Il est de notoriété publique – connu de tous y compris de ses partisans dont on se rend compte au quotidien de l’hypocrisie – que Boni Yayi est le pire Président de la République que le Bénin se soit donné à l’ère du Renouveau Démocratique. Sur le plan du savoir-vivre, du savoir-être, du savoir-faire, de l’incarnation de la fonction présidentielle et de la gestion des affaires au sommet de l’Etat, il se place bien loin derrière ses prédécesseurs. Mais ne soyons pas extrémistes ou totalement négatifs. Il y a quand même une chose dans laquelle Boni Yayi aura excellé plus que Nicéphore Dieudonné Soglo et Mathieu Kérékou réunis : la gouvernance par la destruction des normes ; ce que Sébastien Ajavon appellerait, dans son jargon et très justement, la « dénorme ». Que l’Académie française en prenne note !
Appliqué à la presse, le mot « dénorme » renverrait à une somme de pratiques malsaines observées notamment sur la dernière décennie, qui prennent leur source dans le profond désir de propagande du chantre du changement et de la refondation, et qui ont contribué sous Boni Yayi au succès de la campagne de musellement et de crétinisation de nombre ‘‘d’organes de presse’’ de la place. La presse privée, cela s’entend. L’Office de Radiodiffusion et Télévision du Bénin – pour ne pas dire la Télévision nationale – étant devenu, dès 2006-2007, le miroir personnel de Boni Yayi dans lequel il aimait admirer son reflet en permanence. La télévision nationale a cessé d’être un organe de service public pour se muer en presse d’Etat, à telle enseigne que l’opinion publique l’a rebaptisée « TV Yayi ».
Les pratiques malsaines ont consisté entre autres, pour le régime de Boni Yayi, à signer des contrats dits « de publicité et de communication » avec plusieurs journaux. Beaucoup de titres, qui jonchent aujourd’hui la presse papier à Cotonou, ont été créés à la faveur de l’avènement de ces ‘‘contrats gouvernementaux’’. Jusqu’au départ de Boni Yayi, ces journaux ne paraissaient pas, mûs par le souci d’apporter de l’information vraie et utile aux Béninois. Ils fonctionnaient, pour la plupart, comme des agences de communication à la solde du Pouvoir Yayi. Les clauses des contrats étaient sans équivoque. Au nombre des voix qui les avaient dénoncées à l’époque, figure celle de Janvier Zocli, journaliste, qui plus est. En 2008, il écrivait dans les colonnes de LA NOUVELLE TRIBUNE à propos des clauses de ces contrats rarissimes en leur genre qu’« il s’agit par exemple de l’interdiction tacite qui est faite aux contractants de faire l’impasse sur les activités de certains leaders politiques à défaut de les tourner en dérision ; de l’obligation faite également aux contractants de recueillir au préalable l’avis des conseillers du chef de l’Etat plusieurs jours à l’avance avant la publication de toute information de nature à constituer peut-être une critique aux actions du gouvernement puis de l’interdiction pour les organes de presse en contrat de ne participer à aucune campagne de désinformation ou d’intoxication contre le pouvoir ». L’article de presse cité est consultable à l’adresse suivante : http://www.lanouvelletribune.info/benin/politique/146-liberte-de-la-presse-au-benin.
Voilà un pan de ce qu’ordonnent à des journalistes, lesdits contrats gouvernementaux. Dans les faits, leur mise en œuvre est allée bien au-delà de ce qui y est écrit. Très ouvertement, au vu et au su de tout le monde, avec la complicité active de certains patrons de presse, Boni Yayi et ses sbires venaient d’acheter le silence sinon la plume de plusieurs journaux pour longtemps. Très souvent jusqu’à récemment, il arrivait de prendre 5 à 7 manchettes de parutions différentes puis de constater qu’elles se ressemblent comme une paire de chaussures. A la Une, les mêmes titres mot pour mot et à l’intérieur, des articles tout aussi identiques sortis tout droit des multiples cellules de communication à la botte du Yayisme. Les contrats gouvernementaux, conclus sur fond de millions de Francs Cfa, avaient fait s’effriter la cote de la presse béninoise auprès de Reporters Sans Frontières. Bref… L’exercice du journalisme au Bénin a été, au cours des dix dernières années, un perpétuel déni des fondamentaux de la profession. C’est dans ce contexte de déclin que, durant la campagne électorale qui l’a conduit au Palais de la Marina, Patrice Talon s’est engagé à redonner à la presse béninoise, sa liberté et sa crédibilité ; en gros, à permettre aux journalistes de faire du journalisme s’il est élu. Des mesures phares ont été inscrites dans son projet de société à cette fin. A priori, ce n’est pas à un candidat en campagne ou à un Chef d’Etat de s’engager à travailler à l’effectivité de la liberté de la presse dans son pays. Il n’en aurait pas eu besoin si les décideurs de la presse béninoise et les professionnels des médias ne végétaient pas dans l’individualisme, la fatuité et la compromission. Les promesses de campagne de Patrice Talon traduisent la profondeur du gouffre dans lequel le journalisme béninois s’est retrouvé et l’acuité du déni de journalisme pour lequel les acteurs à divers niveaux de la presse béninoise ont délibérément opté. Les remous et protestations enregistrés actuellement dans le rang des journalistes et des organes de presse sont une illustration d’un tel déni de journalisme. Le motif des protestations ? Je vous le donne en mille ! La suspension des fameux contrats gouvernementaux décidée par le régime Talon courant la semaine dernière. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, va-t-on dire. Puisqu’avant la suspension des contrats gouvernementaux, mes confrères, tous acabits confondus, étaient déjà remontés contre l’absence de journaliste au sein de la Commission chargée de l’examen des réformes politiques et institutionnelles, et contre la suppression des cellules de communications dans les ministères et autres organismes publics. Pis, ils osent en dépit de tout bon sens, porter leurs indignations en public parce que, expliquent-ils, l’avenir de la presse béninoise est menacé. Comme si la presse et le journaliste avaient vocation à être des prestataires de service exclusifs et des vecteurs de propagande des pouvoirs politiques. En fait, ce que fustigent mes camarades, c’est la disparition des canaux juteux. Les contrats gouvernementaux et les cellules de communication sont des circuits d’alimentation en billets de banques. Voilà en somme ce à quoi est réduit le journalisme au Bénin. Quelques érudits lui ont trouvé un nom : Journalisme alimentaire ! Une opportunité de gains faciles et douteux pour beaucoup qui ne sont là que par amour du lucre, au grand dam des quelques-uns qui se tuent à faire leur métier selon les principes professionnels.
Au lieu de nous asseoir pour réfléchir enfin de manière responsable – je ne vous parle donc pas d’états généraux initiés et parrainés par le Président de la République comme on a pu le voir sous Boni Yayi – … Au lieu de nous retrouver pour de profondes réfelxions sur comment instaurer durablement les conditions d’un digne exercice du journalisme et d’un épanouissement effectif du journaliste au Bénin, nous en sommes à faire des revendications qui nous déshonorent et à reprocher au pouvoir d’Etat de vouloir nous délivrer de ses liens. Triste spectacle !
Les tares de la presse béninoise ont de beaux jours devant elles.