La décision Dcc 16-091 du 7 juillet 2016 rendue par la Cour constitution-nelle fait des vagues. Les agrégés des Facultés de droit Ibrahim Salami et Dandi Gnamou sont unanimes sur la question. Le gouvernement doit exécuter la décision de la Cour pour que l’ancien directeur général de l’Ortb, Stéphane Todomè, reprenne service avec dédommagement.
Ibrahim Salami : « Todomè doit reprendre service et le rappel de ses droits versés »
Dans sa décision Dcc 16-091 du 7 juillet 2016, la Cour constitutionnelle du Bénin a rendu justice à Stéphane Todomè. Nommé Directeur général de l’Office de radiodiffusion et télévision du Bénin (Ortb) par décret en conseil des ministres le 10 décembre 2012 pour un mandat de 04 ans, devant arriver à terme le 10 décembre 2016.
L’intérim du Dg de l’Ortb, Stéphane Todomè, était-il ouvert ?
Suite à l’élection du Président Patrice Talon, le Ministre de l’Economie numérique et de la Communication a procédé à la nomination de Georges Amlon en qualité de Dg de l’Ortb par intérim en remplacement de Monsieur Todomè.
S’agit-il véritablement d’un intérim ou d’une révocation déguisée ? La question m’avait été posée par l’un des meilleurs journalistes de sa génération, Expédit B. Ologou ; et je lui expliquais la différence à l’occasion d’une interview retranscrite sur le site de l’Ortb, la différence entre l’intérim et la suppléance. Le suppléant est la personne appelée à remplacer le titulaire d’une fonction en cas d’absence ou d’empêchement de celui-ci alors que l’intérimaire est la personne provisoirement chargée de remplacer le titulaire soit pendant son absence, soit entre la cessation de ses fonctions et la prise des fonctions de son successeur.
Un exemple parfait de l’intérimaire est le ministre d’Etat Abdoulaye Bio Tchané assurant les fonctions de chef de gouvernement en l’absence du chef de l’Etat.
En ce qui concerne Monsieur Todomè, il n’était ni absent, ni incapable d’assumer sa fonction, ni démissionnaire. Il n’avait pas non plus fait valoir ses droits à la retraite. On ne saurait donc parler, en ce qui le concerne, d’intérim.
Une jurisprudence confirmée : la hiérarchie et le parallélisme des normes.
Pour apprécier la conformité à la Constitution de l’arrêté ministériel nom-mant Monsieur Georges Amlon et mettant fin prématurément aux fonctions de Monsieur Stéphane Todomè, la Cour constitutionnelle s’est simplement référé à l’article 6, 2ème tiret de la Loi organique du 21 août 1992 relative à la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) qui prévoit que les directeurs des organes de presse publique sont nommés par décret en Conseil des ministres sur proposition de la Haac pour un mandat de 04 ans. Le même texte ajoute que sauf faute grave matériellement établie, son main-tien en fonction ne peut être inférieur à 04 ans. Inutile de rappeler ici dans le droit positif béninois, les lois organiques font partie du bloc de constitutionnalité en ce qu’elles mettent en œuvre des dispositions constitutionnelles.
Conformément à sa décision Dcc 14-151 du 19 août 2014, la Cour constitutionnelle avait déjà jugé que la loi organique sur la Haac ne prévoit aucune procédure de révocation et que dans ces conditions, à défaut de dispositions expresses déterminant l’autorité compétente pour mettre fin aux fonctions de directeur, au demeurant un emploi supérieur, ce pouvoir appartient à l’auto-rité investie du pouvoir de nomination.
Il n’en faut pas plus à la Cour constitutionnelle pour déclarer l’arrêté ministériel litigieux contraire à la Constitution.
Il faut retenir que le Dg est indéboulonnable pendant 04 ans sauf si l’on arrive à établir matériellement c’est à dire preuve évidente à l’appui, qu’il a commis une faute grave. La notion de faute grave renvoie à la faute lourde, celle que même un novice ne devrait pas commettre, encore moins un homme de l’art.
Le technicien du droit ne manquera de marteler que la hiérarchie et le parallélisme des normes interdit qu’une décision prise par décret soit remise en cause par un arrêté dans les conditions non prévues expressément par un texte.
Mais ici, il ne suffira pas de respecter la hiérarchie des normes. Même un décret en conseil des ministres qui relèverait un directeur d’organe de presse publique de ses fonctions dans les mêmes conditions sera déclaré contraire à la Constitution.
Dans un pays civilisé en droit comme le Bénin, on ne devrait prendre un gouvernement à défaut sur ces fondamentaux.
Annulation oui et après ? Il faut exécuter la décision de la Cour.
Le gouvernement du Nouveau départ va-t-il exécuter cette décision ?
La question ne devrait pas se poser dans un Etat de droit. Elle devrait moins se poser dans une République que le nouveau chef d’Etat souhaite non bananière. Dans ces conditions, on peut dire que le poste de Monsieur Stéphane Todomè n’est pas vacant. Le processus de désignation d’un nouveau Dg de l’Ortb doit être suspendu.
L’arrêté querellé n’a pas besoin d’être rapporté. Il est censé n’avoir jamais existé. Sur la foi de la seule décision de la Cour constitutionnelle, Monsieur Stéphane Todomè doit reprendre service et le rappel de ses droits versés.
Leçon à tirer
J’ai l’habitude d’apprendre à mes étudiants à distinguer le discours politique du discours juridique, même si le droit constitutionnel est le droit par excellence de la politique. Ehouzou, renouveau, changement, refondation, émergence, nouveau départ, rupture etc ne sont que des slogans porteurs ou non d’un discours politique et/ou d’une idéologie politique.
Quel que soit le discours et les incantations politiques, le droit, l’administration et l’Etat maintiennent une certaine continuité, ce qui est gage d’une stabilité juridique sans laquelle il n’y a pas Etat de droit.
Or, l’Etat de droit c’est un Etat qui obéit au droit et assure le respect des droits de la personne humaine.
Les hommes politiques agissent ou réagissent en fonction des choix politiques qui les engagent ; les juristes ne devraient raisonner qu’en droit. A chacun son office.
En définitive, la Cour constitutionnelle, à travers l’une de ses premières décisions depuis l’élection de Monsieur Patrice Talon, rappelle qu’il faudra compter avec elle dans la mise en œuvre du programme politique du Président Talon.
Y aura t-il nouveau départ ou rupture au sens administratif et/ou constitutionnel ? L’avenir proche nous le dira.
Ibrahim Salami
Agrégé des Facultés de droit
Avocat au Barreau du Bénin.
Dandi Gnamou : « Le gouvernement doit exécuter la décision »
Océan Fm : La Cour constitutionnelle a rendu une décision en faveur de l’ancien Dg Ortb, Stéphane Todomè remplacé par le ministre de la Communication. Quelle devrait-être la posture gouvernementale après cette décision ?
Dandi Gnamou : Le gouvernement doit exécuter la décision de la Cour constitutionnelle puisque, comme vous le savez, l’article 124 de notre Constitution prévoit que les décisions de la Cour constitutionnelle sont insusceptibles de recours et qu’elles s’imposent au pouvoir public. Le président de la République, au titre de l’article 41 de notre Constitution, est le garant du respect de la Constitution. Tout citoyen béninois, au regard de l’article 34 de cette même Constitution, a le devoir de respecter la Constitution. Or, la Cour constitutionnelle qui est la gardienne de la Constitution nous dit que cet arrêté est contraire à la Loi fondamentale. Donc, il n’y a pas d’autres dispositions au plan juridique, pour un Etat de droit qui respecte les droits et libertés fondamentales, d’appliquer la décision de la Cour constitutionnelle. Sinon ça serait un comportement contraire à la Constitution. Or, le chef de l’Etat doit assurer le respect de cette Constitution au même titre que tout citoyen béninois.
La Cour ne dispose-t-elle pas de moyens coercitifs pour amener au respect de sa décision ?
Non. La Cour n’a pas de moyens de coercition. Ce sont les pouvoirs publics qui doivent exécuter cette décision en fonction de leur place, parce qu’ils sont appelés à faire respecter cette décision de justice en assurant l’exécution. La Cour constitutionnelle n’a pas de gendarme qu’elle actionne pour aller faire exécuter ses décisions. Mais au nom de la Constitution, il est clair que juridiquement, le gouvernement n’a pas d’autres choix que de respecter la Constitution, puisque la nomination a été déclarée contraire à la Constitution.
D’aucuns disent que c’est la Cour suprême qui pourra trancher et que la décision ne peut pas rendre service à l’intéressé. Qu’en pensez-vous ?
C’est une lecture biaisée de la Constitution. La Constitution est claire. Le seul fait de déclarer la nomination contraire à la Constitution veut dire que tout citoyen et au premier chef le président de la République, garant du respect de la Constitution, doit prendre toutes les mesures pour que cette décision soit respectée. Sinon, nous ne sommes plus dans un Etat de droit. On n’a même pas besoin de tourner autour du pot pour savoir si c’est la Cour suprême ou pas. La question est simple. La Cour constitutionnelle est garante de la Constitution. Elle a pris une décision qui déclare expressément la nomination contraire à la Constitution. A partir de ce moment, il n’y a pas d’autres voies que de s’assurer qu’il n’y a pas de contrariété avec la Constitution. Ce débat sur la Cour suprême est stérile et on rentre comme cela dans un domaine administratif pour dire que c’est un acte administratif et qu’il faut aller devant le juge administratif. La Cour constitutionnelle a les compétences pour statuer sur les actes réglementaires qui posent problèmes au regard des droits et libertés fondamentales. Et c’est ce qu’elle a fait en relevant non seulement le parallélisme des formes, mais aussi le fait que l’on n’ait pas établi matériellement une faute au regard des actions de M. Todomè. Si on avait établi matériellement une faute grave, alors on pourrait dans ce cas-là, sur décision prise par le président de la République, suspendre Todomè de ses fonctions. Ce qui n’est pas le cas.
Et s’il n’était pas rétabli dans ses fonctions, quelles sont les voies de recours dont il dispose ?
Devant toutes les juridictions, il a le droit de demander la réparation des dommages intérêts. Il y a deux postures : juridique et politique. La posture politique peut être de dire attendons que le mandat de Todomè s’achève, mais nous ne voulons pas qu’il revienne. Mais le résultat, de toute façon, est qu’il faille payer et indemniser Todomè parce que son mandat est de 4 ans. Mais de toute façon, cette posture va contre la Constitution parce qu’au plus haut sommet de l’Etat, on n’aurait pas respecté la Constitution.
Propos recueillis par Rachida Houssou