Sucobe, la rescapée des unités de productions agricoles béninoises d’antan va mal. Assujettie à une tension perpétuelle entre son organe dirigeant et ses travailleurs, l’ex Société sucrière de Savè (3S) devenue Société complant du Bénin (Sucobe) peine à honorer l'espoir suscité. Et c’est pour faire naître cet espoir que le président de la République Patrice Talon y a effectué une visite, vendredi 17 juin dernier. Il y a échangé avec les acteurs pour faire baisser la tension en vue de rendements meilleurs.
Pour sa première sortie officielle à l’intérieur du pays depuis son investiture, le président de la République Patrice Talon a choisi de descendre sur le site de l’ex Société sucrière de Savè (3S) aujourd’hui Société complant du Bénin (Sucobe). Tout un symbole, pour matérialiser son attachement à cette unité, mais en général au secteur privé. Cette visite n’avait donc rien d’anodin et tout porte à croire que Sucobe aussi en avait besoin.
Créée il y plus de trente ans et confiée à des investisseurs privés chinois avec location gérance libre depuis 2003, la société malgré son potentiel est confrontée à de nombreuses difficultés avec pour charpente, des tensions sociales. L’arrivée du président de la République a été vécue comme un soulagement. Zhou Kaïming, directeur général de la Sucobe y a vu la preuve d’une attention et d’un attachement à son unité de production, tandis que Julien Attolou, secrétaire général du Syndicat des travailleurs du sucre et de l’alcool (Syntrasa) la peint comme le début d’une nouvelle ère au sein de la société.
Tension… revendications
C’est d’ailleurs au secrétaire général du Syntrasa que reviendra la responsabilité de présenter au chef de l’Etat, les raisons de la tension qui sévit en permanence en ces lieux.
La crise a une origine et une raison, justifie Julien Attolou qui souffle au président Patrice Talon que « malgré la prospérité de cette société industrielle, la masse ouvrière ne jouit pas convenablement de ses efforts et est soumise à la servitude». Plusieurs revendications insatisfaites «malgré les multiples séances de travail tenues à cet effet sont à la base des mécontentements et soulèvements des travailleurs et affectent dangereusement l’ambiance normale et la paix sociale dans la société», poursuit le porte-parole des travailleurs. Lesquelles revendications, une vingtaine environ portent entre autres, sur la discussion et l’adoption du projet de convention collective, la régularisation de la situation du personnel retraité à la Caisse nationale de la sécurité sociale, la régularisation de la situation des ex-apprentis titulaires du Bepc et du Bac, le règlement de la disparité salariale, la généralisation des rappels liés aux primes de risque et de salissure… A cela s’ajoutent le non remboursement des frais médicaux aux ayants droit et l’assistance aux travailleurs éplorés, l’amélioration des moyens de transport du personnel, l’assainissement du site et des locaux de façon permanente, la réaménagement et la dotation de l’infirmerie en produits pharmaceutiques, la déclaration des saisonniers à la Cnss, l’application du statut agro-alimentaire de la société, la nomination et l’installation dans un bref délai d’un administrateur du travail…
« La mission chinoise et les travailleurs consentent beaucoup d’efforts et de sacrifices pour faire prospérer cette unité de production très chère au Bénin et au Nigeria. Nous saluons les efforts fournis par cette mission pour le rayonnement de cette société et le paiement régulier des salaires. Il en est de même pour les multiples efforts consentis en vue de la disponibilité de matière première qu'est la canne à sucre», admet tout de même Julien Attolou.
Résoudre la tension qui sévit au sein de la société reviendrait à améliorer son rendement, pense le ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, Lazare Sèhouéto. Selon lui, les revendications des travailleurs sont connues. Pis, il est souvent arrivé, indique-t-il, que des situations deviennent tendues au point où la violence verbale et physique s’en mêle. Toute chose qui, regrette le ministre, «ne sont pas de nature à assurer la quiétude indispensable pour que la production se fasse et que l’entreprise contribue au développement de Savè et du pays». Puis, Lazare Sèhouéto note qu’il y a «un manque d’informations au niveau des produits de l’entreprise, au point où beaucoup de suspicions légitimes ou non sont véhiculées».
Quelques chiffres ont été néanmoins apportés par Julien Attolou et font état de ce que 310 travailleurs contractuels officient au sein de la Sucobe qui produit du sucre et de l’alcool à 90 degrés. « Ces trois dernières années, la production du sucre a chuté du fait des aléas climatiques. Mais il y a quatre ans, nous avons atteint au moins vingt mille tonnes. Pour l’alcool, cette année, nous sommes déjà à quatre-vingt mille litres», a-t-il révélé. Pour ce qui est de la clientèle de la société, elle est aussi bien locale qu’étrangère.
Douze mois de trêve sociale
Depuis la réhabilitation de cette société et sa mise en location gérance libre, il y a treize ans, c’est la toute première fois qu’un chef de l’Etat y met les pieds, ont reconnu travailleurs et dirigeants. Un exercice que le président Patrice Talon dit accomplir avec émotion. «Il y a trente ans, quand j’ai commencé mes activités de jeune entrepreneur et de jeune commerçant, les 3S ont été mes terres d’expérience et d’épreuves dans le domaine. J’ai tellement rêvé de voir mon pays grandir quand j’ai découvert ce complexe il y a trente ans … j’ai tellement rêvé de voir autant de 3S dans mon pays que trente ans après, c’est le cœur serré et avec beaucoup de tristesse que je viens constater avec vous que 3S n’a pas progressé, mais non seulement cela, le Bénin n’en a pas connu d’autres», déclare le président de la République. Il en a profité pour rappeler sa vision dans le domaine. Une vision qui voudrait, au regard de l’énorme potentiel agricole dont dispose le pays, que l’ensemble des Béninois puisse s’épanouir et s’enrichir. «On peut être un grand pays en choisissant d’être essentiellement agricole. Nous avons l’ambition de diversifier nos sources mais nous allons commencer par développer ce qui est notre potentiel évident… Si nous avons l’ambition d’œuvrer pour faire bouger notre pays, nous pouvons commencer par l’existant», insiste le chef de l’Etat. Pour ce qui concerne sa démarche en direction de la Sucobe, elle est inclusive.
Le président Patrice Talon dit ne pas dissocier les travailleurs des dirigeants qui constituent à ses yeux un seul et même ensemble. «Je sais qu’il faut protéger tout le monde et contribuer à faire grandir tout le monde», indique-t-il à ce propos. Toute chose qui sera traduite dans les actes à travers les échanges successifs qu’il a eus avec l’organe dirigeant de la Sucobe avant de s’entretenir exclusivement avec le personnel béninois. Une sorte de séance de vérité au cours de laquelle, le chef de l’Etat a exprimé ses attentes à ces derniers.
« Ensemble, tout le monde peut trouver son compte. Je voudrais prouver que nous pouvons renouer avec le rêve ancien et vous remercier pour avoir fait perdurer le rêve. Ce lieu aurait pu devenir un musée, mais vous avez au prix de beaucoup de sacrifices, tenus. Je vous adresse mes félicitations et mes reconnaissances. Je voudrais féliciter nos partenaires chinois qui ont eu le courage de prendre les choses en main et qui ont tout fait pour que la maison reste debout. Ma prière et ma volonté, c’est que dans les temps à venir, la vie soit meilleure», a confié le président de la République. Il est reparti des lieux après avoir plaidé pour plus de diplomatie dans les revendications et obtenu de l’ensemble du personnel de la Sucobe, un dégel et une trêve sociale de douze mois au cours de laquelle les difficultés posées trouveront des solutions. Sur place, quelques-unes des doléances des travailleurs ont trouvé des solutions à la grande satisfaction de Julien Attolou et de ses pairs ?
Josué F. MEHOUENOU