Au Bénin, l’épicentre du débat sera sans doute la question du mandat unique. Le président Patrice Talon s’il en est arrivé à se convaincre que c’est ce qu’il faut pour les béninois, c’est sans doute parce que son prédécesseur aurait perverti l’exercice du pouvoir exécutif. Dans les faits, cela sonne tout de même comme une évidence. Mais la personne qui, il y a trois ans aura été la principale victime de cette perversion, c’est bien l’actuel président de la République.
Heureusement, l’histoire du droit constitutionnel comparé renferme de célèbres hommes d’Etat qui ont exercé dans l’absolu le pouvoir politique en se couvrant du voile de la légalité et de la légitimité constitutionnelle. Le maréchal Pétain en France, Hitler en Allemagne, Mussolini en Italie portent la marque de dictateurs tristement célèbres ayant participé à l’œuvre de déshumanisation au début du XXe siècle. Mais quand le moment fut venu de reconstruire la constitution de ces Etats sur les ruines de ces dictatures innommables, il ne fut jamais venu à l’esprit des constituants de ces temps-là de proposer l’exercice d’un mandat unique.
Deux priorités semblent avoir caractérisé l’œuvre de ces constituants. Primo, il fallait des constitutions suffisamment protectrices des droits et libertés fondamentaux, d’où l’idée d’une constitution politique et sociale fortement ancrée. Secundo, il a été question d’une constitution économique, celle qui doit avoir une emprise réelle sur le quotidien des citoyens. Dans ces trois modèles précités, les préoccupations de « développement régional » ont été une réalité constitutionnelle. La conséquence en est que le principe de l’« autonomie économique » des régions pour la France et l’Italie ou celle des Lander pour l’Allemagne est inscrit dans la constitution et garde par ailleurs une valeur constitutionnelle.
Le nouveau président de la République a projeté d’instaurer le principe du mandat unique. Mais la question est comment cela peut-il devenir une réalité quand la Loi organique portant conditions de recours au référendum a exclu cette possibilité des questions à soumettre au référendum ? C’est par la décision DCC-11-067 du 20 octobre 2011 que la Cour a imposé au législateur organique cette lecture de la constitution du 11 décembre 1990. Depuis, les juges ont constamment réaffirmé dans leur jurisprudence le principe du mandat de cinq (5) ans renouvelable une seule fois au nom des options fondamentales de la Conférence nationale de février 1990. Mieux, ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ont bien évidemment été les plus heureux quand la Cour avait hermétiquement fermé toutes les portes à un troisième mandat pour l’ancien président. Pour souvenir, l’ex ministre de l’agriculture, Fatouma Amadou Djibril s’était retrouvée devant le prétoire de la Cour pour ses propos imprudents tenus sur une chaîne de télévision et dont la teneur se résumait à l’évocation d’un éventuel troisième mandat. Encore et toujours, le très célèbre mais invisible M. Latifou Daboutou, un prête-nom adressait une célèbre Lettre ouverte au Président Boni Yayi lui demandant de réviser la constitution du 11 décembre 1990 en vue d’un hypothétique troisième mandat. L’arrêt de la Cour en date du 20 décembre 2014 refermait à double clef toute possibilité de faire plus de deux mandats dans le Bénin du renouveau démocratique. Et pendant ce temps-là, le peuple béninois, constitutionnaliste dans l’âme veillait sur la Bible du 11 décembre 1990. La Cour tel le roseau devant le chêne dans les Fables de Jean de la Fontaine, a été dans sa rhétorique jurisprudentielle l’interlocutrice des uns et des autres.
Ainsi, les tentations monarchiques ou les dérives dictatoriales du prédécesseur du président Patrice Talon ne doivent-elles être regardées que comme un accident de parcours dans l’histoire politique et constitutionnelle du Bénin.
Nous avons en Afrique la Constitution qui cumule le record de longévité démocratique. C’est la « Constitution de tous les records » dira le Professeur Frédéric-Joël AÏVO, ancien membre de la commission Joseph GNOLONFOUN et actuel membre de la Commission Joseph DJOGBENOU toutes chargées de penser les réformes politiques et institutionnelles. Que pensent les autres éminentes grises de cette dernière commission ? Il s’agit notamment du founding father, le Professeur Maurice AHANHANZO-GLELE ; de Maître Robert DOSSOU sous la présidence duquel la décision Options fondamentales fut prise.
Le mandat unique n’est pas une donnée constitutionnelle vérifiable. Il faut éclairer l’opinion du Président de la République sur cette réalité. Nous avons déjà une constitution politique et sociale. C’est le temps de penser à une constitution économique qui donne la priorité à une régionalisation responsable du pays. La réforme du système partisan doit aboutir à une refonte totale de notre modèle d’organisation d’Etat unitaire. Ce nouveau modèle devra rassembler l’Etat central, les départements, les régions et enfin les communes. Les partis politiques doivent être prêts pour assumer dans ce cadre de nouvelles grandes responsabilités. Le principe du financement du développement à la base doit être constitutionnalisé de telle sorte l’Etat n’aura d’autres choix que de mettre les moyens à la disposition des régions et ceci quelle que soit la couleur du parti qui se retrouverait à la tête d’un exécutif régional ou communal. C’est peut-être, nous le pensons bien, une manière d’atténuer les tentations totalitaires et absolutistes de l’exécutif. Il faut réduire la possibilité de faire « chanter » les collectivités territoriales en cherchant à les tenir par la « laisse financière ».
Une question et une esquisse de réponse tout de même. À quoi d’autre penserons nous demain, si un président de la République au mandat unique décide en premier, de supprimer toutes nos libertés fondamentales pour après partir avec la caisse du trésor public parce qu’il sait qu’il n’a qu’un seul et unique mandat ? Cela n’est pas à souhaiter mais le risque est grand et le mandat unique qui une fois encore n’a pas d’équivalent sera très certainement la source de telles dérives. La démocratie nous a-t-on appris est basée sur la compétition électorale qui suppose la possibilité de soumettre son bilan à l’appréciation du peuple qui recrute par l’expression du suffrage universel. Supprimer une telle possibilité, peut faire perdre la tête à un président enfermé dans la tour d’ivoire de la Marina pour X année.
C’est enfin inutile de vouloir transposer dans l’exercice futur et hypothétique du pouvoir constituant au Bénin la théorie bien française dite de l’aiguilleur consistant à briser une jurisprudence constructive du juge constitutionnel.
S. A. (Chroniqeur acotonou.com )