Face à la désespérance qu’incarne désormais un système scolaire dévasté par deux réformes successives porteuses de fiasco à la queue leu leu, certains Béninois ne jurent plus que par le retour de la chicote à l’école pour arrêter la production de déchets à la chaîne. Comme ces concitoyens sont de bonne foi et que leur amour de la patrie et de l’enfance béninoise est irréprochable, on voudrait leur rappeler ici, sans colère, l’effrayante mise en garde du Christ : ‘‘Vois donc si la lumière qui est en toi n’est pas ténèbres !’’ (Luc, 14/35).
Car la chicote à l’école n’effacera pas le péché originel des hommes et des femmes sans vision, qui sont allés, bras ballants, de moins de deux millions d’habitants en 1960 à plus de dix millions en 2016, sans avoir prévu grand-chose pour les nouveaux arrivants. La chicote à l’école n’effacera pas le quadruple péché des ‘‘classes volantes’’, des classes sans enseignants, des enseignants mal formés et en nombre insuffisant, des quotas horaires rabougris pour faire semblant que le plein y est. La chicote à l’école n’effacera pas le grave péché d’éducation de nombreux enfants abandonnés par les pères, et qu’élèvent des mères seules, accablées de travail et de soucis, enfants paludéens et faméliques trop souvent.
Pour démontrer l’inanité de la chicote à l’école, on ajoutera qu’il y a une petite éternité que l’Allemagne, la France, la Suède, etc., ont retiré pour toujours la chicote de leurs écoles et que ce retrait n’a pas fait de leurs enfants des tarés et des demeurés, si l’on considère que les prix Nobel de ceci ou de cela sont récoltés par ces mêmes enfants devenus grands. A contrario : les Béninois qui ont aujourd’hui entre 70 et 80 ans ont connu la chicote à l’école, chicote manipulée sur eux par des maîtres rageurs et soucieux de bons résultats. Le seul résultat obtenu, ce sont des ‘‘doyens’’ répétiteurs de choses bien apprises, brillants pour certains, ternes pour la plupart ; ils n’ont rien apporté à la science universelle, et ils sont cause que ‘‘le Bénin est un désert de compétences’’, dixit le Président de la République.
Pour démontrer l’inanité de la chicote à l’école, il y a Aimé Césaire, qui se souvient : ‘‘Et ni l’instituteur dans sa classe, ni le prêtre au catéchisme ne pourront tirer un mot de ce négrillon somnolent, malgré leur manière si énergique à tous deux de tambouriner son crâne tondu…’’ Pour compléter Aimé Césaire, on ajoutera que, au Dahomey, en 1950 et plus tard, les châtiments corporels avaient cours aussi pendant la messe des enfants : on les giflait à tour de bras, on leur boxait le crâne, pour réveiller les endormis, appeler au silence les bavards, rendre attentifs les distraits. Or ces flashs sur l’enfer en pleine messe n’ont pas ouvert de grands boulevards pour la sanctification des Dahoméens/Béninois, si l’on excepte, bien entendu, Jean Pliya, rappelé á Dieu en odeur de sainteté, et Albert Tévoédjrê, entré en religion sous le nom de Frère Melchior. Mais ce n’est pas pour environ deux têtes béninoises auréolées par siècle qu’il faille ramener à la messe catéchistes et curés méchants pour ‘‘la plus grande gloire de Dieu’’. Aujourd’hui d’ailleurs, Dieu sortirait du tabernacle et tonnerait : ‘’Ne molestez personne…’’ (Luc, 3/14). Et c’est le sauve-qui-peut. Car, pas plus que leurs parents, les enfants ne peuvent voir Dieu sans effroi. Camarades bousculés et jetés à terre ; les plus forts leur passent dessus pour fuir la théophanie. Et c’est Satan qui murmure en buvant du petit lait : ‘‘Bravo, les enfants, faites plus fort encore !’’
Il faut abolir partout et pour toujours la maltraitance des enfants. La fuite en avant du retour de la chicote à l’école rendrait les enfants d’aujourd’hui hagards, comme sourds et muets. Eviter le syndrome de Gribouille : se jeter à la rivière pour se protéger de la pluie. Pour la résurrection du système scolaire béninois, il faut s’arcbouter, entendre Aimé Césaire, et demander au parti de la rupture et du nouveau départ d’avoir du courage et de l’audace.
(Par Roger Gbégnonvi)