Les 4 et 5 août, au Palais des Congrès de Cotonou, s’est tenu la réunion annuelle du Caucus des gouverneurs africains du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale, que sont les ministres en charge des finances ou du développement des 54 pays de notre continent. Cette rencontre de haut niveau dont l’objectif principal indiqué se résumait à proposer un mémorandum aux dirigeants desdites institutions afin d’ accroître l’appui des institutions de Bretton Woods en vue de répondre aux chocs, renforcer la croissance et accélérer la transformation de l’Afrique, fut rythmée par d’enrichissants débats.Il me plait d’une part de reconnaître la bonne organisation de cet événement – qui honore notre pays – sous le leadership du Ministre d’Etat Abdoulaye Bio Tchané, et d’autre part, de saluer la grande qualité des échanges qui rassure de ce que ceux qui élaborent les politiques publiques en Afrique, ne sont plus – pour la plupart – seulement des « consommateurs » de programmes-pays mais des décideurs capables de vision, nonobstant le défaut de flexibilité déploré au niveau des institutions de Bretton Woods.
Le panel de la session 2 auquel j’ai participé fut brillamment modéré par Dr. Donald Kaberuka, ancien Président de la Banque Africaine de Développement ( BAD) et s’est penché sur une problématique éminemment actuelle : <>. Mes contributions à ce titre sont articulées autour des points ci-après.
Pour aborder une telle préoccupation, il me paraît indispensable et préalable que soient mieux appréhendé les spécificités des économies africaines dont je rappelle certaines caractéristiques :
Sur le plan macroéconomique :
– une croissance basée sur trois moteurs communément désignés en Anglais par les 3C (Commodities-Consumption-Coridors), c’est-à-dire, les matières premières (dont les prix sont bien souvent en souffrance), la consommation qui mérite d’être stimulée et les couloirs économiques, véritables opportunités d’accélération de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) ;
– un ralentissement du taux de croissance du PIB de l’Afrique subsaharienne (2,5% prévus pour 2016 par la Banque Mondiale) ; un taux qui avait déjà connu sa plus mauvaise performance en 2015 (3%) – en considérant la période de référence 2009-2015 – face à une Asie de l’Est et Pacifique (6,3% prévus) et (Asie) du sud (7,1% prévus), dont les économies résistent remarquablement aux chocs ;
– une difficulté de maîtrise de l’inflation surtout dans les pays exportateurs de matières premières et dont les cours ont drastiquement chuté (cas du Nigeria qui connaît actuellement un taux d’inflation allant jusqu’à 16%, ayant engendré une forte dépréciation de sa monnaie par rapport au dollar et entraîné cette économie locomotive du continent dans une récession) ;
– tout comme les économies émergentes d’Asie non exportatrices de pétrole, les pays d’Afrique subsaharienne importateurs de pétrole devraient être plus résilients et savoir profiter de l’opportunité de maîtrise de leurs taux d’inflation pour doper la consommation, moteur de croissance.
Sur le plan microéconomique :
– une typologie assez spéciale des entreprises avec une extrême prédominance en nombre de Très Petites Entreprises (TPE) et des Petites et Moyennes Entreprises (PME), à côté de quelques grandes entreprises qui sont pour l’essentiel des multinationales et des sociétés publiques caporalisant le maximum des attentions en matière d’accompagnements. Or est-il besoin de rappeler qu’en Afrique, ce sont les TPE/PME/PMI qui emploient autour de 80% de la population active ?
– Une offre de services financiers peu diversifiée avec un taux de bancarisation des plus faibles au monde.
– La prépondérance d’un secteur dit informel que les pays ont du mal à organiser et surtout dont ils peinent à capitaliser le potentiel des unités économiques qui le composent.
En me gardant d’ouvrir de nouveau l’éternel débat relatif à la nécessité/efficacité ou non de l’aide au développement, je nous convie à réfléchir à comment les institutions de Bretton Woods peuvent mieux répondre aux besoins de capacités dans la perspective d’une transformation structurelle, face aux défis qu’imposent les constats rappelés supra.
1- D’abord, relevons que mieux que la quantité des appuis attendus, il s’agit surtout de leur nature et de leurs orientations. Les pays africains doivent définir eux-mêmes leurs priorités qui feront l’objet d’appuis et veiller à leur respect. Cela exige une totale prise en compte du principe de l’appropriation qui veut que chacun des pays bénéficiaires d’aide au développement se dote de stratégie nationale dans chaque secteur. Une telle exigence devient d’autant plus aisée qu’aujourd’hui, à l’avantage de l’Afrique, il existe une diversité de sources et d’origines de financements, avec des conditionnalités diverses, certaines plus avantageuses que d’autres.
2- De ce fait, les renforcements de capacités humaines, institutionnelles et en logiciels (soft) nécessaires ne doivent se faire qu’en fonction des priorités nationales : le principe de l’alignement mérite d’être mieux ancré auprès des bailleurs, avec un accent particulier sur la prévalence des systèmes nationaux sur laquelle nos Etats ne devraient plus transiger. Car si l’aide continue autant de contourner les dispositifs nationaux, à quand le transfert des compétences et une véritable capacitation des économies en développement ?
Par ailleurs, les appuis doivent rentrer dans le cadre d’une meilleure prévisibilité. Aller vers une meilleure prévisibilité de l’aide revient à ce que les donneurs informent les pays au moins 3 ans à l’avance de l’aide précise qu’ils envisagent accorder sur la base des perspectives émanant des politiques nationales. Ce qui suppose en effet au préalable aussi que nos pays disposent de documents de prospective et de planification à court, moyen et long terme. Des documents de politique de qualité appellent quant à eux la disponibilité de statistiques fiables, fréquemment actualisées. D’ailleurs un appui utile des institutions de Breton Woods en Afrique pourrait consister en l’intensification de leur accompagnement en matière d’enquêtes et de statistiques.
Aussi la nécessité d’harmonisation des appuis devient-elle de nos jours un soucis récurrent du fait de la concurrence destructrice entre les donneurs : simplifier les procédures et éviter la concurrence nuisible entre les bailleurs dont l’une des désastreuses conséquences est le délaissement de certains secteurs en faveur d’autres secteurs selon l’approche « effet de mode », sur fond de saupoudrage de ressources.
3- Savoir Identifier les Secteurs prioritaires susceptibles de favoriser une transformation structurelle rapide du continent :
– Éducation / recherche car le capital humain est la première ressource indispensable
– Énergie en qualité et quantité suffisante (le mix énergétique comme une condition sine qua none)
– Agriculture (agriculture moderne, diversification, et agro business)
– Technologie de l’Information et de la Communication (TIC) pour développer une véritable économie circulaire vecteur de transformation.
Tout ceci devant se développer dans un contexte d’assainissement des finances publiques en veillant à la qualité de la dépense et d’amélioration de la gouvernance en luttant contre l’impunité avec la « complicité indépendante » de la justice. Rappelons que les défis relatifs à la santé et la sécurité intérieure, qui sont des conditions pour le développement, devront retenir les attentions de manière intemporelle.
4-Fort de la prédominance des TPE/PME en Afrique, l’inclusion financière est une solution incontournable en matière d’appui à fournir aux économies africaines. Le développement ne se montrera pas au rendez-vous sans un véritable accompagnement du secteur privé. Il est important de tenir compte de la grande masse de nos entreprises pour concevoir une politique d’intermédiation financière appropriée. Il serait bien à propos de citer en guise d’exemple le récent accord de prêt que la BAD a accordé le 13 juillet à la Tunisie pour contribuer à la relance de son économie : 268 millions d’euros destinés à la modernisation du secteur financier, principalement en renforçant le marché des capitaux et développer la microfinance. Justement les conditionnalités d’un tel emprunt pour la période 2016-2017, favorise cet objectif salutaire avec un taux annuel concessionnel de 0,56% ; emprunt remboursable sur 25 ans assorti d’une période de grâce de 7 ans.
Permettre à des ménages à faible revenu et aux TPE/PME d’accéder à des services financiers variés adaptés à leurs besoins reste généralement le parent pauvre des politiques économiques en Afrique subsaharienne. Or aucune économie ne peut prospérer sans une vitalité de son secteur privé car c’est lui qui génère la richesse et les emplois durables.
5- Il urge donc d’accompagner les réformes pays qui renforcent le secteur privé comme créateur de richesse et pourvoyeur d’emplois, et pas seulement le soumettre aux actions coercitives telles que les impôts prohibitifs :
– Avons-nous des codes des investissements appropriés à la typologie de nos entreprises ?
– Induire des mesures incitatives dans les secteurs accélérateurs de transformation et de croissance
– Faciliter l’accès au crédit à taux bonifié
– Promouvoir l’inclusion financière en favorisant le développement des marchés de capitaux, le refinancement des institutions de microfinance (IMF) à des conditions appropriées de taux, de durée, etc. Les IMF en se refinançant sur le marché des capitaux ont besoin de ressources « bon marché » de longue durée pour le financement de l’écrasante majorité des entreprises africaines qui sont des TPE, sans devoir recourir à des taux prohibitifs.
– Les mesures incitatives en faveur de l’entreprenariat des jeunes doivent être durables et agir aussi sur l’environnement des affaires de façon profonde et pérenne.
6- Accompagner les pays dans des réformes consensuelles en vue de la Formalisation du secteur extra légal (« l’informel » est une terminologie péjorative qui tend à mépriser un pan aussi important de nos économies).
Il est question non pas de « folklores » à visées électoralistes mais de réformes profondes devant permettre de transformer nos capitaux intérieurs en capital vif car une part importante de notre capital est du « capital mort », inutile pour l’activité économique. Il n’y a qu’à imaginer au Bénin le nombre d’immeubles non immatriculés ou non référencés à leur juste prix pour comprendre les difficultés d’accès au crédit par exemple. Dans les pays développés, ces mêmes immeubles serviraient de domiciliation de sièges commerciaux, et mieux, de garantis bancaires pour des prêts conséquents et à long terme.
7- La mobilisation de l’épargne intérieure et des transferts de la diaspora peut apporter une contribution substantielle au financement des économies africaines, à condition que les pays mettent en place des dispositifs efficients à cette fin.
Par ailleurs les financements innovants pour de développement sont une source d’auto financement non négligeable que les pays gagneraient à savoir opérationnaliser.
8- Promouvoir une croissance inclusive. Le paradoxe en est que, selon une étude de la Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), l’Afrique est la région du monde où les investissements sont le plus rentables, ajouté au fait qu’elle fait partie des régions qui présentent un meilleur taux de croissance depuis quelques années. En revanche, globalement, L’Afrique est aussi la région du monde où la croissance contribue le moins à la réduction de la pauvreté . Interrogeons-nous alors sur nos choix de politiques publiques et priorités. D’où la nécessité de promouvoir des mécanismes d’économie inclusive porteuse d’une croissance elle-même inclusive pour une véritable résilience des populations. La quête de la croissance est un objectif noble mais mieux que cela, c’est la qualité de ladite croissance qui devrait davantage mobiliser nos énergies car la création de la richesse n’a véritablement de sens que lorsqu’elle est équitablement redistribuée, surtout dans le contexte des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire où l’on manque presque de tout.
La croissance inclusive que nous appelons de tous nos vœux cessera d’être un simple voeu pieux lorsque nous aurions compris que nous gagnerions à renforcer notre secteur privé grâce à des financements appropriés et la promotion de contrats de partenariat public privé. Le défi majeur est de favoriser l’émergence d’une classe moyenne densifiée, pour ainsi dire, agir sur les leviers multiplicateurs de la consommation. Agir sur la consommation, revient à produire autrement, diversifier et transformer. La transformation qui est un processus de valeur ajoutée est la clé de voûte de l’émergence.
Si le FMI et la Banque Mondiale souhaitent véritablement accompagner l’Afrique, ces défis méritent une meilleure attention. Il n’y a donc pas que la qualité de la gouvernance locale en Afrique à revoir mais aussi celle de l’orientation des ressources par les institutions de Bretton Woods, pour une efficience programmée.
Reckya Madougou
Expert international en Finance Inclusive et Développement