À peine Patrice Talon s’est-il assis dans le fauteuil de son « très cher ami » Boni Yayi, devenu son bourreau pour cause de PVI ou de révision de la constitution, que le temps s’en est allé. Une centaine de jours pour réaliser qu’il est vraiment à la place de celui qui l’a voué aux gémonies, pour épousseter le palais de la Marina, soulever et soupeser les dossiers brûlants que son prédécesseur lui a laissés en héritage.
Des mil huit cent vingt sept (1827) jours que compte le mandat unique qu’il s’est imposé, Patrice Athanase Guillaume Talon et son équipe viennent ainsi de consommer un bon petit paquet, insignifiant peut-être, mais très important, au regard des attentes et des espoirs suscités par le magnat du coton pendant la campagne présidentielle.
Le compétiteur né qu’il est devenu, par le fait d’un baptême dont il était à la fois le célébrant et le sujet, dit vouloir laisser des souvenirs ineffables dans la tête de ses compatriotes marqués par dix ans d’un régime qui aura beaucoup plus crié que réalisé, jacassé que dansé, déconstruit que construit.
Talon est requis de décontaminer la terre de Béhanzin, de Bio Guéra et de Kaba souillée, entre autres, par le folklore au sommet de l’État, des marches de soutien, des concours frauduleux et des morsures de fous du roi, exception faite cependant de certaines matières où Yayi et ses FCBE ont obtenu de bonnes notes. Mais plus que Talon ne le sait, la tâche des quatre ans et huit mois à venir pourrait bien se révéler plus herculéenne pour lui.
Le style Talon
En cent jours, les Béninois auront vu, entre lenteur et promptitude, un nouveau président atypique et froid, calculateur et réservé voire mystérieux dont la méthode de communication, à tort ou à raison, frise l’opacité, mais qui connaît tous les synonymes des mots ‘’courage’’ et ‘’rigueur’’ pour en être un bon adepte.
En effet, suspendre des décrets pris par son prédécesseur conférant des avantages à tourner la tête aux corps habillés, annuler des concours dont le principal artisan disait que les noms des lauréats étaient gravés dans le marbre, désigner les chefs lieux des départements, en clignant des yeux, au risque de se mettre à dos ses propres parents, n’est pas moins audacieux.
L’homme le plus riche du Bénin, selon un certain classement et à en croire certaines indiscrétions (à vérifier) devenu « compétiteur né » par un baptême politique, n’est pas des plus ordinaires ! Ses nom et prénoms Patrice Athanase Guillaume TALON sont marqués par une assonance en « a » : la première lettre de nombre d’alphabets. Cette lettre « a » est du reste présente dans toutes les composantes de son identité. D’aucuns en infèreraient qu’il est programmé pour être premier, peut-être ! Au surplus, sa gouvernance traduit bien sa personnalité de génie, de gagneur mais aussi de quelqu’un qui peut avoir un égo surdimensionné. Et c’est là le hic ; en cela qu’il peut être tenté de croire que ses idées, ses positions viennent du ciel et ne sauraient souffrir du moindre amendement ni de la part d’un ministre ni même de son ange gardien.
Sans pour autant prêter un tel défaut au président Patrice Talon, il sied cependant de tirer la sonnette d’alarme afin d’éviter que le malheureux virus de la dictature et des excès pique notre président. Faire en sorte que l’esprit de « compétiteur né » ne l’amène à imposer ses inspirations et ses idées, par tous les moyens, à l’instar du mandat unique, comme une prescription divine qu’on le soupçonne d’ailleurs de vouloir mettre de gré ou de force dans la constitution, conformément à son souhait.
Un tempérament déroutant
D’aucuns lui reprochent d’aller moins vite que la tortue ; pendant que d’autres comparent sa méthode de gouvernance au mode diésel avec un démarrage qui tutoie la nonchalance pour éviter, selon toute vraisemblance, le piège des yoyos et des rétropédalages connus dans un passé encore frais dans les esprits.
Plus de cent jours que la ‘’Télécommande’’ a pris les commandes et doit gérer un pays qui est passé tout près du chaos politique et social, un pays qui couve des tares que les nouveaux maîtres n’ont de cesse de sortir des décombres, suite au séisme causé par l’obsession d’un troisième mandat bien forcé par l’homme de Tchaourou. Le fétiche (Yayi) a failli se montrer plus fort que Talon qui l’a installé, tant il a de la ressource et s’est montré capable de nuisances, même si Talon a fini par le déboulonner au prix d’une lourde rançon. Il n’est que de voir tout le mal que l’actuel gouvernement se donne pour colmater les brèches et tenter de redresser des bois secs, du moins à en croire les proches du pouvoir : économie plombée par d’inimaginables dettes, tissu social dévasté, un système partisan aux abois avec des politiciens et des têtes couronnées qui n’ont d’odorat que pour l’argent. Et que dire de l’hérésie nommée nouveaux programmes d’étude ? Une véritable machine à fabriquer des robots et des perroquets, au mieux, et des tarés au pire ; de sorte que chaque enfant qu’on enseigne aujourd’hui est très loin d’être un homme qu’on gagne. Il s’ensuit que le président Talon a du pain sur la planche, car rien que l’idée de restaurer le système éducatif constitue, sans nul doute, un vaste champ de cactus où pavoisent des gens qui ont oublié que notre pays n’a guère eu besoin de ces programmes-là pour produire des cadres qui avaient valu au Dahomey d’être le Quartier latin de l’Afrique.
Des défis pour le pouvoir
Depuis plusieurs semaines, dans tous les coins de rues, les voleurs braquent et tuent impunément, sourire aux lèvres, parfois pendant que le soleil est au zénith. Devant policiers et gendarmes, les populations meurtries, à leur tour, plus que des barbares, passent des supposés voleurs par l’autodafé et se délectent des flammes que dégagent ces présumés voleurs en feu ; certaines vérités cruelles se ressassent sous cap et pourraient ne jamais se faire savoir, parce qu’on dit avoir peur de Talon.
Entre le désert et la mer de compétences, beaucoup d’eau aura coulé sous le pont de la rupture dont certains piliers, il faut le dire, tiennent à peine et méritent d’être consolidés ou tout simplement remplacés : celui de la sécurité en l’occurrence.
Mais il est une évidence que Talon peut redresser la barre s’il le veut. La mécanique ne nous enseigne-t-elle pas que ce qui fait la force et l’assurance des diésels, c’est leur lenteur au démarrage ! À moins que quelque chose vienne à gripper leurs moteurs, plus ils avancent, plus ils bravent la route. Pour Talon et son régime, il s’agit : d’éventuelles forces d’inertie tapies dans les rangs du nouveau départ et des crocs en jambes déjà signalés entre ministres du gouvernement de la rupture ; des tentatives de retour aux affaires de son prédécesseur qui continuerait de tirer les ficelles et rêverait toujours de son troisième mandat.
Aussi vrai donc que la rupture est en mode diésel, de même il est vrai que TALON devrait réussir, puisqu’a priori qui va piano va siano, à moins que comparaison ne soit pas raison. C’est ce que je crois.
Luc Fernand KPELLY,
Directeur des ÉTUDES de l’Institut Supérieur des Sciences de
l’Information et de la Communication (ISSIC)