La musique béninoise, hormis les déviances éthiques et morales qu’elle présente est digne d’éloges. C’est ce que pense Florent Eustache Hessou, journaliste et acteur culturel. Selon lui, les musiciens béninois contribuent énormément à la paix sociale et à la sauvegarde de la démocratie et à des élections apaisées. Il faut donc, à l’occasion de la fête de la musique célébrée chaque 21 juin réfléchir à la promotion des rythmes locaux.
La Nation : Fête de la musique, est-ce une journée nécessaire ?
Florent Eustache Hessou: Cette journée est plus que nécessaire. De toutes les façons, ce ne sont pas les Béninois qui l’ont décidée. C’est une histoire qui remonte à la France, pays colonisateur. C’est Jack Lang, ancien ministre français de la Culture qui a initié cette fête au profit de la musique. Ça correspond un peu au début de l’été et les gens ont, après l’hiver, envie de fêter. Alors on met la musique pour le démarrage des vacances. Cette journée montre que la colonisation est toujours là. Et nous aussi, on n’a jamais pris d’initiative si sérieuse et si dense par rapport à la culture. Donc, le Bénin n’a pas le choix car c’est une initiative française devenue une affaire mondiale et le Bénin est forcément embarquée puisque faisant partie du concert des nations.
Une initiative française. Est-ce à dire que le Bénin n’en a pas besoin ? Ou cela s’impose-t-il aux Béninois?
Oui ça s’est imposé à nous. Lorsque vous regardez dans la nomenclature des dates, la prise de décisions relatives à la culture, le Bénin, de façon souveraine n’a jamais rien pu faire de durable, de pérenne. On a initié difficilement la fête du vodoun. Cette même fête est combattue par des Béninois qui ne sont pas d’obédience traditionnelle et qui l’appréhendent comme une peste. La preuve, il y a des Béninois qui balaient les endroits où on a célébré la fête du vodoun et pourtant des Américains viennent. Djimon Oussou est venu au Bénin pour réaliser un documentaire sur le vodoun. Nous ne nous aimons pas. Quelle date nous avons véritablement en culture ? On n’en a pas. Nous avons le Fitheb mais ce n’est pas une date, c’est un festival mais ça chancelle. La biennale des arts, ça chancelle aussi. Donc nous sommes obligés de nous arrimer à ce que les autres nous ont imposé comme journée mondiale de la désertification, de la danse, du patrimoine, du théâtre, etc. Et quand on dit, nous faisons de petit saupoudrage, il y a de problème et on se demande si le Bénin peut avoir finalement sa journée nationale de la danse ou sa journée nationale de la musique qui puisse véritablement tenir, fonctionner comme les journées mondiales que nous avons.
Est-ce à dire que le Bénin ne doit plus célébrer cette journée et initier la sienne?
Non, nous n’allons pas vivre en vase clos. Mais en fêtant la journée des autres est-ce qu’il n’est pas bon de réfléchir à ce qu’il faut pour soi-même de façon durable ? Nous n’avons aucune date que tout le monde respecte comme la fête de la musique.
Est-ce que les artistes musiciens béninois méritent quand même cette journée?
Bien sûr que oui. C’est une journée de joie puisque la musique adoucit les mœurs. Les musiciens béninois sont devenus si nombreux qu’aujourd’hui ils ont besoin de lieux de diffusion. Il y a tellement de productions, de créations mais il n’y a pas de lieux de diffusion. Il y a Africa sound city de Jah Baba qui a fait une programmation pour ce soir (hier, mardi 21 juin), il y a l’Institut français qui l’a fait aussi mais ce n’est pas suffisant. La musique devrait être dans la rue, à Dantokpa, dans les prisons, les espaces clos, la plage, etc. Si ce n’est pas les agences de publicité ou les Gsm nous-mêmes on ne fait rien. Or cette journée est pour les artistes, une occasion de diffuser leurs musiques dans un cadre un peu officiel.
Vous avez parlé de productions abondantes. Leur qualité augure-t-elle de beaux jours pour la musique béninoise ?
Le problème que nous avons aujourd’hui, c’est l’extraversion culturelle. Nous n’avons pas foi en nous-mêmes, nous ne faisons pas de recherche sur l’endogène. Toutes nos grandes stars végètent maintenant dans la musique ivoirienne, ghanéenne, nigériane, congolaise. C’est ça qui nous envahit et toutes les filles deviennent blanches, les garçons se dépigmentent. Personne n’a envie de faire comme nous. Et c’est dommage. Je suis d’accord qu’on puisse s’inspirer des autres mais nous en faisons de trop. Personne n’a envie de faire du Zinlin, tchinkounmè. Personne n’a envie de s’investir dans la modernisation de nos rythmes mais plutôt dans la répétition facile du rythme des autres. Ce qui fait qu’à l’international on ne va jamais loin parce que nous disparaissons face à l’originalité des autres que nous photocopions. Ceux qui percent sont ceux qui font de la musique d’inspiration traditionnelle : les frères Guèdèhouguè, Gangbé Brass Band. C’est à nous de faire la promotion de notre culture.
La proximité de nos rythmes avec le cultuel ne justifient-t-elle pas l’extraversion dans laquelle les jeunes cherchent à s’épanouir?
Pas du tout. Regarder Vi-Phint qui fait du Adja. Ce rythme à l’origine est le côté culturel du cultuel qu’est le Sakpata qui était un rythme sacré. Quand Vi-Phint a commencé, le Adja a pris avec les Mounia et beaucoup ont commencé par s’y intéresser. En fait on est complexé. Vovo Vilaup est allé en final de Kora. Gbessi a pris le Agbadja et a remporté le Kora. Tout ça est la preuve de notre mauvaise volonté. Et c’est parce qu’il est plus facile de copier les autres. Quand vous allez dans un studio, il suffit de dire je veux de la rumba, Yèmi Aladé et puis la programmation est là. Mais quand tu veux Adja, il te faut aller chercher des gens qui peuvent bien le jouer et ça te demande un travail de créativité alors que l’autre est trop facile à tricher et ne demande aucun talent. Il n’y a donc pas de contrainte. C’est de la paresse, le refus obstiné de réfléchir. Ce n’est pas bon pour nous. Bientôt l’univers sera numérisé.
A propos du numérique, que faire pour que la musique béninoise ne soit pas à la traine ?
Regardez les Alèkpéhanhou, Gbèzé, Gbétchéou, Gbessi. Ce sont de vrais philosophes de haut niveau. Mais ceux qui doivent les porter ne le font pas vraiment. Moi je suis en train de préparer des ouvrages sur Anice Pépé et Alèkpéhanhou afin d’amener les gens à s’intéresser à eux. Quand ils sortent des CD, c’est des milliers de CD vendus mais personne n’a jamais écrit sur eux hormis de petits reportages. Des gens ont commencé par consacrer des mémoires à Alèkpéhanhou mais pas encore à Anice Pépé. C’est ce que nous sommes en train de corriger. Tout le monde veut devenir star précipitamment. Il suffit d’avoir 30 000 Fcfa et de se rendre dans un studio pour tricher Yèmi Aladé et devenir du fait artiste.
Parlant du renforcement de la paix et de la démocratie au Bénin, la musique béninoise a-t-elle joué un rôle ?
La musique béninoise a joué quatre-vingt pour cent des rôles. Ce sont les artistes musiciens qui, à travers des clips, font un désarmement mental terrible. Quand les élections s’approchent aussi, la télévision et la radio sont pris d’assaut par les artistes. Ils vont au studio, composer des chansons de paix. Prenez par exemple Anna Teko qui convie à la paix tout le temps, idem de Neil Oliver, Vivi l’International, Stan Tohon. Face à une trentaine d’artistes qui, à longueur de journée clament « nous voulons la paix» quand est-ce que tu peux te lever pour dire « nous voulons la guerre»? Je crois que les artistes musiciens ont pris par tous les moyens pour donner la paix à ce pays et ils ont réussi. Donc leur rôle dans la paix est très important
Un conseil aux artistes...?
Les artistes béninois sont très mal organisés. Il faut qu’ils pensent à leurs vieux jours au moment de leur gloire musicale, pendant qu’ils ont de très bons contrats, qu’ils évitent le gaspillage¦
Propos recueillis par Sêmèvo B. AGBON (Stagiaire)