Le secteur de la commercialisation du bois connait de sérieux remous depuis la décision d’interdiction de l’exportation du bois d’œuvre par le gouvernement. Les usagers évoquent des amalgames alors que les tenants de la décision dénoncent un pillage organisé de la forêt.
Des tas de madriers jonchent le grand dépôt de Simon Dakpo à Zopah, commune d’Abomey-Calavi. Depuis la décision de suspension de l’exportation du bois d’œuvre par le gouvernement, ses clients Indiens et Chinois se font rares comme des rats d’église. Son impression ? Incompréhension ! Pourtant, il avait appelé de tous ses vœux la rupture pour mettre fin à la « pagaille » qui règne dans l’exploitation et la commercialisation du bois dans son pays. Mais cette décision du gouvernement, Simon Dakpo la reçoit comme un coup de poignard dans le dos, espérant que les autorités, après avoir pris connaissance des réalités, reviendront sur leur décision. « Le gouvernement se trompe en fait de cible. Ce qui pose problème dans ce secteur, ce n’est pas l’exportation du bois. Les enjeux sont ailleurs », se défend-t-il. Mieux, il pense qu’en agissant ainsi, l’Etat se prive de recettes importantes pour financer ses charges. « Si l’objectif, c’est de permettre d’avoir du bois bon marché dans le pays, le gouvernement a tiré à terre car le bois que nous exportons n’est plus tellement utilisé au Bénin », renchérit Blanche Chabi, coordonnatrice de l’Association nationale des usagers du bois (ANUB).
Le kosso fortement querellé
La filière d’exportation du bois que contrôlent, depuis des années, les Indo-pakistanais et les Chinois se focalise sur deux essences essentielles : le teck et le bois de veine communément appelé kosso. « Le kosso n’existe même plus au Bénin. Tout ce qui passe par le port de Cotonou vient du Nigeria. Nous allons chercher ce bois dans les villages frontaliers pour faire gagner ensuite de l’argent aux caisses de l’Etat », assure Blanche Chabi. Un camion de bois, informe-t-elle, est frappé de 600 000 francs CFA de taxe à verser au Trésor. « Si nous devons ajouter tous les frais induits par toutes les structures de l’Etat et les collectivités locales, nous payons grosso modo 1 675 000 francs CFA à l’Etat sur un camion de 300 pièces de bois », ajoute Simon Dakpo qui brandit un laissez-passer et des quittances du Trésor public. A lui seul, l’exploitant forestier qui dispose également d’une scierie et d’une menuiserie se tapait environ 12 camions par mois, soit près de 20 millions de recettes mensuelles à l’Etat béninois. « S’il n’y plus d’exportation, plus question que j’aille au Nigeria pour chercher du bois », alerte-t-il. Ou du moins, il détourne son business vers le Togo ou Ghana qui regorgent de clients potentiels.
Bien qu’il soit menuisier de formation, d’autres collègues de la corporation ne partagent pas son avis. «La décision du gouvernement est bonne, elle vient soulager nous les menuisiers qui souffrons trop avec le prix élevé du bois », s’offusque Comlan, chef menuisier croisé dans un atelier à Fifadji. Son compère Emmanuel Adissenou, basé à Godomey, vilipende aussi la flambée inexplicable du bois ces dernières années. Le madrier d’afzeria s’élève aujourd’hui à 28.000 francs CFA contre 16.000 il y a une dizaine d’années, l’acajou et le kosso à 24 000 contre 10 000 francs CFA. Si le secteur fait la grise mine, c’est la faute à l’ouverture de la filière aux Indo-pakistanais et aux Chinois, pointent de nombreux menuisiers. Dame Pascaline, tenancière d’un dépôt de bois botte cet argument en touche. « Nos amis menuisiers disent des contre-vérités. Ils doivent reconnaitre qu’ils n’utilisent plus le kosso pour leur travail. Si les Indiens et les Chinois ne viennent pas acheter le kosso, cela va nous rester sur les bras », insiste-t-elle. Simon Dakpo aussi s’en défend : « Le kosso est un bois qui a beaucoup de blessures. Il est donc difficile à travailler pour les menuisiers d’ici qui n’ont pas les outils adéquats pour soigner les blessures. Le kosso n’est plus dans les usages au Bénin, disons-nous la vérité ».
L’offensive du gouvernement
Les plaintes des exploitants tranchent avec les raisons qui ont conduit le gouvernement à la suspension des exportations. « Il y a un désordre infernal dans la gestion des ressources forestières et l’exploitation du bois. La loi N°93-009 du 2 juillet 1993 portant régime des forêts en République du Bénin est constamment violée par tous les acteurs. L’Etat a l’obligation de mettre de l’ordre», affirme José Tonato, ministre du Cadre de vie et du Développement durable. Le Bénin, souligne le ministre, vit un désastre écologique sans précédent qui ne saurait laisser indifférent un gouvernement responsable. « Nous ne sommes pas un pays forestier, mais nous faisons de grosses exportations du bois, parce que notre forêt est décimée par des exploitants sans foi ni loi », se désole-t-il. La décision gouvernementale d’arrêter l’exportation du bois brut, ajoute le ministre, répond surtout au souci de préserver les forêts classées, prises d’assaut, ces dernières années, par la filière d’exportation du Kosso. Il juge les allégations des usagers d’importer du bois du Nigeria infondées et pointe la complicité de certains agents forestiers dans la violation de la loi sur le régime des forêts au Bénin. « Le kosso subit une décimation sauvage alors que ce bois vient majoritairement des forêts classées. Au nom de quoi le bois interdit d’exportation au Nigeria doit-il transiter par le Bénin ? », s’offusque-t-il. Son collègue Lazare Sèhouéto, ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat se veut plus direct : « Il était de notoriété publique que la forêt était massacrée. Des gens font des coupes dans la Penjari et le Parc W. Le bois était exporté alors que l’industrie locale en manque. Des forestiers tiennent en catimini des dépôts de bois et de scieries en toute violation de la loi. Il fallait mettre un coup de frein et remettre de l’ordre ».
Lorsqu’on oppose au gouvernement des laissez-passer spéciaux attestant que le bois vient du Nigeria, la réaction des ministres est sans équivoque. « Nous sommes dans un pays où on peut produire tout ce qu’on veut », avance José Tonato. « L’origine du bois ne peut pas être attestée sur simple présentation de papier », appuie Lazare Sèhouéto. Pour les ministres, le gouvernement ne reculera pas devant la pression des usagers qui se prévalent de faire des recettes à l’Etat pour « justifier des actes attentatoires à l’environnement ».
José Tonato soutient aussi que l’Office national du bois (ONAB) souffre d’une gestion opaque que dénoncent d’ailleurs de nombreux usagers. «Les agréments sont clairs, les conditions d’exploitation aussi. Nous avons une idée claire de la responsabilité des uns et des autres. Nous voulons que la loi soit respectée », martèle le ministre. Il assure que le non-respect de la loi entretenue parfois par les corps d’inspection et de contrôle de l’Etat a fait le lit au péril forestier. L’ambition du gouvernement, conclut-il, c’est de s’investir dans une politique cohérente de régénération de la flore pour relever le défi climatique, après l’accord de Paris sur le climat.?
Le bois miné par la corruption
Le cancer de la filière bois au Bénin a pour nom la corruption. « Trop de tracasseries, trop de faux frais nous tuent », confie l’exploitant Simon Dakpo. Sa collègue Blanche Chabi y va sans détour. « Les Forestiers sont eux-mêmes à la base des problèmes. C’est eux qui nous tuent », assume-t-elle. D’autres usagers qui ont requis l’anonymat abondent dans ce sens. Pour les exploitants, il n’y a pas mille solutions si l’Etat veut baisser le prix du bois dans le pays. La seule qui vaille, c’est la suppression des faux frais.
Un camion chargé de bois croise environ sept postes de forestiers, de douaniers et de gendarmes entre Parakou et Cotonou. Sur le parcours, le transporteur paie en gros environ 281 000 francs CFA qui iraient directement dans les poches de ces agents. Mais avant la route, l’exploitant est confronté aux tracasseries relatives à l’obtention du permis de coupe dont le montant réel déboursé va bien au-delà des 200 000 francs CFA de diverses quittances que délivre le Trésor public. « Même les gens du Petit palais nous prennent 5000 francs CFA à chaque poste », confesse un usager. Il faut ensuite gérer les humeurs des agents de mairie qui délivrent l’autorisation de sortie du bois. A Ségbana, la mairie percevrait jusqu’à 650 000 francs CFA sur un camion de 300 pièces, environ 500 000 à Kérou, 100 000 francs à N’Dali. « Tout dépend de la quantité de bois que vous retrouvez dans ces communes », explique Simon Dakpè pour justifier la disparité des frais libérés aux municipalités. Les exploitants et commerçants estiment alors que pour assainir le secteur, l’Etat devra faire le ménage dans sa propre administration. A commencer par l’Office national du bois (ONAB) et la direction des Eaux et Forêts. Pour l’obtention de l’agrément renouvelable chaque année, il est perçu 250 000 francs CFA pour frais de reboisement. Beaucoup d’exploitants dénoncent cette taxe qui ne transparaitrait pas dans les programmes nationaux de reboisement. D’autres pointent un monopole instauré dans la livraison du bois de teck au niveau de l’ONAB.
En dehors des 30 000 mètres cubes sur 50 000 livrés à l’IBB (Industrie béninois du Bois, cédée par l’Etat à la société indienne Jupiter), l’ONAB ouvre son exploitation des grumes et de petites grumes à des commerçants locaux, disposant de 20 hectares d’exploitation de teck, quatre camions de grumes, quatre tracteurs et une scierie complète. « Nous ne sommes pas sûrs que ceux qui disposent aujourd’hui de l’agrément remplissent les conditions. Il faut ouvrir cela à tout le monde en créant juste une taxe de 10 000 F CFA par camion pour le reboisement, soit 450 millions de recettes rien que pour le reboisement », propose un exploitant.
Gnona AFANGBEDJI