Entrepreneur culturel, directeur général et fondateur du Centre culturel Artisttik Africa, écrivain, metteur en scène et ancien directeur du Fitheb, Ousmane Alédji opine dans cette interview sur le secteur culturel, les réformes en cours et la gouvernance du pays en général.
Vous êtes membre du Conseil national des Arts et Culture, une structure dont l’utilité est peu perceptible.
Normal. C’est un mort-né. La preuve, le secteur culturel béninois est en vrac. Ceux que le fonctionnement de cet organe dérangeait ont tout fait pour le ranger. Il y a des ministres qui sont passés à la tête de ce département et qui n’en ont jamais entendu parler.
Vous plaidiez justement, il y a peu, dans un entretien pour que ce Conseil soit érigé en institution. Quel gain peut-on espérer d’une telle option ?
Le même gain que tirent l’Etat et la presse béninoise de l’existence de la HAAC, le même gain que tirent l’Etat et les opérateurs économiques de l’existence de la CCIB. Le CNAC concentre au profit du secteur culturel, les prérogatives dévolues à ses deux institutions à lui tout seul. Mais, plus important, c’est une disposition de la loi de 1991 portant charte culturelle du Bénin qui le prévoit. Cela signifie que la mise au placard de cet organe est une violation délibérée de la loi.
Le Bénin vit actuellement à l’ère des réformes et vous faites partie des personnes ressources qui souhaitent que les acteurs culturels soient intégrés à la commission mise en place pour les réformes…
Cette commission s’apprête à déposer son rapport. Donc le travail est déjà fait, une fois de plus sans les professionnels du secteur culturel. On aurait dû nous consulter tout au moins.
Pensez-vous qu’il était vraiment possible d’impliquer tout le monde ?
Pourquoi pas ? Qu’est-ce que vous appelez tout le monde ? On est au Bénin, pays de tous les sédiments culturels. Nos socles fondamentaux sont culturels ; nous n’avons de chance que par la culture. Ceux qui refusent de l’entendre font preuve de mépris et donc d’ignorance.
On pourrait vous répondre que vous avez une démarche de syndicaliste, vous défendez votre secteur !
Parce que mon secteur est notre seule chance. Dans quelle langue faudrait-il que je le dise ? Je vais plus loin que la culture. Je nous accuse de surdité et d’aveuglement bêtes. Je nous accuse de gâchis évitables. Ça nous coûte quoi d’essayer ? Pourquoi perdre encore cinquante ans à attendre qu’une génération de gens autrement plus éclairés viennent au pouvoir avant de lancer le développement de ce pays vu que nous le pouvons dès à présent ?
Ousmane Alédji, ce n’est pas parce que les acteurs politiques n’ont pas associé ceux du secteur culturel qu’ils ne travaillent pas pour le développement du pays.
Je vous le concède. Mais alors, au nom de quoi s’arrogent-ils le droit exclusif de décider du sort de tout le peuple ? Ils ont été à quelle école pour sortir politiciens ? Au nom de quoi devons-nous admettre notre exclusion et leur mépris en silence?
C’est donc du mépris…
Absolument ! Et, quiconque use du mépris envers son prochain fait preuve d’ignorance. A ce niveau de l’Etat, les répercussions sont catastrophiques.
Le gouvernement donne quand même quelques signes qui dénotent de son intérêt pour la culture. Non ?
Je sais exactement à quoi vous faites allusion. Le chef de l’Etat lui, il a réussi à vendre son projet au peuple. Après, ce projet se décline comment, quand, avec qui, pour quels résultats ? Si on en fait un fétiche alors on prend le risque de faire des exclus et des frustrés. C’est contre-productif.
Des exclus et des frustrés, il y en aura de toutes les façons.
La jalousie c’est autre chose. On s’en fout à la limite. Ici, il s’agit des gens qui souhaitent apporter leurs contributions à l’œuvre de redressement de notre pays. Le débat des réformes est un débat citoyen qui nous concerne tous. Nous ne pouvons plus nous permettre de rater une fois encore le virage du développement pendant encore 25 ans. Ce serait un immense gâchis. Quand on ne sait pas, on demande. Quand on ne comprend pas, on se renseigne. Quand on n’est pas, il faut associer ceux qui sont. Nous sommes des apprentis éternels, les uns à l’école des autres. S’enfermer et cuisiner un machin à imposer aux autres est un coup de force. Il faut impliquer les gens, les consulter, les associer. Nous parlons d’une Constitution de développement et non d’une thèse d’universitaires.
Et si malgré vos appels la commission n’intégrait aucune dimension culturelle à ses travaux, que feriez-vous ?
Moi ? (rires) Rien. Boire un verre d’eau et continuer à écrire mes livres. Vous savez, l’écriture est la seule chose qui défie les temps. Ce que j’ai à faire je le fais et je le ferai. On ne nous dira pas : où étiez-vous, qu’avez-vous fait pour aider votre pays. C’est pour ça qu’avec d’autres, nous parlons, nous proposons. A titre personnel, je voudrais inviter le chef de l’Etat à la vigilance. J’ai le sentiment qu’on fait exprès de laisser tomber la ferveur avec laquelle la Rupture est advenue. La dynamique qui a été portée en triomphe est aussi une dynamique inclusive. Marginaliser les gens, c’est avancer masqué. Le Bénin n’a de nom que grâce à sa culture, il ne s’en sortira que grâce à sa culture. Je ne défends pas un secteur, j’appelle à une prise de conscience.
Est-ce que vous ne confondez pas un peu la gouvernance culturelle et les réformes institutionnelles ?
Les deux sont intimement liés. Les institutions sont des creusets de débats, de propositions et de suivi de la gouvernance publique. Si le CNAC était fonctionnel vous croyez que le secteur culturel du Bénin serait dans cet état ? Il faut amener nos autorités à consacrer à la culture l’attention et l’intérêt qui lui sont dus. Je vais me répéter, le développement de notre pays, notre bien-être à tous en dépend. Sans la culture c’est impossible, c'est perdu d’avance, aucune chance.
Si la culture est si précieuse que ça pourquoi d’autres pays africains ne prennent pas le devant ?
Excellente question ! Nos pays ont, à quelques nuances près, les mêmes problèmes. Cela dit, certains pays font des efforts : le Burkina, le Maroc, le Mali pour ne citer que ceux-là. Allez voir les Japonais, les Chinois, mêmes les Américains… ils vous diront la même chose. Ça commence par la culture. Notre pays n’a pas de tissu industriel, zéro. Nous sommes parmi les pays pauvres très endettés, nous dépendons des aides de ceux avec lesquels nous sommes sensés être en compétition et vous croyez qu’ils vont nous élever à leur hauteur ?
Pourquoi n’envoyez-vous pas vos propositions à la commission ?
A quel titre ?
Il semble que certaines organisations de la société civile sont sollicitées pour apporter leurs contributions.
La nôtre est simple : Transformer le Conseil National des Arts et Culture en une institution. C’est tout.
L’autre volet de notre entretien, concerne les statistiques avancées par le gouvernement …
Ces statistiques ne correspondent à rien d’objectivement défendable. 2,6 % du PIB, c’est très loin de la réalité. En 26 ans de carrière, je n’ai jamais été en contact avec une quelconque unité de collecte de données sur le secteur culturel.
Ce sont sans doute les chiffres de l’Insae ?
Ils sont incontestables parce qu’ils viennent de l’Insae ? La culture est transversale ; c’est-à-dire qu’elle irrigue la quasi-totalité des autres secteurs d’activités professionnelles. Les restaurants et cabarets bars par exemple, sont des lieux culturels dynamiques. Quelle structure les a déjà recensés au point de mesurer leurs contributions au PIB national? Quel est le poids de l’artisanat d’art dans l’économie culturelle nationale ? Le tourisme culturel est en lien étroit avec la chaine hôtelière et le secteur des transports, en a-t-on tenu compte ? Je ne parlerai pas des arts ni des patrimoines matériels et immatériels ni des industries culturelles, etc… tout ça pour vous dire que réaiser les statistiques pour le secteur culturel est un travail de spécialistes.
Ça gronde et ça grogne actuellement dans le secteur culturel avec la parade des anti et pro-réformes. Où doit-on vous situer ?
Je suis pour les réformes. C’est une posture radicale et tranchée. Dans tous les cas où réformer sous-entend progresser, passer à une autre étape, j’adhère. Maintenant, quand vous suspendez un élan parce qu’il semble de toute évidence parasité, dépêchez vous de le remplacer par un élan meilleur ; autrement, ceux qui se satisfaisaient de l’ancien système vont vous tomber dessus. C’est logique. C’est ce qui se passe. Et, une fois encore, il faut impliquer les uns et les autres à ce qui se trame.
Certains souhaitent voir un acteur culturel à la tête du ministère en charge de la Culture. Etes-vous partant pour cette option ?
La question ne devrait même pas se poser. Ça devrait être la règle. Moi, si demain on me fait appel pour diriger le ministère de la Santé, je dirai non. Je ne peux pas non plus être le patron des Eaux et Forêts. Je n’ai aucune expertise dans ces domaines. Le langage moderne est un langage de spécialistes. J’ai la chance d’avoir beaucoup tourné. Quand vous sortez du pays et que vos collègues voient en vous le profane, vous restez sur le quai. Vous n’entrez dans rien. La politique oui mais le pays d’abord.
Imaginons que demain, le président Patrice Talon vous confie les rênes du département de la Culture. Quelles seront vos cinq priorités ?
(Rires)! Vous me connaissez. J’aime ma liberté et j’aime être du côté du peuple. C’est ce qui m’inspire.
Vous avez quand même dirigé le Fitheb !
Oui mais à titre intérimaire et provisoire.
Est-ce à dire qu’on ne vous verra plus à un poste de responsabilité dans le secteur ?
C’est cela. Vous savez, j’ai eu beaucoup de chance dans ma vie. J’ai fonctionné jusque-là comme un souverain. Le Fitheb a été une belle expérience mais une sacrée souffrance aussi. L’administration publique, c’est pour les martyrs. Moi, j’adore creuser en penseur libre et il y a quelques territoires que je souhaite explorer encore en profondeur.
Des conseils au nouveau ministre…
Certainement pas ! Il est là parce qu’il s’y connaît. Maintenant, si je devais émettre trois souhaits, je citerais dans l’ordre : structurer le secteur par le mécanisme de la municipalisation de la culture, ensuite introduire l’enseignement des métiers d’art dans l’éducation nationale et enfin mettre en place un système de sécurité sociale pour les artistes et réduire le taux de chômage dans le milieu culturel ¦
Josué F. MEHOUENOU