Il y a bien longtemps que le mélange a commencé; le silence des différents acteurs semble valider la confusion. L’information et la communication sont deux différentes spécialités: le journaliste et le communicant sont distincts. La différence est fondamentale.
Le journaliste fait de l’information, il recherche les faits, les trie et les traite pour les rendre assimilables au grand nombre. Il travaille sur les «faits», les «événements», ce qui est palpable, justifiable, vérifiable. Il est attaché à l’objectivité pour laquelle, il se doit de croiser plusieurs sources. La quête de neutralité est ainsi nécessaire pour assurer au public le droit à l’information juste.
Le communicant lui, est au service d’une personne ou d’une structure sur laquelle il donne des informations valorisantes. Il est embauché pour «positiver» l’image d’une entreprise ou de son responsable. Il n’est pas neutre ; la source de son information est unique : c’est son employeur ou l’entreprise. Le message élaboré, orienté pour valoriser ou pour donner une image positive d’une personne ou d’une entité est une communication.
A la suite de cette clarification, il est aisé de comprendre que la majorité de la quatre-vingtaine de journaux paraissant au Bénin, fait plus de la communication que de l’information. Le phénomène s’enfle en l'absence de thérapie.
La source du mélange
Dans son rôle d’information impartiale des citoyens, la presse (écrite, en ligne et audiovisuelle)se fait une audience ou un lectorat au sein duquel le communicant ou le ‘’service communication’’ identifie une cible. La presse s’est ainsi imposée comme un canal de communication au même titre que l’affichage, le cinéma et l’internet. Elle est sollicitée, démarchée pour des insertions et positionnements bien rentables. Et au nom de l’éthique, le journaliste est appelé à indiquer clairement au public ces messages qui relèvent de la communication. Mais au Bénin, rares sont les organes qui se soumettent à ce devoir. L’information stricte n’est pas toujours sériée de l’information expliquée ou commentée. Les genres indiqués pour les opinions sont ignorés. La volonté de tromper la masse est manifeste.
D’ailleurs, nombreux sont ces organes de presse écrite, au lectorat incertain, qui versent purement dans la communication, avec des messages de persuasion et des titres affirmatifs et ronflants. En effet, en l’absence d’annonceurs, des ’’journalistes’’ se muent en agents de communication ou de marketing au service d’hommes politiques et institutions. Ils ont tôt fait d’inonder les réseaux sociaux de leur ‘’une’’ au graphisme parfait et plus accrocheur que le contenu.
Nous sommes à l’ère des technologies de l’information et de la communication et les productions de presse sont sans frontières. Les structures de prise de décisions engageant l’avenir de la société toute entière devraient prendre la mesure du tort causé aux citoyens ou se préoccuper de l’image du Bénin et de sa presse à l’international.
Beaucoup ont été offusqués, il y a quelques années, quand la presse avait été traitée de ‘’alimentaire‘’. En décembre 2000,à l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la conférence des nouvelles démocraties ou rétablies, c’est feu Mathieu Kérékou, alors chef de l’Etat, qui se désole de ce que «la presse a vendu son âme aux forces du mal». Il s’agit de déclarations qui ont juste donné lieu à des chocs émotionnels ; elles n’ont jamais induit des actions correctives. Des années après, la critique semble toujours valable.
Nécessité d’épurer le corps
Dans l’un de ses articles intitulé «Pratique du journalisme au Bénin», publié en 2001 puis en 2011, le professeur Jean-Euloge Gbaguidi indiquait que «la pratique du métier traversait une ère d’anarchie, imputable à plusieurs causes, dont notamment l’absence de vocation, l’absence de formation, l’absence d’un minimum d’organisation…, l’ignorance des principes et des valeurs cardinales de la profession…».
Le diagnostic était certainement ainsi établi et il aurait fallu passer à l’action. Mais le silence des associations corporatistes et de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) continue de donner l’impression que la salade leur profite.
La poursuite des initiatives de formation ou de recyclage des rédactions devraient permettre de réduire le phénomène. Mais où en est-on ? La célébration de la liberté de la presse, le 3 mai de chaque année, ne devrait-elle pas être aussi l’occasion de rendre publique la liste des organes responsables d’atteintes aux principes d’exercice du journalisme ? Le retrait de la carte professionnelle aux hommes de ‘’presse alimentaire’’ participerait bien de la démarche d’épuration du corps.
Il est évident que la plupart des responsables de ces organes publicitaires, n’attendent pas grand'chose de leur vente. La bourse du travailleur ne le permet d’ailleurs pas. Ils n’éditent donc que quelques exemplaires destinés aux commanditaires de la communication et aux potentiels clients. Mais la revue des titres qui figure aujourd’hui au programme des différents organes audiovisuels ressemble fort à un levier.
Autant les communicants dénoncent la tricherie, autant les journalistes soucieux de l’image de leur profession, devraient décourager ce néo-journalisme en vogue au quartier ‘’latin de l’Afrique’’. Si la fonction de communicant (attaché de presse, chargé de communication ou de relations publiques) est incompatible avec l’exercice cumulé de la profession de journaliste, pourquoi le contraire devrait-il être admis ? Le communicant ne fait pas de l’information et le journaliste ne doit pas faire de la communication ?
Par Jérôme HOUNGBO