Au palais de la République lundi 27 juin 2016, les 35 membres de la Commission chargée des réformes constitutionnelles et institutionnelles ont remis officiellement leur rapport au commanditaire et chef de l’Etat, Patrice Talon, après près de 50 jours de travail. Seulement, dans ledit document, il convient de noter que le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Fifamè Joseph Djogbénou qui a présidé la Commission, a failli pour n’avoir pu trancher sur certains points cruciaux comme le mandat unique. Lui qui dans un passé récent, a mené un combat sur « Les 10 raisons pour ne pas réviser la Constitution » sous le régime défunt de Yayi Boni.
Entre 2012 (année d’exil de son client Patrice Talon, en France) et 2015 (année de son retour au bercail), nul n’ignore la lutte acharnée de Me Djogbénou contre le projet de révision de la Constitution enclenclé par Yayi Boni, alors président de la République. Avec sa plaquette sur « Les 10 raisons pour ne pas réviser la Constitution », l’avocat de l’ennemi de Yayi multipliait les sorties médiatiques pour faire échec au processus. Entre autres raisons évoquées sur les 10 contenues et soutenues dans sa plaquette :
Le contexte
Devoir de mémoire, l’actuel Garde des Sceaux avait souligné que « le contexte régional est loin d’encourager une révision dans un Etat africain quelconque de la loi fondamentale ». Mieux, il avait martelé : « Le contexte national n’est pas non plus propice à une telle entreprise ». Et pour étayer ses propos, Joseph Djogbénou, sur le contexte régional n’avait pu identifier « Aucun modèle de révision constitutionnelle ». Justement, parlons de contexte. Celui dans lequel gouverne aujourd’hui Patrice Talon a-t-il pu nous offrir un modèle où le « mandat unique » auquel tient absolument le chef de l’Etat, a été déjà expérimenté avec succès? Au regard du débat houleux suscité dans l’opinion par cette réforme et du désaccord observé au sein de la Commission, on est tenté de se demander pourquoi Me Djogbénou n’a pas anticipé en proposant au chantre de la Rupture et du Nouveau départ d’abandonner. C’est un sujet qui fâche et quand on sait la façon dont les retournements de veste se font à l’Assemblée nationale, il pourra provoquer une révulsion populaire en cas de son vote par les parlementaires. Et là, on tomberait dans les mêmes travers que ce que déplorait Me Djogbénou lorsqu’il peignait le contexte national sous Yayi Boni. « La révision de la loi qui unit est entreprise dans un contexte qui divise », avait dénoncé l’actuel président de la Commission en charge des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Une chose est sûre, actuellement sous Talon, les points de vue achoppent sur la question du mandat unique.
Au-delà du contexte qu’avait mis au-devant le professeur agrégé de droit, il avait également émis des réserves sur le texte à réviser par le gouvernement Yayi
Comme principal raison avancée ici, Me Joseph Djogbénou avait combattu le projet de révision de Yayi Boni sur sa « méthode d’exclusion ». En effet, pour le praticien du droit « La méthode ne manque pas d’intelligence : on a fait le choix des experts. Avec cette méthode, on peut tout se permettre : justifier l’absence de tendances politiques dont on ne partage pas les vues ; faire traduire par ces experts l’essentiel de ses objectifs et perspectives ; leur faire assurer, avec l’avantage de leur neutralité avérée ainsi que de la certitude de leur science, le service après vente. En fait, être si loin des travaux des experts en étant si proche… Etre si détaché tout en ayant la maîtrise politique. La méthode est en même temps perverse : elle exclut. D’abord les politiques, dont on recueille l’avis « quand il le faut ». Ensuite les citoyens, que l’on va consulter « comme il le faut ». Il est rarement arrivé dans une démocratie que l’on engage une réforme constitutionnelle en s’aliénant les intelligences de celles et ceux dont on ne partage pas les vues. Cette méthode de communication renforce le sentiment de perplexité et d’inquiétude sur les véritables enjeux de la révision projetée. En attendant le moment et le moyen de la transmission du projet, on a préféré assurer des débats amicaux en vue de rassurer l’opinion publique que rien de grave ne lui arrivera ». A la lecture de cette déclaration de l’actuel ministre du gouvernement de Patrice Talon, on peut comprendre aisément les motifs qui ont conduit à élargir la Commission Djogbénou à 35 membres même si malgré cela, certaines corporations ou couches sociales se sont senti exclues : souci de transparence et la recherche du consensus. On peut aussi comprendre pourquoi on a demandé à toute personne ayant des appréhensions sur certains points du processus, à passer devant la Commission pour la prise en compte de ses désidératas. Ce pas de plus est à mettre à l’actif de Patrice Talon. Mais le vrai problème, c’est au niveau du texte à envoyer au Parlement. Le chef de l’Etat pourrait se dire qu’en amont toutes les tendances socio politiques ont fait partie de la Commission qui a déposé son rapport. Or, le vrai débat, c’est au niveau du Parlement où certains pourraient ne pas se retrouver dans le document notamment sur certains de ses aspects. Surtout que ce sera fait exclusivement par l’Exécutif. Et quand Me Djogbénou parlait en 2012 de la consultation du peuple « comme il le faut », l’inquiétude demeure quand on sait ce que représente le poids de l’argent dans les consultations électorales. Patrice Talon aussi en sait quelque chose en tant qu’ancienne « télécommande de Paris » et pour l’avoir souligné dans son discours d’investiture le 6 avril 2016 à Porto-Novo. D’aucuns pourraient avoir donc raison d’émettre des doutes sur le texte à déposer avant la fin de l’année par le gouvernement Talon à l’Assemblée nationale. Encore que dans le cas d’espèce, ce sont pratiquement les mêmes experts qu’avaient dénoncés Me Djogbénou qui ont été sollicités pour produire le rapport. Mieux, tout le peuple béninois sait les affinités et donc « les débats amicaux » qu’il pourrait y avoir entre le chef de l’Etat, demandeur des réformes, et certains membres de la Commission, en premier, le professeur Djogbénou lui-même. Là où il pourrait avoir aussi des suspicions est que dans l’opinion il se susurre qu’il y a un hiatus entre certaines actions du gouvernement et les promesses du candidat Talon lors des campagnes électorales, du moins pour les trois mois de gestion. Ajouté à tout ceci, l’optimisme qu’affiche le président quant au « vote favorable des Béninois » vis-à-vis de ce projet.
Ce qui pourrait préoccuper aussi dans cette réforme constitutionnelle, c’est la question sur la nouvelle république ou non agitée sous l’ancien régime. Il est de bon ton que le Garde des Sceaux se mette dans le même rôle pour expliquer aux Béninois si l’adoption du texte qui sera envoyé devant la représentation nationale induit un basculement dans une nouvelle République ou non ? Autrement dit, le préambule sera-t-il maintenu intact sous la Rupture ?
Révision de la loi fondamentale oui, le peuple s’accorde. Mais il faudra bien peser le pour et le contre de certains aspects objet de polémiques. Cela contribuerait à une réforme durable. Au cas contraire, on conclurait comme Joseph Djogbénou qui, sur la dixième raison de la plaquette pour ne pas réviser la Constitution affirme : « Pandore vient à nous, avec sa belle boîte remplie de promesses révisionnistes. Accueillons-là, gardons-là, débattons-en. Mais sachons ne pas l’ouvrir. Donnons à Prométhée la joie de nous préférer et à Dieu, dans sa Bonté infinie, plus de raisons de nous protéger : Ne révisons pas notre Constitution ».
A. Jacques BOCO