrière de tous les enseignants en les revalorisant et en les accompagnant mieux », a indiqué à ce propos Najat Vallaud-Belkacem, ministre française de l’Education nationale.

Voilà le genre d’initiative qui, si elle était dupliquée chez nous, même sans discernement, ne ferait de mal à personne. Bien au contraire. Elle viendrait plutôt corriger (ou du moins apporter un début de correction) à l’injustice que connaissent les enseignants dans la plupart des Etats de l’Afrique subsaharienne ; tout en renforçant la qualité de l’enseignement et en relevant aussi le niveau des élèves.

Hélas, nous en sommes très loin. Car, la condition de l’enseignant qui prévaut un peu partout à travers le continent n’est pas du tout reluisante. En voici quelques clichés…
Misère

A la rentrée scolaire de septembre 2014, les syndicats d’enseignants de la République démocratique du Congo (RDC) dénonçaient pour la énième fois la misère dans laquelle croupissent les enseignants dans ce pays d’Afrique centrale. « Au sein de l’enseignement primaire, secondaire et professionnel (EPSP), il y a 300.000 enseignants qui travaillent sans être payés ; ça fait des années et des années, mais le gouvernement n’agit pas. En outre, les enseignants sont des gens qui n’ont plus de salaire, qui n’ont pas de maisons, et n’ont pas de soins de santé acceptables », accusaient alors les syndicats sur le site internet « Kongo Times ».

Au Cameroun, lors de la dernière édition de la journée mondiale des enseignants célébrée le 5 octobre 2015, les syndicats d’enseignants ont déployé des slogans portant des messages du genre : « l’émergence en 2035 passe par les enseignants, alors améliorez leurs conditions de vie et de travail»; «Où sont les textes d’application de notre statut particulier ? Signez-les ! » « Le gouvernement devrait signer la convention collective régissant le secteur privé de l’éducation comme cela l’est déjà pour le secteur public », etc.

Au soutien de ces doléances, Tazanou Djoumessi du Syndicat national autonome de l’enseignement secondaire (SNAES) résumait la gravité de la situation dans la presse locale en ces termes : « De nos jours, à cause de la précarité et surtout de la course vers les postes de responsabilité, c’est le nombre du personnel administratif qui est en croissance exponentielle et celui du personnel enseignant est en chute vertigineuse. Ce sont les vacataires qui occupent maintenant plus d’heures d’enseignements, avec leurs salaires de misère parfois de 40 000 ou 50 000 Fcfa. »
Grèves

En avril 2015, ce sont quelque 17 000 enseignants de Côte d’Ivoire aussi bien du primaire que ceux du secondaire qui observaient plusieurs semaines de grève pour réclamer le paiement d’arriérés de salaires remontant à… 2009.
Au Sénégal, chaque année scolaire est perturbée par de nombreuses grèves ou menaces de grèves à travers lesquelles les enseignants demandent au gouvernement de respecter ses engagements pris dans le cadre d’un protocole d’accord signé en 2013 avec les syndicats d’enseignants avec pour finalité d’améliorer le traitement, les conditions de travail et le profil de carrière de ces derniers.

Autant le dire, les enseignants ne bénéficient pas dans nos pays de la sollicitude et de l’attention qui doivent en principe revenir à un corps de métier dont dépendent la valeur des citoyens et la qualité de vie dans nos Etats demain. Confrontés qu’ils sont à toutes les formes de mépris et de négligences de la part de la société et même des pouvoirs publics, en proie au dénuement dans des pays où seuls comptent ceux qui affichent une certaine aisance matérielle, ils ne vivent pas ; ils vivotent. Ils tirent le diable par la queue et peinent à inscrire leurs propres enfants à l’école. Eprouvant de la peine à faire vire leurs familles, ils sont nombreux à finir leur carrière comme s’ils n’avaient jamais travaillé ; et pourtant, ils auront consacré leur vie active à former l’élite de demain...

Excepté peut-être ceux parmi eux qui auront compris qu’il fallait développer des activités lucratives parallèles ; lesquelles les détournent d’autant de l’enseignement, en faisant finalement une occupation secondaire, avec les conséquences que l’on peut aisément imaginer sur la qualité de la formation dispensée. Mais, peut-on le leur reprocher ? Après tout, c’est le droit de chacun d’aspirer à un mieux-être…

Des beaux discours aux actes

C’est pour cela que les gouvernements doivent transformer en actes concrets leurs beaux discours et leurs bonnes intentions en matière d’éducation. Car, la clé du développement et celle de la sortie de la pauvreté sont détenues par l’éducation et la formation.

A ce propos remarquons que la France qui est pourtant citée en exemple ici fait partie des derniers de la classe parmi les Etats européens membres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour ce qui est de la rémunération des enseignants. D’après ce classement effectué en 2012 et dominé par le Luxembourg, l’Allemagne et le Danemark, la France arrive 18ème sur 24 pour les enseignants du primaire et 17ème pour les enseignants du secondaire ; avec des salaires annuels variant entre 25 646 et 52 352 dollars. De tels niveaux de rémunération traduisent la place que les pouvoirs publics de ces pays accordent à l’éducation.

Sans prétendre que nos pays puissent en faire exactement autant, notre plaidoyer invite nos dirigeants à consentir davantage d’efforts pour se doter d’infrastructures d’enseignement modernes et pour mettre l’enseignant dans des conditions qui suscitent en lui fierté et motivation. Cela passe forcément par un certain nombre de sacrifices, parmi lesquelles la réduction du train de vie et du confort des administrations centrales généralement pléthoriques et budgétivores ; afin de consacrer plus de ressources au bien-être de l’enseignant.
Salaires

En guise de comparaison, l’institut de statistique de l’Unesco écrivait en 2011 : « au Nigéria, le salaire des enseignants du primaire représentait 91% des dépenses dans l’enseignement primaire, alors qu’au Congo, il représentait seulement 34% de ces dépenses. Le salaire des enseignants du secondaire en proportion du budget du secondaire variait de 34% en République Centrafricaine à 85% au Ghana pour le premier cycle du secondaire, et de 25% au Mali à 78% au Togo pour le deuxième cycle du secondaire. En ce qui concerne l’EFTP (Enseignement et formation techniques et professionnels), les dépenses salariales pour les enseignants variaient de 12% au Mali à 74% au Ghana. Enfin, pour l’enseignement supérieur, elles variaient de 18% en Guinée Bissau à 38% au Malawi. »

Pire encore, note ce même document, « Ces 30 dernières années, le salaire moyen a considérablement baissé. Selon les données de 39 pays africains (y compris l’Afrique du Nord), le salaire moyen d’un enseignant d’école primaire est passé de 8,4 fois le PIB par habitant en 1975 à 4 fois le PIB par habitant dans la période 2003-2009. Pendant cette période, le PIB par habitant a presque doublé. Ces deux groupes de données signifient que la croissance de la valeur réelle du salaire moyen des enseignants africains stagne depuis plus de 30 ans. »

C’est dire s’il y a urgence pour l’Afrique de faire quelque chose. Et vite ! Car, l’enseignement et les enseignants sont au centre de tout processus de développement dans un monde où le rapport de force et la compétition entre les pays se jouent désormais sur le terrain du savoir, de la connaissance.

Julien Chongwang
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