La première économie d’Afrique serait-elle dans le déni? Sa monnaie ne cesse de chuter face à la conjoncture économique actuelle. Officiellement, le taux de change du naira est fixé à 197 unités pour 1 dollar. Mais, sur le marché parallèle, la monnaie du Nigeria ne cesse de s’effondrer, entraînée par la chute des cours de l’or noir. Mi-février déjà, dans les bureaux de change de Lagos, il fallait débourser 390 nairas pour 1 dollar, contre seulement 220 nairas à l’automne 2015. On se souvient qu’au lendemain de son élection, Muhammadu Buhari avait promis d’améliorer le quotidien des 178 millions de nigérians. Ce qui l’avait poussé à prendre un certain nombre de mesures internes à l’instar du contrôle dans l’allocation des devises par rapport au commerce extérieur, une restriction sur les dépenses publiques (mesures qui pourraient impacter sur les engagements de financement internationaux ), la lutte contre la corruption au Nigeria notamment dans le secteur pétrolier qui concourt a plus de 22 pour cent du PIB de ce pays. Une telle mesure va restructurer l’économie nigériane sans pour autant oublier la dernière mesure qui porte sur l’élan de relance pour une production locale. Ces mesures, selon les autorités nigérianes, devraient faciliter un mieux-être des populations nigérianes. Paradoxalement, ces mesures ont entrainé la chute de la monnaie qui n’offre que seule solution, l’abaissement du taux de change. Mais à y voir de près, la chute du naira n’est pas sans conséquence sur les pays voisins du Nigeria. L’exemple est palpable sur le marché béninois.
L’économie béninoise en passe de perdre de la vitesse
Voisin du Nigeria, le Bénin partage plus de 700 kilomètres de frontière avec ce grand géant de l’est. Les deux pays sont donc intimement liés aussi bien du point de vue culturel qu’économique. Selon le principe des vases communicants explicité par l’enseignant chercheur, professeur d’économie Servais AFOUDA, lorsque l’économie nigériane se porte bien, c’est que le Bénin va très bien aussi. Mais lorsque le Nigeria se porte mal, le Bénin en ressent les effets. Partant de cette réalité, il est un constat qu’aujourd’hui l’économie béninoise se porte très mal et donc les conséquences sont visibles dans le panier de la ménagère. En effet, les mesures internes prises par le Nigéria, au chapitre des réformes, secouent le Bénin. Il faut alors apprécier cette dépréciation progressive du naira au cas par cas par rapport aux secteurs vitaux béninois.
La réexportation en chute libre,
La réexportation constitue la principale activité économique pratiquée du Bénin vers le Nigeria. Il s’agit, entre autre, de la réexportation dans la filière des véhicules d’occasion, des produits congelés et de la farine de blé. Dans le secteur des véhicules d’occasion, le Nigeria consomme à hauteur de 95 pour cent les véhicules venus du marché mondial. Ce commerce apporte plus de 8 milliards de francs CFA au Bénin qui, précisons-le, dispose d’un budget essentiellement fiscal basé sur les impôts et les recettes douanières. Un tour au port autonome de Cotonou et sur les parcs de vente de véhicule à Sèmè, plus rien ne marche. Les importateurs se plaignent de la mévente occasionnée par la dépréciation du naira. Les conséquences sont perceptibles: selon les statistiques obtenues auprès du Directeur Général de Roro Terminal Mr Clément GODONOU, le trafic au mois d’avril 2016 est de 45.925 véhicules comparativement à 280.959 en 2015 et le nombre de véhicules vendus révèle au mois d’avril 2016 12.548 contre 278.877 en Avril 2015. Sur la base de ces chiffres, le gap est important. Ces données démontrent sans nul doute la chute de cette activité qui, pourtant, contribue énormément à l’économie nationale. Du côté des importateurs, on estime que ces chiffres ne sont que des indicateurs puisque la situation sur les lieux est pire. Du coup, beaucoup d’employés se sont retrouvés au chômage parce que leurs employeurs, la plupart des libanais, ont dû fermer les portes de leur parc. Ce secteur va-t-il, à petits pas, dans le gouffre?
L’inflation sur le marché béninois,
" La vie est chère au Bénin, nous souffrons trop" se lamentait hier au marché Dantokpa un septuagénaire devant un étalage de gari (produit de grande consommation fait à base du manioc). Retraité de l’administration béninoise, ce père de famille a dit toute sa désolation de devoir désormais débourser le triple de ce qu’il dépensait pour nourrir sa famille. "Quel péché avons nous commis, et cette hausse des prix est valable sur tous les produits alimentaires. Le pauvre ne peut plus ne nourrir? Que se passe-t-il?" s’est-il interrogé. Du côté des commerçantes, on tente d’expliquer : "Le sac du Gari autrefois vendu à 20.000FCFA est désormais à 50.000FCFA et nous ne vendons plus parce que les Nigérians ne viennent plus". La raison est désormais connue. Les produits ne sont plus écoulés facilement et les plus gros acheteurs qui sont les nigérians ne viennent plus. Selon la commerçante appelée de tous "Alladjah", les nigérians qui, autrefois, vidaient en un tour de main son magasin de par leur pouvoir d’achat ne le font plus. Comme cette commerçante, elles sont nombreuses dans le marché notamment du côté des fruits à tenir le même raisonnement. La chute du naira dicte également sa loi au marché Dantokpa, le plus haut lieu de commerce au Bénin. Les conséquences s’en ressentent dans les ménages. Face à cette situation qui ne favorise en rien le mieux être des populations, la réforme nigériane, ayant trait à l’élan de relance de la production locale, risque d’aggraver encore plus les choses. Ceci dans la mesure où la présence des produits béninois sur le marché du grand voisin de l’est vont diminuer et, à l’inverse, les produits maraichers qui ne sont pas produits en quantité au Bénin (choux, carottes, etc.) seront déversés au Bénin. Ce qui va agir sur les producteurs et agriculteurs béninois.
L’attractivité, l’approvisionnement en énergie électrique et la libre circulation des personnes et des biens au rouge,
Déjà les Béninois, depuis plus de deux mois, s’habituent contre toute norme à vivre dans le noir, parce que privés de l’énergie électrique parfois 24h/24. Il va sans dire qu’avec ces nouvelles réformes, la solidarité régionale risque de prendre un coup. Et quand on sait que plus de la moitié de la quantité d’énergie consommée au Bénin vient du Nigeria, il est une évidence qu’il faut avoir des craintes. Si on n’y prend pas garde, à terme, cette chute de la monnaie nigériane pourrait même amener les nigérians d’une certaine classe à ne plus éprouver le besoin de venir faire former leurs enfants dans les universités béninoises parce que leur pouvoir d’achat serait en baisse. Ce qui va faire diminuer les revenus dans les caisses béninoises. Il y va de même pour le commerce et les autres activités connexes pratiquées habituellement sur le marché béninois. Face à cet état de chose, il urge de prendre des mesures urgentes.
S’il est vrai que le gouvernement du Président Talon, récemment installé, doit prendre le temps de faire une prospection et prendre la mesure des choses, il est tout aussi important que très vite les mesures adéquates soit prises. Selon l’économiste Servais AFOUDA, enseignant à l’université de Parakou et chargé de recherche au LARES, l’exécutif béninois doit penser de façon concrète aux mesures économiques à prendre pour faire face à l’inflation galopante observée sur le marché. Sans quoi, les populations, déjà désespérées, risquent de souffrir encore plus dans les jours à venir. Ce qui, sans aucun doute, ne constitue pas le vœu de l’équipe gouvernementale constituée de grands économistes.
RLK
Illassou Mama, commerçante au marché Dantokpa
Avec la chute du coût du Naira, le commerce ne marche plus. Les produits sont devenus chers et inaccessibles. J’ai acheté des produits à 19 500 FCFA que je me vois contraint de vendre à 13 500 FCFA, voyez la perte. Et ce n’est pas un seul produit. Je suis complètement endettée. Mais qu’est-ce que nous allons faire ? Les enfants doivent aller à l’école. Est-ce qu’il faut aller voler ? Nous invitons les autorités béninoises et celles nigérianes à trouver des solutions définitives à cette situation.
Taïwo, commerçante originaire du Nigeria
Moi, je me situe des deux côtés. D’une part, la chute du coût du Naira m’arrange pour certains produits qui deviennent moins chers au Bénin et que je vends chers au Nigeria. Mais il ya d’autres produits qui coutent moins chers au Nigeria et que je ne peux plus acheter ici pour aller vendre là-bas. Le Naira, à mon avis, est une mauvaise monnaie. Les pays africains n’ont qu’à s’entendre pour régler ce problème de monnaie qui se pose et qui cause des difficultés aux populations.
Propos recueillis par T.homas Azanmasso