Le Nigeria et le Bénin entretiennent historiquement d’étroites relations socio- économiques pour des motifs géographiques et culturels. Les deux pays partagent en effet une frontière de 704 km à travers laquelle s’exerce un important commerce semi informel avec un fort impact sur le budget du Bénin, essentiellement douanier et fiscal. Il s’agit du commerce de réexportation du Bénin vers le Nigeria de divers produits- notamment alimentaires, textiles et véhicules d’occasion - la demande sur les marchés béninois étant fortement tributaire du pouvoir d’achat des clients nigérians et donc du cours du naira, monnaie nigériane.
Suite au repli du cours du Naira,observé depuis un semestre, avec pour conséquence une certaine morosité sur nos marchés, nous avions préconisé dans notre précédente tribune qu’il était temps pour le Bénin d’apporter des réponses structurelles à ses relations économiques avec le Nigeria.
Ces réponses devraient à notre avis s’articuler sur une stratégie de productions et offres nationales en lieu et place de celle du statut actuel d’économie de transit que nous sommes pour notre voisin. Il convient en effet et enfin d’offrir des produits et services compétitifs dont la commercialisation ne serait guère soumise aux fluctuations de la monnaie du Nigeria ni aux éternuements de son économie.
Pour juguler les effets néfastes de la crise actuelle sur notre économie (mévente sur nos marchés, baisse des recettes budgétaires notamment au cordon douanier et portuaire) le gouvernement béninois à travers son ministre des finances a récemment annoncé deux mesures principales, à savoir :
1. Hausse de la taxation au niveau national
2. Projet de création d’un marché à la frontière avec le Nigeria avec pour objectifs de lancer les activités d’agro-industries de transformation et mettre fin à la pure réexportation ;
Augmenter la taxation au niveau national vise certainement à compenser les pertes de recettes budgétaires liées à la baisse du trafic commercial avec le Nigéria ; défendable techniquement du point de vue des objectifs financiers, cette mesure va accroitre la pression fiscale sur le contribuable béninois et impacter négativement son pouvoir d’achat. A terme, la consommation intérieure risque de prendre un coup et à son tour amplifier la « récession » intérieure. Eternel recommencement de l’histoire du serpent qui se mord la queue.
Décider de créer un marché dédié sur la frontière avec le Nigeria, même si ce marché existe déjà de fait, est appréciable surtout avec en arrière-plan l’idée de faire disparaitre la réexportation pure et promouvoir la valeur ajoutée locale.
Mais la question de l’offre nationale vis-à-vis du Nigeria n’est pas adresséeor elle est essentielle. Qu’allons-nous en effet vendre et proposer sur ce ou ces marchés car ils doivent être multiples sur les 704 kilomètres de frontières que nous partageons avec ce pays.
Notre gouvernement actuel qui en a les moyens humains doit aller plus loin dans la réflexion sur ce volet et surtout dans l’action.
Nous précisons ci-après quelques pistes de réflexion et d’actions :
Production agricole notamment vivrière et élevage
C’est la piste la plus importante ; nous avons les terres disponibles, nous disposons des ressources humaines - niveaux encadrement et exécution en la matière et des produits recherchés : mais, manioc, gari, palmistes, huile végétale, igname, fruits et légumes etc……
Sur le volet élevage, il y a du potentiel élevé sur les produits tels que le porc, le lapin, les poissons, les poulets et les œufs pour ne citer que ceux-là.
D’autres productions de niche existent.Un seul exemple la variété d’ananas dite « pain de sucre » qui n’existe dans aucun pays au monde à part le Bénin.
Quelques préalables tout de même à régler : la question de la propriété foncière et de l’accès à la terre, l’organisation des producteurs agricoles et éleveurs en coopératives, la formation/encadrement, l’accès aux financements.
Tourisme de loisirs et d’affaires
Avec ses 180km de littoral donc de plages, ses sites touristiques uniques tels que Ganvié (Venise de l’Afrique), le parc W, les chutes du Pendjari, ses musées historiques (Ouidah,Abomey,Porto-Novo, Nikki…..), son patrimoine culturel et historique, le Bénin dispose incontestablement d’un potentiel touristique intéressant ; il n’est donc pas normal que notre pays continue d’enregistrer le même nombre de touristes que le zoo d’oiseaux d’Athènes en Grèce ou à peine 20% des visiteurs annuels du seul château de Chambord en France.
Il est impératif de transformer ce potentiel en produits. Cela nécessite certes d’importants investissements mais il faut déjà commencer par une vision, une politique et une stratégie touristique bien définie.
Prestations sanitaires
Il est établi que le Bénin regorge de compétences humaines dans ce domaine ; une politique volontariste basée sur les modèles tunisiens ou sud-africains avec des choix de métiers (centres de référence en cardiologie ou dialyse par exemples) devraient à terme être une source de revenus et de richesse pour notre pays.
Economie Numérique
Ceci peut paraitre anecdotique mais il faut y croire ; du talent existe ; il faut s’y pencher suivre et soutenir les startups qui s’investissent dans le domaine ; nos jeunes ont du talent en la matière.
Energie Electrique
Le noyau, le socle de tout ce qui précède. Aucun pays au monde ne s’est développé sans assurer au préalable son indépendance énergétique à bon coût. Le Bénin a les moyens naturels pour non seulement produire de l’énergie suffisante pour ses propres besoins mais aussi pour en vendre.
Techniquement, sur six sources d’énergie électrique possibles, le Bénin dispose d’au moins quatre :l’hydraulique, le solaire, l’éolien et la biomasse. Il suffit ici de définir une politique cohérente et pertinente en la matière, de la mettre en œuvre avec les financements adéquats, et un excédent pourra être dégagé à terme et vendu ne serait qu’à la seule ville de Lagos qui compte plus de 21 millions d’habitants (2 fois le Bénin entier) et dans laquelle pullulent les groupes électrogènes, symbole du déficit observé là-bas dans la fourniture publique d’énergie électrique.
Mais il faut aller vite car rappelons que notre voisin est engagé dans un processus de modernisation qui pourrait davantage nous fragiliser si nous ne créons pas les premiers un minimum de dépendance en notre faveur. A en croire les déclarations du chef de l’Etat Béninois au soir de la fête de l’indépendance dans l’émission spéciale « A bâtons rompus » le gouvernement de la Rupture semble avoir pris la bonne mesure de ces enjeux.
Reste à passer des intentions aux actions. Passons résolument à la production, quittons enfin le potentiel pour le produit.
Alain W. NOUDOGBESSI
Analyste Financier