(Par Roger Gbégnonvi)
Deux exploits jumelés. 1- Au soir du 20 mars 2016, sans coup férir, le faiseur de roi a été fait roi : une première dans les annales de notre histoire. 2- Dans la nuit du 20 au 21, le second prétendant au trône le concède sans ambages au vainqueur, non encore déclaré, des élections : élégance et grandeur, sans précédent dans les annales de notre histoire. Et le monde, admiratif, peut murmurer : ‘‘Décidément, les Béninois n’en ratent pas une !’’
Mais après ces deux Une, jumelles et glorieuses, plus rien ! Ou, plutôt, une chose minable en deux temps. 1- Avant l’intronisation du nouveau, l’ancien l’entraîne secrètement à Lomé pour une séance dans le genre : ‘‘J’ai la trouille. Jure-moi, devant ce roi inamovible, que tu ne vas pas me rendre la monnaie de ma pièce !’’ 2- Presque aussitôt après l’intronisation, il recommence à Abidjan, non plus en secret : ‘‘Mon frère Patrice, la trouille me rend dingue. Dans cette métropole habitée par les mânes de grand-papa Houphouët, devant son rejeton et devant le clone du Timonier, jure-moi que tu ne me persécuteras pas comme je t’ai persécuté ! Hein, la Bible que je t’ai fourguée, lis-la et laisse-moi tranquille !’’
Sans don de sorcellerie, mais grâce à la ‘‘folle du logis’’, on a tout vu et tout entendu. L’on ne sache pas que le candidat à la tranquillité ait reçu la moindre assurance qu’il ne devra pas fuir pour aller vivre en exil jusqu’en 2021, mais l’on sait que, face au difficile office de conduire les hommes, les tractations de Lomé-Abidjan font office de mépris, d’insulte et d’injustice à l’égard du peuple béninois. Et dans la douleur ce peuple a vu les suites de Lomé-Abidjan, il a vu Cotonou subir une série de braquages. Barbarie. Sauf confidences, tout rapport de cause à effet est indémontrable. Mais l’on peut imaginer (retour de la ‘‘folle du logis’’) que l’ancien ait voulu signaler que, quels que soient les résultats des parlotes de Lomé-Abidjan, il dispose encore d’un bon réseau de nuisance, et que le nouveau a tout intérêt à fermer les yeux sur ses cadavres et sur ses béances dans les caisses de l’Etat.
Voilà pour l’immédiat avant et après investiture, c’est-à-dire les turpitudes de Lomé-Abidjan. Depuis lors, sur place, une vraie monotonie. Comme s’il n’y avait pas rupture, comme si l’on était dans le régime que les politiciens chevronnés appellent ‘‘le changement dans la continuité’’, pour éviter de nommer l’immobilité. Du côté des gens :- Résignation et indifférence. Lassitude et absence de désir. Dix ans de mots creux, de monts et merveilles promis et jamais entraperçus, et le cœur n’y est plus, il n’y a plus d’avenir, et certains soliloquent : ‘‘On a sorti le loup devenu, mais a-t-on mis à sa place un moins-loup ? Tous des roublards ! Ange au départ, démon à l’arrivée. Dieu a créé les deux, Michel et Lucifer. En vouloir à Dieu ? Silence, et prends soin de toi !’’ Du côté du Gouvernement :- Silence, on travaille. Ministres méticuleux. Surtout pas de vagues. Le moins d’audace possible. Respecter les consignes. Faire maigrir l’Etat. Aligner les mesurettes. Mais alors, qui va créer l’élan, susciter l’enthousiasme nécessaire ? Seul le coryphée fait des arpèges d’ambition : ‘‘J’ai un certain génie, je voudrais désormais que ce génie […] serve mon pays. Je rêve qu’au bout de ce mandat de cinq ans, je sois porté en triomphe par les Béninois. […] Je suis quelqu’un qui se métamorphose facilement.’’, etc. Son lyrisme, hélas, bute sur un quotidien résolument morose, dont les Béninois ont voulu, pendant dix ans, la métamorphose.
Le Chef de l’Etat et son Gouvernement n’ont rien fait encore qui puisse amener à dire : ‘‘Ils nous ont trahis’’. Mais frileux et précautionneux, comme ils se montrent, ils n’ont pas encore su déclencher le frémissement qui doit traverser le pays pour le mettre debout. Rupture, où est ton étincelle, ta flamme olympique allumée, portée de village en village, de hameau en hameau, pour éclairer les pas du Bénin sur les chemins du départ nouveau ?