(Entretien exclusif avec Me Sadikou Ayo Alao)
Les réformes institutionnelles et politiques que le gouvernement de la Rupture a engagées sont diversement appréciées par les cadres. Dans un entretien exclusif, Me Sadikou Ayo Alao, juriste de formation et avocat à la Cour, remet en cause le travail élaboré qui, selon lui, n’a pas respecté la forme et le fond. Le président de Gerddes- Afrique a, par la même occasion, donné son point de vue sur les cent jours de l’actuel chef de l’Etat.
Nouvelle Expression : Dans le souci de consolider la démocratie béninoise, le gouvernement a mis en place une commission qui vient de déposer son rapport sur les reformes institutionnelles et politiques. Dites-nous comment vous appréciez cette initiative, d’abord au niveau de la démarche ?
Me Sadikou Ayo Alao : Tout le monde avait souhaité une révision de la Constitution. Mais, il faut d’abord se demander de quelle réforme nous avons besoin. Et comment y procéder ? Nous avions fait des publications à travers l’édition d’un ouvrage sur les réformes institutionnelles souhaitées.
Beaucoup de gens, pas seulement les intellectuels ou les cadres qui réfléchissent au devenir du pays, ont souhaité voir les institutions évoluer. Et l’idéal, en ce qui me concerne, c’est de faire en sorte que ceux qui ont des propositions, d’abord au niveau de la société civile au sens large, se retrouvent et mettent de l’ordre dans leurs idées, pour que l’autorité chargée de diriger en prenne acte et mette sur pied une commission technique chargée de mettre en forme technique, l’ensemble de ces idées.
Ici, c’est d’abord des idées qui viennent du numéro 1 de l’exécutif, qui a mis en place une commission ; laquelle a examiné et a essayé de mettre des compétences ensemble pour faire une proposition de loi. D’aucuns pensent que la grande majorité n’a pas eu à apporter sa contribution ; même si le ministre de la Justice argue que la commission a reçu plusieurs contributions d’individus. Cette procédure n’est pas la pratique habituelle.
Il fallait rassembler tout ce monde et toutes ces propositions pour que maintenant une commission technique procède au décryptage et les mette sous la forme technique, et non l’inverse.
Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire au niveau méthodologique ?
Le Bénin a besoin de réformes fondamentales, non seulement au niveau du législatif mais aussi au niveau de l’exécutif et au niveau même de la consigne de ce qu’est la Constitution. Les gens ne pensent pas, ils se disent que tout va bien avec la Constitution de 1990 qui, en fait, est classique. Est-ce que cette Constitution-là ressemble aux Béninois ?
Des propositions ont été faites certes, mais on ne demande pas que simplement le Président de la Cour suprême soit nommé par ses pairs. Combien de Béninois sont concernés par ladite proposition ? On parle de choses fondamentales et ceux qui peuvent avoir le courage de faire des propositions sérieuses ne sont pas associés. On a préféré les écarter pour des raisons inavouées. L’essentiel ici est de pouvoir faire un travail susceptible d’être accepté par le Parlement. Et si en son temps on voulait aller à un référendum, que ces propositions puissent passer comme lettre à la poste.
Est-ce que le cahier de charges dit qu’il faut faire une relecture de la Constitution pour donner des avis sur un certain nombre de questions que le Président de la République leur a soumises?
Ce n’est pas la première fois qu’on fait des réformes. Quand l’exécutif veut changer une disposition de la Constitution, il peut procéder comme ainsi. Mais notre Constitution ne peut être traitée ainsi, eu égard au montant qu’elle a coûté au contribuable. Avec un tel montant, on aurait pu faire une large consultation, un travail technique, qui aurait donné une grande satisfaction.
Des pays frères, comme la Côte d’Ivoire et autres, se sont aussi engagés dans la voie des réformes. Ils ont, quant à eux, pris soin de s’assurer qu’il y ait d’abord une large consultation, avant de procéder à une réforme véritable.
Maintenant, si on veut faire du colmatage en revoyant certaines institutions de la République, je vous dis que cela ne changera rien. Dans deux ans, on parlera toujours de réformes de nos institutions. Dans un pays où les parlementaires ne rendent pas compte aux populations et votent en fonction de leurs exigences et de ce qu’ils reçoivent, dans un pays où on ne connaît pas la définition exacte de ce que sont les pouvoirs du Président de la République, comment peut-on réduire ou limiter les pouvoirs d’un président ?
Au Bénin, nous voulons tout calquer sur notre patrie mère. La Constitution française est élaborée pour un pays qui a atteint un niveau de développement certain, et nous ne pouvons pas copier cette Constitution sans regarder notre peuple.
Il existe d’autres Constitutions à côté. Allez-y lire un peu la Constitution du Ghana, et c’est là où vous comprendrez encore plus. Au Ghana, le président est certainement puissant, mais ses pouvoirs sont limités par la nécessité de développement. Et tous les acteurs, les sages, les pouvoirs traditionnels interviennent pour éviter au président d’aller vers une aventure. Mais ici, c’est un boulevard, et moi je dis que ça demande un certain courage. Pour pouvoir renverser ces tendances, il faut que les gens soient courageux et que le peuple à la base soit convaincu de la nécessité de faire ces réformes. C’est le peuple qui est à l’origine de la Constitution. Lorsqu’on veut faire de petites retouches, c’est normal que l’exécutif agisse, comme vous venez de le dire. Mais lorsque certains disent qu’en fait les problèmes sont suffisamment graves pour aller à une réforme fondamentale, il faut tout faire pour associer la majorité au travail préliminaire.
Quel est votre avis sur le mandat unique ?
Vous savez, il faut savoir rendre à César ce qui est à César. En ce qui concerne l’idée de mandat unique, nous avons tous pensé aux problèmes de la Constitution. Mais nous au Gerddes, nous n’avons pas pensé à cette idée de mandat unique de 7ans. Donc, nous devons reconnaître que parmi toutes les propositions, l’idée reste originale. Et comme toutes les idées, elle a ses faiblesses et ses forces. Encore que les faiblesses l’emportent sur les forces lorsqu’on n’a pas pu obtenir le mandat de 7ans. Ça devient beaucoup plus faible parce que si le mandat était de 7ans, on peut dire qu’il est assez long pour permettre un travail en profondeur. Mais lorsqu’on s’arrête à 5ans, ça devient totalement inopportun. On avait plus l’opportunité encore que ça viole la disposition de la jurisprudence constitutionnelle.
Avec toutes ces réformes-là, ne voyez-vous pas un affaiblissement du pouvoir exécutif, des prérogatives du président de la République, en faveur du pouvoir judiciaire ?
Je crois qu’on a parlé du Nouveau départ et on dit toujours tout nouveau tout beau. Je crois que l’exécutif actuel n’a pas une expérience du pouvoir, il n’a pas une expérience de la politique. L’exécutif actuel a plutôt une expérience des affaires.
Il y a quand même des membres du gouvernement qui ne sont pas des novices ?
Non ! Vous savez, la plupart des postes clés sont, soit des amis, soit des gens qui sont en affaire avec le président. Tout le monde le sait. Les gens de ses anciennes sociétés que vous connaissez bien. Donc, à partir de ce moment, je ne suis pas très certain qu’il y ait affaiblissement du pouvoir exécutif parce que les vrais problèmes du pouvoir exécutif ne sont pas abordés. Regardez la Constitution du Ghana, on vous dit que les membres du gouvernement, par exemple, ne peuvent pas dépasser douze. Si l’exécutif veut avoir plus de douze ministères, il est obligé d’aller défendre cela devant le Parlement . Dans notre petit pays, le Bénin, on est allé jusqu’à 32 ministères et on en vient maintenant à 21.
Chacun fait comme il veut, comme il entend, c’est-à dire que les pouvoirs de l’exécutif ne sont pas limités. Mais ce que vous appelez pouvoir de l’exécutif limité du fait que le président ne siège plus au Conseil supérieur de la magistrature, le président de la Cour suprême est élu par ses pairs, le président de la HAAC est élu par ses pairs, pour ma part, ce sont des « réformettes » parce que depuis longtemps, le président de la République ne siégeait pas au Conseil supérieur de la magistrature. Mais ce dont le Nouveau départ doit se méfier et qui risque de le rattraper, c’est le gouvernement des juges. Il est en train de prendre des risques parce que dans un pays pauvre, dans un pays où la gouvernance n’est pas maîtrisée, et quand je dis gouvernance, vous comprenez de quoi je parle, faire de la république des juges ne peut que conduire vers des périls difficiles à maîtriser. Si ce sont les magistrats qui doivent tout diriger, et même tout ce qui les concerne, le lendemain on risque de voir certaines personnes déchanter. Il faut que l’exécutif, sans diriger le pouvoir judiciaire, ait son mot à dire pour éviter des excès dans un pays que nous connaissons, et que l’exécutif se tienne à sa place, que le judiciaire se tienne à sa place, que le judiciaire comprenne à sa place que l’exécutif a son mot à dire pour éviter les déboires. S’il y a des déboires, si les juges se jugent entre eux, où irons-nous dans un pays pauvre ?
Le mandat unique de 9 ans des sages de la Cour constitutionnelle, renouvelable par tiers, qu’en pensez-vous ?
Cela peut être bénéfique. Tout ce qui peut empêcher les déboires, grâce à un mandat long, prolongé et pas contrôlé, doit être salué. L’essentiel est ailleurs. Il est souvent délaissé au profit de petits intérêts. Cela prouve que les gens n’ont pas compris le rôle de la Constitution dans le processus de développement. Et quand on aborde la politique sans comprendre fondamentalement que la Constitution est un facteur de développement et non pour distribuer des postes politiques, on n’a rien compris au développement et à la politique.
Me Alao, le gouvernement du Nouveau départ vient de boucler ses cent jours à la tête du pays. Au regard des nombreuses décisions et initiatives prises jusqu’à ce jour, quelle appréciation portez-vous sur le fonctionnement de l’équipe gouvernementale ?
Au contraire de ce qui a été dit pendant la campagne, le gouvernement du Nouveau départ étale au grand jour son impréparation à gouverner. On peut qualifier ce gouvernement de « gouvernement akodjokplé » où tout le monde se met ensemble pour gérer sans pour autant avoir le même projet de société à l’origine, ou un plan pour gouverner ensemble.
Le président Talon, lui, en tant qu’homme d’affaires, sait où il va. C’est vrai qu’il a impulsé dès le départ tous les domaines qui l’intéressent. Il serait allé plus lentement, il aurait été plus crédible et aurait atteint les mêmes objectifs. Le fait de se précipiter pour organiser un certain nombre de choses l’a énormément décrédibilisé. Il aurait pu mieux faire. Il faut avoir le courage de le lui dire. Si des injustices ont été commises, elles peuvent être rétablies sans aucune précipitation. On n’a pas besoin de confondre vitesse et précipitation dans ce domaine.
Quant aux autres incohérences, elles viennent du fait que l’équipe n’était pas préparée. Elle n’avait pas un plan, ni un programme commun à mettre en œuvre. C’est ce qui a fait assister à des décisions que l’on remet en cause le lendemain, ou deux ou trois jours après. Ce n’est pas la première fois que l’on est confronté à un tel comportement au Bénin ou dans le monde. Il y a eu beaucoup de pays où les gouvernements se sont installés sans avoir une politique au préalable, et ils ont été obligés d’agir dans l’urgence pour éviter de trop se tromper.
Que proposez-vous alors ?
Le président Kérékou, quand il a fait son retour, a eu les mêmes difficultés. En son temps, on m’a fait appel pour apporter mon expertise. A l’époque, je lui ai proposé de composer un second gouvernement avec lequel il aura à travailler en sourdine, loin du regard du peuple. Ce gouvernement aura donc pour charge d’étudier tous les dossiers. Et toutes les fois qu’un problème pourrait se poser, ledit gouvernement, qui se réunit de jour comme de nuit, à l’opposé du gouvernement officiel, aura à peser le pour et le contre avant de prendre une bonne décision. Ceci, dans la dynamique de réduire au maximum les risques d’erreur.
Donc, c’est ce que vous conseillez au président Talon ?
Absolument ! Ce sont des gens d’expérience que personne ne voit, mais qui proposent au président une note, une fiche, sur telle ou telle mesure. C’est absolument nécessaire pour réduire les risques, parce qu’au fond, c’est une question de crédibilité.
Donc, vous rejoignez les Béninois qui pensent qu’on a affaire à un gouvernement ‘’ventilateur’’ comme le dirait l’autre. Ou, s’agit-il simplement d’un problème d’impréparation ou d’absence de cohérence ?
Ceux qui décident et font passer les mesures ne sont pas les plus expérimentés. Ceux qui en sont capables sont parfois dans le gouvernement, mais ne sont pas associés. Mais pour éviter peut-être d’être marginalisés ou critiqués, ils gardent le silence.
En ce qui me concerne, je n’ai aucune obligation de conserver une quelconque langue de bois. Je ne suis pas membre du gouvernement, je n’ai aucune ambition d’y être. Mais si je peux dire quelque chose d’utile au devenir du pays, et qui améliore le quotidien de la majorité de nos populations, quels que soient les risques, je ne me tairai point.
Au-delà de ces rétropédalages que nous observons, ou les erreurs que vous observez, qu’est-ce qui vous a marqué positivement pendant ces cent jours de gouvernance ?
J’ai été l’un des premiers à twitter pour applaudir la réduction des barrages sur les routes. Ce qui a permis la fluidité de la circulation. Pour ma part, je veux simplement me rendre utile et apporter ma contribution pour réduire la marge d’erreur, et faire en sorte que le peuple profite au maximum de la nouvelle gouvernance.
Au niveau économique, est-ce que les décisions vous paraissent répondre aux attentes des populations ?
Nous sommes dans un contexte qui n’est pas bon économiquement. Ce n’est pas la faute au gouvernement en place. C’est un contexte international, un environnement immédiat un peu difficile. Mais le gouvernement gagnerait beaucoup à bien connaître et à bien comprendre ce qui se passe au Nigéria. Nos gouvernements n’ont souvent pas fait l’effort d’avoir des spécialistes qui connaissent la réalité du Nigéria.
A ce jour, aucune structure n’a jamais été installée pour la cause. Ce que je n’ai cessé de critiquer. Il faut avoir une stratégie économique qui intègre les réalités du Nigéria à nos réalités. C’est le seul moyen pour nos peuples de se libérer de l’économie de traite que nous vivons depuis nos indépendances. Nous avons la chance d’être à côté du Nigéria. Il est en pleine réforme économique en dépit de la baisse du prix du pétrole, et de la non-convertibilité du Naira sur le marché officiel.
Avec l’industrialisation qui est en cours au Nigéria, si le Bénin ne se rapproche pas pour bien comprendre et s’intégrer pour être subsidiaire à cette économie, on sera toujours en train d’importer avec les devises qu’on gagne difficilement, pour essayer d’aller vendre sur un marché qui devient de plus en plus hypothétique parce que les Nigérians sont en train de résoudre leurs problèmes. Le Bénin continue d’être dans cette économie classique d’importation pour vendre, au lieu de trouver la formule pour s’intégrer et produire afin de vendre sur ce marché-là.
Depuis son arrivée au pouvoir, le président actuel n’est pas encore allé officiellement au Nigéria. Qu’est-ce que vous en pensez ? C’est déjà un risque qu’il prend ?
A mon humble avis, c’est une ignorance. L’actuel chef d’Etat n’y est pas encore allé parce que le Nigéria est le centre par excellence où il a toujours développé ses affaires. Nous devons, avec un langage fort, lui faire comprendre qu’il doit corriger cette ignorance. Ceux qui l’entourent n’en savent rien. Les jeunes gens qui entourent le chef de l’Etat ne savent rien du Nigéria. Je suis prêt à faire profiter mon expertise à mon cher pays. Je connais si bien notre géant voisin, depuis près d’une soixantaine d’années. Mais là où les gens tirent leurs intérêts, ce sont des marchés publics béninois qui sont tournés vers l’Occident et non vers l’Afrique. Si le président était bien informé de ce qu’il peut tirer du Nigéria, il serait le premier à aller en discuter.
En cent jours, nous avons constaté la gouvernance dans la discrétion. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Je sais que les journalistes se plaignent beaucoup de ça, moi aussi je m’en plains un peu. Parce que tout ce qui se dessine n’est pas rendu public. Ce ne serait pas très bon pour la gouvernance, parce qu’il y a de nouvelles autorités qui sont nommées. C’est une réalité désormais que le Nouveau départ n’entend pas révéler son secret à savoir le recrutement des gens de l’ancienne entreprise au pouvoir dans les secteurs. Mais ça finit toujours par se savoir, cette discrétion. Si c’est quelqu’un qui a l’habitude de piller qu’on a nommé, qu’on laisse le peuple dire que celui-là est dangereux. Ça donne l’occasion de corriger. C’est comme les concours qui ont été annulés. Il y en a qui sont pour et d’autres qui sont contre. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on doit faire une enquête objective pour séparer le bon grain de l’ivraie. Personne ne peut cautionner la corruption ou l’achat de postes à travers un concours. Parce que ça voudra dire que nous qui aidons nos frères à aller à l’école avec nos maigres économies n’aurons d’autres solutions pour leur trouver un poste que de le leur acheter.
Entretien réalisé par Tony LOHOU et Prince AKOGOU