(La Haute cour de justice toujours inopérante)
Aboubacar Yaya et Komi Koutché, respectivement ministre du Travail et de la fonction publique, et ministre de l’Economie et des finances sous le régime précédent, ont été cités dans le dernier conseil des ministres, au nombre des personnalités impliquées dans les fraudes ayant entaché les concours de recrutement d’agents de l’Etat, organisés au titre de l’année 2015.
Après présentation du rapport de la commission de vérification de la régularité des concours de recrutement d’agents de l’Etat, organisés au titre de l’année 2015 par la ministre du Travail, de la fonction publique et des affaires sociales, le conseil des ministres, en sa séance extraordinaire du 7 juillet dernier, a listé une dizaine de noms de personnalités, dont ceux d’Aboubacar Yaya et Komi Koutché, impliquées dans les 23 cas de fraude enregistrés dans l’organisation de ces concours. Et comme mesures prises pour sanctionner les auteurs ou co-auteurs de ces délits, le conseil a instruit le ministre du Travail aux fins de «… faire engager, le cas échéant, en liaison avec le ministre de la Justice et de la législation, des poursuites judiciaires à l’encontre des mis en cause… »
Une initiative perdue d’avance
Tout en saluant la démarche empreinte de fermeté du gouvernement, laquelle témoigne de sa détermination à lutter contre l’impunité, il sied toutefois de reconnaître que l’initiative de poursuivre éventuellement en justice les deux anciens ministres cités dans cette affaire est vouée à l’échec. Pour la simple raison qu’en tant que personnalités ayant occupé de hautes fonctions de l’Etat, Aboubacar Yaya et Komi Koutché ne peuvent être assignés devant une juridiction ordinaire, mais plutôt devant la Haute cour de justice.
Or, il est un secret de polichinelle que cette institution de la République, depuis sa création, n’est pas arrivée à trouver un seul client. Aucune personnalité, passible de délit avéré, n’a été traduite devant cette juridiction exclusivement destinée à juger cette catégorie de citoyens. Les cas d’Alain Adihou, de Soulé Mana Lawani, de François Noudégbessi et récemment de Barthélémy Kassa sont assez édifiants de l’hostilité farouche des députés et des politiques, en général, à engager une poursuite contre un des leurs, sans distinction d’appartenance politique. De ce point de vue, Aboubacar Yaya et Komi Koutché ne seront certainement pas les premiers ni les derniers à échapper à la Haute cour de justice.
La HCJ, amorphe
Face à cette barrière juridique qui réduit les marges de manœuvre en matière de lutte contre l’impunité, il urge de mener des réformes conséquentes. La commission des réformes institutionnelles et politiques, mise en place par le président Talon, s’est d’ailleurs penchée sur la question de la suppression ou non de la Haute cour de justice vue par nombre de Béninois comme une institution « budgétivore ». Ses propositions, formelles, tanguent entre deux extrêmes : la première, « plus radicale », vise la suppression de la Haute cour de justice et son remplacement par une « juridiction ad’ hoc attributaire de la compétence pour les infractions commises par le président de la République », les membres du gouvernement pouvant dès lors être poursuivis devant les juridictions de droit commun ; la seconde, « plus modérée », envisage le « maintien » de l’institution, assorti de « l’allègement des règles de procédure, de la modification de sa composition et de la redéfinition de ses attributions ».
En attendant, les présidents de la République et les membres des gouvernements, précédents comme nouveaux, peuvent toujours continuer à se la couler douce, sans craindre l’effectivité d’une quelconque poursuite judiciaire à leur encontre.
Prince AKOGOU