fagbohoun04 juin 2006 -4 juin 2016. Déjà ans qu’un détachement d’hommes en uniforme débarquait à Adja-Ouèrè pour arrêter, sans mandat, El-hadj Séfou Fagbohoun. En souvenir de cette mémorable épreuve du président fondateur du Madep, et en prélude à la commémoration demain samedi 04 juin 2016 de ce terrible et douloureux moment de la vie de Séfou Fagbohoun, Jérôme Bibilary, un des proches de la victime, revient ici sur les péripéties des dix ans de martyre, dix ans de provocations, dix ans d’injustice dont Séfou Fagbohoun a été l’objet. Cependant, témoigne, Jérôme Bibilary, Fagbohoun ne s’est jamais découragé. Il est toujours vigilant et méfiant, obstinément confiant et est resté l’homme de tous les combats. C’est pourquoi, demain samedi 04 juin 2016, il rendra grâce à Dieu, d’être toujours debout malgré tout. Il fêtera autour des siens ce terrible et douloureux moment de sa vie. Voici l’intégralité du témoignage.
Les Béninois s’en souviennent
C’est une colère singulière qui va s’exprimer ce dimanche de Pentecôte 04 juin 2006. Par stupeur d’abord, par incrédulité ensuite et par peur enfin. Ce jour-là, l’histoire nous rappelle que Boni Yayi, parvenu deux mois plus tôt au pouvoir, a frappé son premier coup d’éclat. En effet, le 04 juin 2006, le prince de Tchaourou a envoyé arrêter chez lui, à Adja-Ouèrè, Séfou Fagbohoun. Il sonnait environ 19 h 30 quand les hommes du commissaire Philippe Houndegnon ont profité de la pénombre pour exécuter le plan du grand chef après Dieu. Sans un mandat d’arrêt, ils sont venus arrêter une haute personnalité, sans aucun doute le plus grand notable du département du Plateau.
Face à la brutalité d’un tel acte, le Bénin est pris de stupeur. Après un semblant d’interrogatoire de 72 heures, Séfou Fagbohoun est jeté en prison tel un vulgaire bandit avec deux de ses collaborateurs. Il s’agit du directeur général de la Sonacop d’alors, Monsieur Abakar et de Monsieur Marcelin Fagbohoun, frère de Séfou Fagbohoun qui, depuis plusieurs mois, ne travaillait déjà plus à la Sonacop. Un quatrième, ex-qualité président du Conseil d’administration de la Sonacop, a été autorisé à rentrer chez lui.
Dès lors, commence une longue bataille politico-judiciaire où les juges, les avocats, les magistrats et autres hommes de droit se triturent les méninges pour savoir pourquoi Séfou Fagbohoun, le si tranquille notable du Plateau, a été si facilement arrêté et jeté en prison sans aucune forme de procès. Dix ans après, nous cherchons toujours la réponse à cette question.
L’imbroglio-politico-judiciaire ainsi créé, les forces de l’ordre attendent les consignes de Boni Yayi pour savoir à quoi s’en tenir. L’astucieux Boni Yayi, quant à lui, dit attendre les consignes d’une justice aux ordres. Les populations, quant à elles, qui ont rapidement compris que tout ce théâtre se joue au sommet de l’Etat, attendent elles aussi des consignes qui ne viennent pas. Elles en sont à se demander si le pouvoir exécutif ne laisse par pourrir la situation pour jeter le discrédit sur la maison justice.
Une mauvaise prémonition
Il faut signaler qu’entretemps, les choses ont commencé à bouger. En effet, de Takon à Sakété, de Itadjêbou à Mowodani, d’Ifangni à Pobè et de Kétou à Adja-Ouêrê, le risque d’embrasement se fait précis.
Et c’est encore Séfou Fagbohoun, certain de son plein droit qui refuse l’affrontement. Pendant ce temps, Boni Yayi et ses commanditaires s’organisent aussi et continuent de prendre des vessies pour les lanternes.
Selon Boni Yayi, seule la justice peut décider de ce qui doit advenir de Fagbohoun. Mais qu’a fait celui-ci ? On continue de chercher.
Et c’est un célèbre journaliste béninois en la personne de Edouard Loko qui a su trouver à l’époque la formule : « Ce n’est plus une présomption d’innocence. C’est devenu une présomption de culpabilité ».
Mais les consignes du président sont claires : « Cherchez, creusez, fouillez, bêchez, et remuez, ne laissez aucun dossier ou l’enquête ne passe et ne repasse ».
Peine perdue. Les magistrats ont cherché, creusé, fouillé, bêché, et remué dans tous les sens, ils n’ont rien trouvé à reprocher à Séfou Fagbohoun. Pendant ce temps, les jours, les semaines et les mois s’écoulent. Le temps passe et Séfou Fagbohoun est toujours en prison.
Quant au chef d’accusation, Boni Yayi continue de chercher. Et c’est dans cette situation d’attente que Séfou Fagbohoun, pour ne pas perdre son temps, s’est présenté aux élections législatives dans sa circonscription électorale (la 21ème) où il a été plébiscité par les siens. Devenu député, il devient du coup alors difficile à garder en prison. Pour Boni Yayi, le bras de fer devient incertain.
Alors, le prince de Tchaourou cherche et accouche d’une nouvelle astuce, une idée originale et révoltante qui fera bondir le Bénin tout entier et la maison justice en particulier.
Certes, on ne lui a encore rien trouvé, mais Fagbohoun ne sera libre et ne retournera chez lui qu’après les élections communales de 2008. On vous l’avait bien dit, avec Boni Yayi, le ridicule n’a jamais tué. Puis, de guerre lasse et poussé dans ses derniers retranchements, Yayi annonce enfin publiquement une date de retour de Séfou Fagbohoun. On vous laisse deviner la suite.
Aéroport de Cotonou noir de monde. Toutes les communes de l’Ouémé-Plateau sont en fête. Adja-Ouêrê doit refuser du monde pour le retour de l’enfant prodigue.
Talon a su éviter le sort de Fagbohoun
Exfiltré sournoisement de sa résidence, Fagbohoun y retournera deux ans plus tard en héros, sauvé d’une mort programmée. L’homme de Ouèrè aura aussi servi de cobaye et son exemple donnera des idées à d’autres indésirables dont Patrice Talon qui a su user d’autres stratagèmes pour échapper aux sbires de Boni Yayi qui doit aujourd’hui méditer sur son sort et le malheureux destin des dictateurs mal inspirés qui ne doivent leur pouvoir qu’à ceux-là mêmes qu’ils cherchent après à éliminer.
Aujourd’hui, Séfou Fagbohoun vit tranquillement et, comme un sage, il est régulièrement consulté par tous les hommes politiques.
Aujourd’hui, le peuple béninois a choisi Patrice Talon comme président de la République du Bénin. Un déshonneur et une hantise pour un Boni Yayi qui doit désormais raser les murs.
Continuera-t-il de faire dans la démesure et de se rêver l’égal de Dieu sur terre ? Ce n’est pas certain, car Boni Yayi doit être actuellement malheureux. Et s’ils arrivaient à le retrouver, tous les niais de la terre devraient lui rappeler ceci :« Qui que vous soyez et quel que soit le niveau de votre puissance, tout finit toujours par finir et un jour, vous finissez toujours par vous retrouver les pieds sur terre ou un jour, les jambes allongées dans un cercueil ».
Alors, il n’est pas trop pour méditer cette parole d’Alfred de Vigny « A voir ce que l’on fût sur cette terre et ce que l’on y laisse, seul le silence est grand. Tout le reste est faiblesse ».
Dix ans de silence ont fait de Séfou Fagbohoun un grand homme. Dix ans qui ont changé sa vie dont il parlera dans ses mémoires.
En attendant, place au souvenir et demain, samedi 04 juin 2016, Séfou Fagbohoun fêtera autour des siens ce terrible et douloureux moment de sa vie. Afin que nul n’oublie et que plus personne ne subisse son sort.
Dix ans de martyre. Dix ans de provocations. Dix ans d’injustice et Séfou Fabgohoun est toujours debout. Cet homme doit être taillé dans du rock. Il est l’homme de tous les combats, jamais découragé, toujours vigilant et méfiant, obstinément confiant.
J’ai pu lire quelque part il y a quelques années que Patrice Talon n’est pas Séfou Fagbohoun. C’est sans doute vrai dans la mesure où l’exemple et l’expérience de Séfou Fagbohoun ont pu sauver Patrice Talon d’un sort similaire. Le chef de l’Etat (l’actuel bien sûr) a dû fuir du pays avant l’arrivée des envoyés spéciaux de Yayi.
Dix ans après, la victime et le peuple se souviennent et rendent grâce à Dieu le Tout-Puissant qui décide de toutes les choses bonnes pour ceux qui croient en sa fidélité et sa miséricorde. Quand on se rappelle le mépris entretenu par Boni Yayi vis-à-vis de Séfou Fagbohoun, on peut affirmer que cela a atteint le sommet de l’absurdité. Pendant ce temps, Séfou Fagbohoun a souffert et a supporté l’insupportable jusqu’à frôler la mort.
A-t-il pardonné tout cela à Boni Yayi? Cela, on peut l’espérer. Mais a-t-il réussi à oublier toute cette batterie de méchancetés ? Rien n’est moins certain. Je ne parle que pour moi.
Jérôme BIBILARY
Journaliste