L’année scolaire qui s’achève a des allures civilisées parce que les écoliers n’auront pas été tout le temps victimes du pugilat entre enseignants et gouvernement et auront donc connu des mois de travail à peu près sérieux, si l’on ferme les yeux sur les grandes insuffisances structurelles tellement intégrées à nos mœurs que très peu de gens y prêtent encore attention. Comme chaque fois, à cette période de l’année, un peu en amont de l’examen du CEPE, les ‘‘Première Communion’’ chez les catholiques ont apporté un air de fête en guise de cerise sur le gâteau à une année qui aura culminé dans la mention recevable ‘‘Pas mauvais, mais doit progresser encore beaucoup’’. Voilà pour la façade, en juillet 2016.
Derrière cette façade ponctuellement passable, il y a désormais l’habituelle grisaille des vacances scolaires, vacances-errance, pour dire vrai. En remontant soixante ans en arrière, au temps des parents et grands-parents d’aujourd’hui, on s’aperçoit que, au prorata d’une population d’à peine deux millions d’habitants, les enfants n’étaient pas légion et que les choses allaient de soi. Quand ils le voulaient, pendant leurs vacances, ils tapaient, la journée longue, dans de vrais ballons sur des espaces convenables. Dans les cours des écoles catholiques, des vicaires généreux les faisaient jouer, une fois par semaine, à des jeux instructifs. Certains goûtaient à l’enchantement du dépaysement parce qu’on les envoyait séjourner un laps de temps à 50 km environ plus loin, auprès de parents ou amis, hôtes accueillants parce qu’il n’était pas ruineux de l’être. Ils avaient de vrais livres de lecture dans lesquels ils relisaient les textes que les maîtres leur avaient fait aimer. Un mois avant la fin des vacances, tous les matins, à grand renfort de ‘‘problèmes’’ et de dictées, les ‘‘scientifiques’’ entraînaient les ‘‘littéraires’’, et vice versa. Les vacances avaient du sens.
Au lieu qu’aujourd’hui, l’ennui assiège enfants et petits-enfants dès les premiers jours de leurs vacances scolaires. Pour se désennuyer, on les voit martyriser des baudruches sous quelque vieux manguier, et ils sont obligés d’arrêter à l’approche de chaque passant, pour reprendre ensuite, et cela fait des matchs décousus. A la place des vrais livres, ils ont des assemblages de papiers mal agrafés et mal imprimés qu’ils n’ont pas envie de revoir. Les abbés n’ont plus le cœur à jouer avec les enfants. Du matin au soir et du soir au matin, ils vous saluent ‘‘bonsoir Pépé’’, comme si les horloges du pays, malgré le soleil rageur, marquaient 21 h 30. Parfois, certains sautent le pas et vous demandent l’aumône, et vous comprenez que la faim les burine, parce que Maman n’en peut plus d’être seule à les élever. Et vous savez, au vu de ce marasme, que l’âge d’or d’il y a soixante ans est décidément derrière et a fait place aujourd’hui à l’âge d’usure. Et place demain à l’âge de sécheresse ?
En tout cas, si les enfants et petits-enfants de l’an 2016 prenaient conscience qu’ils ont parents et grands-parents qui n’ont fait que les multiplier par l’infini au regard d’il y a soixante ans sans avoir fait grand-chose d’autre, il y a fort à parier qu’ils n’attendraient pas leur étalement au cimetière pour aller cracher sur leur tombe, mais qu’ils commenceraient à cracher tout de suite à leur passage, d’autant plus que ces ‘‘vieux’’ ont l’inconsciente raillerie de les appeler ‘‘avenir de la nation’’. Avenir, ce désastre étale ? Désastre chiffré en juillet 2016 à moins de 40% de succès au CEPE. Et l’on a dit : ‘‘C’est le vrai visage du pays’’.
Puissent donc parents et grands-parents prendre conscience les premiers. Conscience que, sur le dos de leurs enfants et petits-enfants, ils dansent sur un volcan et ne sauraient danser là indéfiniment. La question n’est plus de savoir si l’on peut encore sauver les enfants béninois, car le devoir est de les sauver. A moins d’avoir une pierre à la place du cœur, tout parent béninois est concerné par l’appel au secours qui émane du ‘‘vrai visage du pays’’.